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Elles m'avaient dit:

– Amène des collègues si tu veux… C'est vrai, tu nous présentes jamais personne…

Et pour cause les filles… pensais-je plus tard en admirant la faune et la flore qui mangeaient mes cacahouètes vautrées sur le canapé Cinna que maman m'avait offert pour mon diplôme de comptable, et pour cause…

Il était déjà assez tard et nous étions tous bien cassés quand Myriam, partie chercher une bougie parfumée dans ma chambre, est revenue en glougloutant comme une dinde en chaleur avec le soutien-gorge de Sarah Briot entre le pouce et l'index.

Mes aïeux.

On peut dire que ça a été ma fête.

– Hé mais qu'est-ce que c'est que ça?! Attends Olivier, t'es au courant que y'a des accessoires de sex-shop dans ta chambre? De quoi donner la gaule à tous les mecs de Paris! Nous dis pas que t'es pas au courant!?

La voilà partie dans un show d'enfer, incontrôlable. Elle se dandine, mime un strip-tease, renifle la culotte, se retient à l'halogène et tombe à la renverse.

Incontrôlable.

Tous les autres sont morts de rire. Même le champion de golf.

– C'est bon. Ca suffit j'ai dit. Donne-moi ça.

– C'est pour qui? D'abord tu nous dis pour qui c'est… pas vrai les autres?

Et voilà tous ces connards en train de siffler avec leurs doigts, de se cogner les dents contre leurs verres et de dégueulasser mon salon surtout!

– En plus t'as vu les lobos qu'elle a!!! Attends mais c'est au moins du 95!!! hurle cette abrutie de Laura.

– On s'embête pas hein… m'a soufflé Fanny en faisant des trucs tordus avec sa bouche.

Je me suis levé. J'ai pris mes clefs et mon blouson et j'ai claqué la porte.

VLAM.

J'ai dormi à l'hôtel Ibis de la porte de Versailles. Non, je n'ai pas dormi. J'ai réfléchi.

J'ai passé une bonne partie de la nuit debout, le front appuyé contre la fenêtre à regarder le Parc des Expositions. Qu'est-ce que c'est moche.

Au matin, ma décision était prise. Je n'avais même pas la gueule de bois et je me suis tapé un petit-déjeuner grandiose.

Je suis allé aux Puces.

C'est très rare que je prenne du temps pour moi. J'étais comme un touriste à Paris. J'avais les mains dans les poches et je sentais bon l'after-shave Nina Ricci for Men distribué dans tous les hôtels Ibis du monde. J'aurais bien aimé que ma collègue de travail me surprenne au détour d'une allée:

– Oh Olivier!

– Oh Sarah!

– Oh Olivier, qu'est-ce que tu sens bon…

– Oh Sarah…

Je buvais le soleil devant une bière pression à la terrasse du Café des amis.

On était le 16 juin aux alentours de midi, il faisait beau et ma vie était belle.

J'ai acheté une cage à oiseaux tarabiscotée et pleine de chichis en fer.

Le gars qui m'a vendu ça m'a assuré qu'elle datait du XIXme siècle et qu'elle avait appartenu à une famille très cotée puisqu'on l'avait retrouvée dans un hôtel particulier, intacte et patati et patata et vous réglez comment?

J'avais envie de lui dire: te fatigue pas mon vieux, je m'en fous.

Quand je suis rentré, ça sentait le Monsieur Propre depuis le rez-de-chaussée.

L'appartement était nickel. Pas un grain de poussière. Avec même un bouquet sur la table de la cuisine et un petit mot: "On est au Jardin des Plantes, à ce soir. Bisous."

J'ai défait ma montre et je l'ai posée sur ma table de nuit. Le paquet Christian Dior était posé à côté comme si de rien n'était.

Aaahhh!!! mes chéries…

Pour le dîner, je vais vous faire un poulet au Boursin i-nou-bli-able!

Bon, d'abord choisir le vin… et mettre un tablier bien sûr.

Et pour le dessert, un gâteau de semoule avec beaucoup de rhum. Fanny adore ça.

Je ne dis pas qu'on s'est pris dans les bras en se serrant très fort, et en secouant la tête comme le font les Américains. Elles m'ont juste un peu souri en franchissant le seuil et j'ai vu dans leur visage toutes les petites fleurs du Jardin des Plantes.

Pour une fois, on n'était pas tellement pressé de débarrasser. Après la débauche de la veille personne n'avait l'intention de sortir et Mimi nous a servi un thé à la menthe sur la table de la cuisine.

– C'est quoi cette cage? a demandé Fanny.

– Je l'ai achetée aux Puces ce matin à un gars qui ne vend que des cages anciennes… Elle te plaît?

– Oui.

– Eh bien c'est pour vous.

– Ah bon! Merci. Mais en quel honneur? Parce qu'on est pleines de tact et de délicatesse a plaisanté Myriam en se dirigeant vers le balcon avec son paquet de Craven.

– En souvenir de moi. Vous n'aurez qu'à dire que l'oiseau s'est envolé…

– Pourquoi tu dis ça!?

– Je m'en vais les filles.

– Tu t'en vas où???

– Je vais aller habiter ailleurs.

– Avec qui???

– Seul.

– Mais pourquoi? C'est à cause d'hier soir… Ecoute je te demande pardon, tu sais j'avais trop bu et…

– Non, non t'inquiète pas. Ca n'a rien à voir avec toi.

Fanny avait l'air vraiment sonnée et j'avais du mal à la regarder en face.

– T'en as marre de nous?

– Nan c'est pas ça.

– Ben pourquoi alors? On sentait que les larmes lui montaient aux yeux.

Myriam était plantée là entre la table et la fenêtre avec sa clope au bec qui pendait tristement.

– Olivier, hé, qu'est-ce qui se passe?

– Je suis amoureux.

Tu pouvais pas le dire tout de suite espèce de crétin. Et pourquoi tu nous l'as pas présentée? Quoi! T'as peur qu'on la fasse fuir. Tu nous connais bien mal… Si? Tu nous connais bien… Ah?

Elle s'appelle comment? Elle est mignonne? Oui? Ah merde… Quoi? Tu ne lui as presque pas parlé! Mais t'es con ou quoi? Oui t'es con?

Mais non t'es pas con.

Tu ne lui as presque jamais parlé et tu déménages à cause d'elle? Tu crois pas que tu mets la charrue avant les bœufs? Tu mets la charrue où tu peux… vu comme ça, évidemment…

Tu vas lui parler quand? Un jour. D'accord je vois le travail… Elle a de l'humour? Ah, tant mieux, tant mieux.

Tu l'aimes vraiment? Tu veux pas répondre? On t'emmerde?

T'as qu'à le dire tout de suite.

Tu nous inviteras à ton mariage? Seulement si on promet d'être sage?

Qui va me consoler quand j'aurais le coeur en compote? Et moi? Oui va me faire réviser mes cours d'anat? Qui va nous chouchouter maintenant? Elle est mignonne comment tu disais? Tu lui feras du poulet au Boursin? Tu vas nous manquer tu sais.

J'ai été étonné d'emmener si peu de choses. J'avais loué une fourgonnette chez Kiloutou et un voyage a suffi.

Je ne savais pas si je devais le prendre bien, genre voilà la preuve que tu n'es pas trop attaché aux biens de ce monde mon ami, ou carrément mal, genre regarde mon ami: bientôt trente ans et onze cartons pour tout contenir… Ca ne fait pas bien lourd hein?

Avant de partir je me suis assis une dernière fois dans la cuisine.

Les premières semaines, j'ai dormi sur un matelas à même le sol. J'avais lu dans un magazine que c'était très bon pour le dos.

Au bout de dix-sept jours, j'ai été chez Ikea: j'avais trop mal au dos.

Dieu sait que j'ai retourné le problème dans tous les sens. J'ai même dessiné des plans sur du papier à petits carreaux.

La vendeuse aussi pensait comme moi: dans un logement aussi "modeste" et aussi mal fichu (on aurait dit que j'avais loué trois petits couloirs…), le mieux, c'était un canapé-lit.