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– Hé, ça va… ça va… t'excite pas… a dit Myriam.

– C'est vrai ça… a répondu sa soeur.

– Et toi? Quand tu ramèneras une petite poule, t'es gentil de nous prévenir aussi…, hein! Qu'on fasse disparaître nos bas-résille et nos vieilles capotes…

Et les voilà qui ricanent de plus belle. Malheur.

Ca se passait plutôt bien notre petite affaire. J'avoue que je n'y croyais pas trop mais j'avais tort… Quand des filles veulent que quelque chose se passe bien, ça se passe bien. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

Quand j'y pense maintenant, je me rends compte à quel point l'arrivée de Myriam a été importante pour Fanny.

Elle, c'est tout le contraire de sa soeur, elle est romantique et fidèle. Et sensible.

Elle tombe toujours amoureuse d'un mec inaccessible qui habite à Pétaouchnok. Depuis qu'elle a quinze ans, elle guette le courrier tous les matins et sursaute à chaque sonnerie de téléphone.

Ce n'est pas une vie.

Il y a eu Fabrice qui habitait à Lille (de Tulle, tu vois le travail…) et qui l'a noyée sous un flot de lettres passionnées où il ne parlait que de lui-même. Quatre ans d'amour juvénile et contrarié.

Ensuite, il y a eu Paul qui est parti comme médecin sans frontières du côté du Burkina-Faso en lui laissant l'amorce d'une vocation, de l'énergie pour râler contre la lenteur de la Poste et toutes ses larmes pour pleurer… Cinq ans d'amour exotique et contrarié.

Et maintenant c'est le pompon: j'ai cru comprendre d'après leurs conversations nocturnes et leurs allusions à table que Fanny était amoureuse d'un médecin qui est déjà marié.

Je les ai entendues dans la salle de bains, Myriam lui a dit en se brossant les dents:

– Il a des enfanch's?

J'imagine que Fanny était assise sur le couvercle des chiottes.

– Non.

– Jche préfèrch parche que… (elle crache)…, avec des enfants ça doit être trop galère tu vois. En tout cas, moi, je pourrais pas.

Fanny n'a pas répondu mais je suis sûr qu'elle était en train de mordiller ses cheveux en regardant le tapis de bain ou ses doigts de pied.

– Tu les cherches on dirait…

– Tu nous fatigues avec tes mecs à la mord-moi-le-noeud. En plus les médecins c'est tous des emmerdeurs. Après il se mettra au golf et il sera toujours fourré dans des congrès au Club Med à Marrakech ou je ne sais où et toi, tu seras toujours toute seule…

– En plus, je te dis ça… C'est au cas où ça marcherait mais qui te dit que ça va marcher?… Parce que l'Autre, tu crois pas qu'elle va lâcher le morceau comme ça. C'est qu'elle y tient à son bronzage de Marrakech pour faire chier la femme du dentiste au Rotary.

Fanny doit sourire, ça s'entend dans sa voix. Elle murmure:

– Tu dois avoir raison…

– Mais bien sûr que j'ai raison!

Six mois d'amour adultère et contrarié. (Peut-être.)

– Viens donc avec moi à la Galerie Delaunay samedi soir, d'abord je connais le traiteur du vernissage et ça sera pas dégueulasse. Je suis sûre que Marc sera là… Il faut absolument que je te le présente! Tu vas voir, c'est un mec super! En plus il a un cul magnifique.

– Pffff, tu parles… C'est quoi comme expo?

– J'm'en souviens plus. Tiens, tu me passes la serviette steu plaît?

Myriam améliorait souvent l'ordinaire en rapportant des petits plats de chez Fauchon et des bonnes bouteilles. Il faut dire qu'elle avait encore trouvé une combine pas possible: pendant plusieurs semaines, elle avait potassé des tas de bouquins et de magazines sur Diana (impossible de traverser le salon sans marcher sur la défunte…) et s'était exercée à la dessiner. Et tous les week-ends, elle plantait son barda au-dessus du pont de l'Alma et croquait les pleureuses du monde entier à côté de leur idole.

Pour une somme d'argent invraisemblable ("la connerie ça se paye") une japonaise made in tour operator peut demander à ma soeur de la dessiner à côté de Diana qui rit (à la fête de l'école d'Harry) ou Diana qui pleure (avec les sidatiques de Belfast) ou Diana qui compatit (avec les sidatiques de Liverpool) ou Diana qui boude (à la commémoration du cinquantenaire du Débarquement).

Je salue l'artiste et je m'occupe de chambrer les bouteilles.

Oui notre affaire tournait bien. Fanny et moi ne parlions guère plus mais nous riions davantage. Myriam ne se calmait pas du tout mais elle peignait. Pour mes sœurs, j'étais l'homme idéal mais pas celui qu elles voudraient épouser.

Je ne me suis jamais appesanti sur cette trouvaille, je me contentais de hausser les épaules en surveillant la porte du four.

Il aura donc fallu une poignée de lingerie pour faire un strike.

Finies les soirées assis au pied du canapé à regarder mes sœurs en soupirant. Finis les cocktails de Fanny made in salle-de-garde qui vous retournent la bidoche et vous remémorent tout un tas d'histoires salaces. Finies les engueulades:

– Mais souviens-toi merde! C'est important! Il s'appelait Lilian ou Tristan???

– J'en sais rien. Il articulait mal ton gars.

– Mais t'est pas possible ça! Tu l'fais exprès ou quoi? Essaye de te rappeler!

– "Est-ce que je pourrais parler à Myriam, c'est Ltfrgzqan." Ca te va?

Et elle partait dans la cuisine.

– Tu seras gentille de pas claquer la porte du frigo… VLAM.

– … Et de lui donner l'adresse d'une bonne orthophoniste…

– Chmmchmpauv'con.

– Tiens on dirait que ça te ferait pas de mal non plus.

VLAM.

Finies les réconciliations devant mon fameux poulet au Boursin ("alors?… tu crois pas que t'es mieux ici avec nous plutôt qu'avec Ltfrgzqan dans un attrape-gogo sous vide?").

Finies les semaines au stabilo, fini le marché du samedi matin, finis les Gala qui traînent dans les toilettes ouverts aux pages de l'horoscope, finis les artistes de tout poil pour nous faire comprendre les chiffons de Boltanski, finies les nuits blanches, finis les polys qu'il fallait faire réciter à Fanny, fini le stress des jours de résultats, finis les regards noirs à la voisine du dessous, finies les chansons de Jeff Buckley, finis les dimanches à lire des B.D. allongés sur la moquette, finies les orgies de bonbons Haribo devant Sacrée soirée, fini le tube de dentifrice jamais rebouché qui sèche et qui me rend dingue.

Finie ma jeunesse.

On avait organisé un dîner pour fêter les examens de Fanny. Elle commençait à voir le bout du tunnel…

– Ouf! plus que dix ans… disait-elle en souriant. Autour de la table basse, il y avait son interne (sans alliance, le lâche), (futur golfeur à Marrakech, je maintiens), ses copines de l'hôpital dont la fameuse Laura avec laquelle mes sœurs m'avaient monté un nombre incalculable de plans plus foireux les uns que les autres sous prétexte qu'elle avait parlé de moi un jour avec des trémolos dans la voix (ah le coup où elles m'avaient donné rendez-vous chez la fameuse Laura pour un anniversaire surprise et que je me suis retrouvé seul toute une soirée avec cette furie à chercher ses lentilles dans sa moquette en poil de chèvre en garant mes fesses…).

Il y avait Marc (j'en profitais pour voir ce qu'était "un beau cul "… mouaif…).

Il y avait des amis de Myriam que je n'avais jamais vus.

Je me demandais où elle dénichait des étrangetés pareilles, des mecs tatoués de bas en haut et des filles montées sur des échasses pas croyables qui riaient pour n'importe quoi en secouant ce qui leur tenait lieu de chevelure.