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Je la regardais et je la regardais encore. Je ne cessais de penser à elle et à ce que nous faisions quand nous étions ensemble et quand nous dormions dans le même lit.

Jamais je ne me suis demandé si je l'aimais toujours ou quels étaient mes exacts sentiments à son égard. Ca n'aurait servi à rien. Mais j'aimais la retrouver au détour d'un moment de solitude. Je dois le dire parce que c'est la vérité.

Heureusement pour moi, ma vie ne me laissait pas beaucoup de moments de solitude. Il fallait vraiment qu'un client désolé m'oublie complètement ou que je sois seul, la nuit, dans ma voiture et sans souci pour y parvenir. Autant dire, presque jamais.

Et même si j'avais envie de me laisser aller à un gros coup de blues, de nostalgie, de prendre un ton badin par exemple et d'essayer de retrouver son numéro de téléphone par le minitel ou une autre ânerie de ce genre, je sais maintenant que c'est hors de question car depuis quelques années, j'ai de vrais garde-fous. Les plus farouches: mes enfants.

Je suis fou de mes enfants. J'en ai trois, une grande fille de sept ans, Marie, une autre qui en aura bientôt quatre, Joséphine, et Yvan, le petit dernier qui n'a pas deux ans. D'ailleurs c'est moi qui ai supplié ma femme de m'en faire un troisième, je me souviens qu'elle parlait de fatigue et d'avenir mais j'aime tellement les bébés, leur charabia et leurs câlins mouillés… Allez… je lui disais, fais-moi encore un enfant. Elle n'a pas résisté longtemps et rien que pour ça, je sais qu'elle est ma seule amie et que je ne m'en éloignerai pas. Même si je côtoie une ombre tenace.

Mes enfants sont la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Une vieille histoire d'amour ne vaut rien à côté de ça. Rien du tout.

Voilà à peu près comment j'ai vécu et puis la semaine dernière, elle a dit son prénom au téléphone:

– C'est Hélèna.

– Hélèna?

– Je ne te dérange pas?

J'avais mon petit garçon sur les genoux qui essayait d'attraper le combiné

– Ben…

– C'est ton enfant?

– Oui.

– Il a quel âge?

– … Pourquoi tu m'appelles comme ça?

– Il a quel âge?

– Vingt mois.

– Je t'appelle parce que je voudrais te voir.

– Tu veux me voir?

– Oui.

– Qu'est-ce que c'est que ces conneries?

– Juste comme ça. Tu t'es dit tiens J'ai envie de le revoir…

– Presque comme ça.

– Pourquoi Je veux dire, pourquoi maintenant Après toutes ces ann…

– … Douze ans. Ca fait douze ans.

– Bon. Et alors Qu'est-ce qui se passe? Tu te réveilles? Qu'est-ce que tu veux? Tu veux savoir l'âge de mes enfants ou si j'ai perdu mes cheveux ou… ou voir l'effet que tu me ferais ou… ou c'est juste comme ça, pour parler du bon vieux temps?!

– Ecoute, je ne pensais pas que tu allais le prendre comme ça, je vais raccrocher. Je suis désolée. Je…

– Comment tu as retrouvé mon numéro?

– Par ton père.

– Quoi!

– J'ai appelé ton père tout à l'heure et je lui ai demandé ton numéro, c'est tout.

– Il s'est rappelé de toi?

– Non. Enfin… je ne lui ai pas dit qui j'étais.

J'ai posé mon fils par terre qui est parti rejoindre ses sœurs dans leur chambre. Ma femme n'était pas là.

– Attends, ne quitte pas… "Marie! Est-ce que tu peux lui remettre ses chaussons, s'il te plaît Allô? Tu es là?

– Oui.

– Alors?…

– Alors quoi?…

– Tu veux qu'on se revoie?

– Oui. Enfin pas longtemps. Juste prendre un verre ou marcher un petit moment, tu vois…

– Pourquoi. A quoi ça servirait?

– C'est juste que j'ai envie de te revoir. De parler un petit peu avec toi.

– Hélèna?

– Oui.

– Pourquoi tu fais ça?

– Pourquoi?

– Oui pourquoi tu me rappelles? Pourquoi si tard? Pourquoi maintenant? Tu ne t'es même pas demandé si tu risquais pas de mettre le merdier dans ma vie… Tu fais mon numéro et tu…

– Ecoute Pierre. Je vais mourir.

– Je t'appelle maintenant parce que je vais mourir. Je ne sais pas exactement quand mais dans pas très longtemps.

J'éloignais le téléphone de mon visage comme pour reprendre un peu d'air et j'essayais de me relever mais sans succès.

– C'est pas vrai.

– Si c'est vrai.

– Qu'est-ce que tu as?

– Oh… c'est compliqué. Pour résumer on pourrait dire que c'est mon sang qui… enfin je ne sais plus trop ce qu'il a maintenant parce que les diagnostics s'embrouillent mais enfin c'est un drôle de truc quoi.

Je lui ai dit:

– Tu es sûre?

– Attends? Mais qu'est-ce que tu crois? Que je te raconte des craques bien mélo pour avoir une raison de t'appeler?!!

– Excuse-moi.

– Je t'en prie.

– Ils se trompent peut-être.

– Oui… Peut-être.

– Non?

– Non. Je ne crois pas.

– Comment c'est possible?

– Je ne sais pas.

– Tu souffres?

– Couci-couça.

– Tu souffres?

– Un petit peu en fait.

– Tu veux me revoir une dernière fois?

– Oui. On peut dire ça comme ça.

– Tu n'as pas peur d'être déçue? Tu ne préfères pas rester sur une… bonne image?

– Une image de quand tu étais jeune et beau? Je l'entendais sourire.

– Exactement. Quand j'étais jeune et beau et que je n'avais pas encore de cheveux blancs…

– Tu as des cheveux blancs?!

– J'en ai cinq je crois.

– Ah! ça va, tu m'as fait peur! Tu as raison. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais j'y pense depuis un bout de temps… et je me disais que c'était vraiment une chose qui me ferait plaisir… Alors comme il n'y a plus beaucoup de choses qui me font plaisir ces derniers temps… je… je t'ai appelé.

– Tu y penses depuis combien de temps?

– Douze ans! Non… Je plaisante. J'y pense depuis quelques mois. Depuis mon dernier séjour à l'hôpital pour être exacte.

– Tu veux me revoir, tu crois?

– Oui.

– Quand?

– Quand tu veux. Quand tu peux.

– Tu vis où?

– Toujours pareil. A cent kilomètres de chez toi je crois.

– Hélèna?

– Oui?

– Non rien.

– Tu as raison. Rien. C'est comme ça. C'est la vie et je ne t'appelle pas pour détricoter le passé ou mettre Paris dans une bouteille tu sais. Je… Je t'appelle parce que j'ai envie de revoir ton visage. C'est tout. C'est comme les gens qui retournent dans le village où ils ont passé leur enfance ou dans la maison de leurs parents… ou vers n'importe quel endroit qui a marqué leur vie.

– C'est comme un pèlerinage quoi.

Je me rendais compte que je n'avais plus la même voix.

– Oui exactement. C'est comme un pèlerinage. A croire que ton visage est un endroit qui a marqué ma vie.

– C'est toujours triste les pèlerinages.

– Pourquoi tu dis ça?! Tu en as jamais fait!?

– Non. Si. A Lourdes…

– Oh ben alors oui… alors là, Lourdes, évidemment… Elle se forçait à prendre un ton moqueur.