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Un tanga quoi.

Ouf.

J'ai fourré le petit paquet rose entre deux dossiers et mon plan de Paris et je suis retourné devant l'écran de mon ordinateur. Tu parles d'une pause.

Au moins quand il y aura les gosses, on trouvera des trucs plus faciles à choisir. Il faudra que je leur dise: "Non, les enfants, pas un gaufrier… voyons…"

C'est Mercier, mon collègue de l'exportation, qui m'a dit un jour:

– Elle te plaît bien, hein?

On était chez Mario en train de compter nos tickets-restaurant et ce crétin voulait me la jouer copains de régiment et vas-y dis-moi tout que je te tape dans les côtes.

– Tu me diras, t'as bon goût hein! Je n'avais pas envie de lui parler. Mais alors pas du tout.

– Il paraît qu'elle est bonne, hein… (gros clin d'oeil) J'en secouais la tête de désapprobation.

– C'est Dujoignot qui me l'a dit…

– Dujoignot est sorti avec elle! J'étais perdu dans mes comptes.

– Nan mais il a appris des trucs par Movard, parce que Movard il l'a eue lui, et je peux te dire que…

Le voilà qui secoue ses doigts dans l'air comme pour les essorer en faisant le petit O de cOnnerie avec sa bouche.

– … Ouais une chaude hein…, la Briot, ça on peut dire qu'elle a pas froid aux yeux hein… Des trucs, je pourrais même pas te les raconter…

– Ne raconte pas. C'est qui ce Movard?

– Il était au service publicité mais il est parti avant ton arrivée. On était une structure trop petite pour lui alors tu vois…

– Je vois.

Pauvre Mercier. Il ne s'en remet pas. Il doit penser à tout un tas de positions sexuelles.

Pauvre Mercier. Tu sais que mes sœurs t'appellent Merdechié et qu'elles pouffent encore en pensant à ta Ford Taurus.

Pauvre Mercier qui a essayé de baratiner Myriam alors qu'il a une chevalière en or avec ses initiales en surimpression.

Pauvre Mercier. Qui espère encore après les filles intelligentes et qui va à ses premiers rendez-vous avec son portable dans une housse en plastique accroché à la ceinture et son autoradio sous le bras.

Pauvre Mercier. Si tu savais comment mes sœurs parlent de toi… quand elles en parlent.

On ne peut jamais prévoir. Ni comment les choses vont se dérouler, ni pourquoi des trucs tout simples prennent soudain des proportions démentes. Là, par exemple, ma vie a changé d'un coup à cause de cent cinquante grammes de soie grise.

Depuis cinq ans et bientôt huit mois j'habite avec mes sœurs un appartement de 110 m2 près du métro Convention.

Au début, j'habitais juste avec ma soeur Fanny. C'elle qui a quatre ans de moins que moi et qui est étudiante en médecine à la fac de Paris V. C'était une idée de nos parents pour faire des économies et pour être sûr que la petite ne serait pas perdue dans Paris, elle qui n'a connu que Tulle, son lycée, ses cafés et ses mobylettes bricolées.

Je m'entends bien avec Fanny parce qu'elle ne parle pas beaucoup. Et qu'elle est toujours d'accord pour tout.

Par exemple si c'est sa semaine de cuisiner et si je rapporte, disons une sole, parce que j'en ai eu envie, elle n'est pas du genre à gémir que je lui perturbe tous ses plans. Elle s'adapte.

Ce n'est pas exactement pareil avec Myriam.

Myriam, c'est l'aînée. On a même pas un an de différence mais vous nous verrez, vous ne pourriez même pas imaginer qu'on est frère et soeur. Elle parle tout le temps. Je pense même qu'elle est un peu siphonnée mais c'est normal, c'est l'Artiste de la famille…

Après les Beaux-Arts, elle a fait de la photo, des collages avec du chanvre et de la paille de fer, des clips avec des taches de peinture sur les objectifs, des trucs avec son corps, de la création d'espace avec Loulou de La Rochette (?), des manifs, de la sculpture, de la danse et j'en oublie.

Pour l'instant elle peint des trucs que j'ai du mal à comprendre même en plissant vachement les yeux mais d'après Myriam, j'ai LA case artistique en moins et je ne sais pas voir ce qui est beau.

Bon.

La dernière fois qu'on s'est engueulé c'est quand on est allé ensemble à l'exposition Boltanski (mais quelle idée aussi de m'emmener voir ça… franchement. Tu crois pas que j'avais l'air d'un con en train d'essayer de comprendre le sens de la visite?).

Myriam est un vrai coeur d'artichaut, tous les six mois, depuis l'âge de quinze ans (ce qui doit faire à peu près trente-huit fois si je ne m'abuse), elle nous ramène l'homme de sa vie. Le Bon, le Vrai, le Mariage en blanc, le Ca y Est Cette Fois C'est du Solide, le Dernier, le Sûr, le Dernier des derniers.

L'Europe à elle toute seule: Yoann était suédois, Giuseppe italien, Erick hollandais, Kiko espagnol et Laurent de Saint-Quentin-en-Yvelines. Evidemment il en reste trente-trois… Pour l'instant leur nom ne me revient pas.

Quand j'ai quitté mon studio pour emménager avec Fanny, Myriam était avec Kiko. Un futur réalisateur génial.

Au début, on ne la voyait pas beaucoup. De temps en temps ils s'invitaient à dîner tous les deux et Kiko apportait le vin. Toujours très bon. (Heureusement, vu qu'il n'avait que ça à foutre de la journée: choisir le vin.)

J'aimais bien Kiko. Il regardait ma soeur douloureusement et puis il se resservait à boire en secouant la tête. Kiko fumait de drôles de choses et le lendemain, j'étais toujours obligé de mettre du pschittpschitt au chèvrefeuille pour faire passer l'odeur.

Les mois ont passé, Myriam est venue de plus en plus souvent et presque toujours seule. Elle s'enfermait avec Fanny dans sa chambre et je les entendais glousser jusqu'au milieu de la nuit. Un soir où je suis entré pour leur demander si elles voulaient une tisane ou quelque chose, je les ai vues toutes les deux allongées par terre en train d'écouter leur vieille cassette de Jean-Jacques Goldman: "Puisqueueueu tu pâââârs… et gnagnagna".

Pathétique.

Quelquefois Myriam repartait. Quelquefois non. Il y avait une brosse à dents en plus dans le verre duralex de la salle de bains et la nuit le canapé-lit était souvent déplié. Et puis un jour elle nous a dit:

– Si c'est Kiko tu dis que je suis pas là… en désignant le téléphone…

Et puis, et puis, et puis… Un matin, elle m'a demandé: – Ça t'ennuie pas si je reste un peu avec vous?… Bien sûr je participerai aux frais…

J'ai fait gaffe de ne pas casser ma biscotte parce que si y'a un truc dont j'ai horreur, c'est bien de casser mes biscottes et je lui ai dit:

– Pas de problème.

– Sympa. Merci.

– Juste un truc…

– Quoi?

– J'aimerais mieux que tu fumes sur le balcon… Elle m'a souri, elle s'est levée et m'a fait un gros smack d'artiste.

Evidemment ma biscotte s'est cassée et je me suis dit: "ça commence…" en touillant dans mon chocolat pour récupérer des petits bouts mais j'étais content quand même.

Ca m'avait quand même tracassé toute la journée et le soir, j'ai mis les choses au point: on partage le loyer dans la mesure du possible, on s'organise pour les courses, la cuisine et le ménage, d'ailleurs les filles regardez la porte du frigidaire, il y a un calendrier avec nos semaines: toi Fanny en stabilo rose, toi Myriam en bleu et moi en jaune… Merci de prévenir quand vous dînez dehors ou quand vous ramenez des invités et à propos d'invités, si vous ramenez des hommes à la maison avec lesquels vous avez l'intention de coucher, merci de vous organiser toutes les deux pour la chambre et…