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Et le moins cher, c'est un clic-clac.

Va pour le clic-clac.

J'ai aussi acheté un set-cuisine (soixante-cinq pièces pour 399 francs, essoreuse et râpe à fromage comprises), des bougies (on ne sait jamais…), un plaid (je ne sais pas, je trouvais que ça faisait chic d'acheter un plaid), une lampe (bof), un paillasson (prévoyant), des étagères (forcément), une plante verte (on verra bien…) et mille autres bricoles (c'est le magasin qui veut ça).

Myriam et Fanny me laissaient régulièrement des messages sur le répondeur du genre: Tuuuuut "Comment on allume le four?" tuuuuuut "On a allumé le four mais maintenant on se demande comment on change un plomb parce que tout a sauté…" tuuuuuuut "On veut bien faire ce que t'as dit mais où t'as rangé la lampe de poche?…" tuuuuuut "Hé c'est quoi le numéro des pompiers?" tuuuut…

Je crois qu'elles en rajoutaient un peu, mais comme tous les gens qui vivent seuls, j'ai appris à guetter et même à espérer le petit clignotant rouge des messages en rentrant le soir.

Personne n'y échappe je crois.

Et soudain, votre vie s'accélère drôlement.

Et quand je perds le contrôle de la situation, j'ai tendance à paniquer, c'est bête.

Qu'est-ce que c'est "perdre le contrôle de la situation"?

Perdre le contrôle de la situation, c'est tout simple. C'est Sarah Briot qui s'amène un matin dans la pièce où vous gagnez votre vie à la sueur de votre front et qui s'assoit sur le bord de votre bureau en tirant sur sa jupe.

Et qui vous dit:

– Elles sont sales tes lunettes non?

Et qui sort un petit bout de liquette rose de dessous sa jupe et qui essuie vos lunettes avec comme si de rien n'était.

Là, vous bandez si bien que vous pouvez soulever la table (avec un peu d'entraînement évidemment).

– Alors, il paraît que t'as déménagé?

– Oui, il y a une quinzaine de jours. (Ffffff respire… tout va bien…)

– T'es où maintenant?

– Dans le dixième.

– Ah! c'est marrant moi aussi.

– Ah bon?!

– C'est bien on prendra le métro ensemble comme ça… (C'est toujours un début.)

– Tu ne vas pas faire une pendaison de la crémaillère ou un truc dans ce goût-là?

– Si si! Bien sûr! (Première nouvelle.)

– Quand?

– Eh bien, je ne sais pas encore… Tu sais, on m'a livré mes derniers meubles ce matin alors…

– Pourquoi pas ce soir?

– Ce soir? Ah non, ce soir, ce n'est pas possible. Avec tout le bazar et… Et puis je n'ai prévenu personne et…

– Tu n'as qu'à inviter que moi. Parce que moi, tu sais, je m'en fous du bazar, ça ne peut pas être pire que chez moi!…

– Ah… ben… ben si tu veux. Mais pas trop tôt alors!?…

– Très bien. Comme ça j'aurais le temps de repasser par chez moi pour me changer… Neuf heures ça te va?

– Vingt et une heures, très bien.

– Bon, ben, à tout à l'heure alors?…

Voilà exactement ce que j'appelle "perdre le contrôle de la situation".

Je suis parti de bonne heure et pour la première fois de ma vie, je n'ai pas remis de l'ordre sur mon bureau avant d'éteindre la lumière.

La concierge me guettait, oui ils ont livré vos meubles mais quelle affaire avec le canapé pour monter les six étages!

Merci madame Rodriguez, merci. (Je n'oublierai pas vos étrennes madame Rodriguez…)

Trois petits couloirs en forme de champ de bataille ça peut avoir du charme…

Mettre le tarama au frais, réchauffer le coq au vin, à feux doux, d'accord… ouvrir les bouteilles, dresser une table de fortune, redescendre dare-dare chez l'arabe chercher des serviettes en papier et une bouteille de Badoit, préparer la cafetière, prendre une douche, se parfumer (Eau Sauvage), se curer les oreilles, trouver une chemise pas trop froissée, baisser l'halogène, débrancher le téléphone, mettre de la musique (l'album Pirates de Rickie Lee Jones, tout est possible là-dessus…) (mais pas trop fort), arranger le plaid, allumer les bougies (tiens tiens…), inspirer, souffler, ne plus se regarder dans la glace.

Et les préservatifs? (Dans le tiroir de la table de nuit, est-ce que ça fait pas trop près et dans la salle de bains, est-ce que ça fait pas trop loin?…)

Dring, dring.

Peut-on décemment dire que j'ai la situation bien en main?

Sarah Briot est entrée chez moi. Belle comme le jour.

Plus tard dans la soirée alors que nous avions bien ri, bien dîné et laissé s'installer quelques silences rêveurs, il était clair que Sarah Briot passerait la nuit dans mes bras.

Seulement j'ai toujours eu du mal à prendre certaines décisions et pourtant, c'était vraiment le moment de poser mon verre et de tenter quelque chose.

Comme si la femme de Roger Rabbit était assise tout près de vous et que vous pensiez à votre plan d'épargne-logement…

Elle parlait de je ne sais quoi et me regardait du coin de l'oeil.

Je commençais à me demander vraiment, intensément et posément comment ça s'ouvrait un clic-clac?

Je pensais que le mieux ce serait de commencer par l'embrasser assez fougueusement puis de la renverser adroitement pour l'allonger sans incident…

Oui mais après… avec le clic-clac?

Je me voyais déjà en train de m'énerver en silence sur un petit loquet tandis que sa langue chatouillait mes amygdales et que ses mains cherchaient mon ceinturon…

Enfin… pour l'instant, ce n'était pas vraiment le cas… elle commençait même à esquiver l'amorce d'un bâillement…

Tu parles d'un Don Juan. Quelle misère. Et puis j'ai pensé à mes sœurs, je riais intérieurement en pensant à ces deux harpies.

On peut dire qu'elles auraient été à la fête si elles m'avaient vu en ce moment avec la cuisse de miss Univers contre ma cuisse et mes soucis domestiques pour ouvrir un canapé-lit de chez Ikea.

C'est à ce moment-là que Sarah Briot s'est retournée vers moi et qu'elle m'a dit:

– Tu es mignon quand tu souris. En m'embrassant.

Et là, à cet instant précis, avec 54 kilos de féminité, de douceur et de caresses sur mes genoux, j'ai fermé les yeux, j'ai rejeté ma tête en arrière et j'ai pensé très fort: "Merci les filles".

Epilogue

– Marguerite! Quand est-ce qu'on mange?

– Je t'emmerde.

Depuis que j'écris des nouvelles, mon mari m'appelle Marguerite en me tapant sur les fesses et il raconte dans les dîners qu'il va bientôt s'arrêter de travailler grâce à mes droits d'auteur:

– Attendez… moi!? Pas de problème, j'attends que ça tombe et je vais chercher les petits à l'école en Jaguar XKS. C'est prévu… Bien sûr il faudra que je lui masse les épaules de temps en temps et que je supporte ses petites crises de doute mais bon… le coupé?… Je le prendrai vert dragon.

Il délire là-dessus et les autres ne savent plus trop sur quel pied danser.

Ils me disent sur le ton qu'on prend pour parler d'une maladie sexuellement transmissible:

– C'est vrai, t'écris?

Et moi je hausse les épaules en montrant mon verre au maître de maison. Je grogne que non, n'importe quoi, presque tien. Et l'autre excité que j'ai épousé un jour de faiblesse nous en remet une couche:

– Attendez… mais elle ne vous a pas dit? Choupinette tu ne leur as pas dit pour le prix que t'as gagné à Saint-Quentin? Hé!… dix mille balles quand même!!! Deux soirées avec son ordinateur qu'elle a acheté cinq cents francs dans une vente de charité et dix mille balles qui tombent Qui dit mieux? Et je ne vous parle pas de tous ses autres prix… hein Choupinella, restons simples.