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Voilà.

Ducon.

J'en reste assise. Là encore, il n'y a pas d'autre mot.

Lui se lève (gestes amples et superbes), se dirige vers moi, fait mine de me serrer la main… Ne voyant aucune réaction de ma part, fait mine de me tendre la main… Ne voyant aucune réaction de ma part, fait mine de me prendre la main… Ne voyant aucune…

– Que se passe-t-il? Allons… ne soyez pas si abattue, vous savez c'est rarissime d'être publié dès son premier manuscrit. Vous savez j'ai confiance en vous. Je sens que nous ferons de grandes choses ensemble. Et même, je ne vous cache pas que je compte sur vous.

Arrête ton char Ben-Hur. Tu vois pas que je suis coincée.

– Ecoutez, je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m'arrive mais je ne peux pas me lever. C'est comme si je n'avais plus de forces. C'est idiot.

– Ca vous arrive souvent?

– Non. C'est la première fois.

– Vous souffrez?

– Non. Enfin un peu mais c'est autre chose.

– Bougez les doigts pour voir.

– Je n'y arrive pas.

– Vous êtes sûre???

– Ben… oui.

Long échange de regards, façon tu me tiens, je te tiens par la barbichette.

– (énervé) Vous le faites exprès ou quoi?

– (très énervée) Mais bien sûr que non voyons!!!

– Vous voulez que j'appelle un médecin?

– Non, non, ça va passer.

– Oui mais enfin bon, le problème c'est que j'ai d'autres rendez-vous moi… Vous ne pouvez pas rester là.

– Essayez encore…

– Rien.

– Qu'est-ce que c'est que cette histoire!

– Je sais pas… qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?… C'est peut-être une crise d'arthrose, ou un truc dû à une émotion trop forte.

– Si je vous dit: "Bon d'accord, je vous édite… vous vous relevez?"

– Mais bien sûr que non. Pour qui me prenez-vous? Est-ce que j'ai l'air aussi abrutie que ça?

– Non mais je veux dire si je vous édite vraiment?…

– D'abord je ne vous croirais pas… hé mais attendez, je ne suis pas là à vous demander la charité, je suis paralysée vous pouvez comprendre la différence?

– (se frottant la figure contre ses mains fines) Et c'est à moi que ça devait arriver… Bon dieu…

– (regardant sa montre) Ecoutez pour le moment, je vais vous déménager parce que là, j'ai vraiment besoin de mon bureau…

Et le voilà qui me pousse dans le couloir comme si j'étais dans un fauteuil roulant sauf que je ne suis pas dans un fauteuil roulant et que pour lui, ça doit faire une sacrée différence… Je me tasse bien.

Morfle mon ami. Morfle.

– Vous voulez un café maintenant?

– Oui. Avec plaisir. C'est gentil.

– Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que j'appelle un médecin?

– Non, non. Merci. Ca va partir comme c'est venu.

– Vous êtes trop contractée.

– Je sais.

Machinette n'a jamais eu de post-it rose collé sur son téléphone. Elle a été charmante avec moi l'autre fois parce que c'est une fille charmante.

Je n'aurais pas tout perdu aujourd'hui.

C'est vrai. On n'a pas si souvent l'occasion de regarder pendant plusieurs heures une fille comme elle. J'aime sa voix.

De temps en temps, elle me faisait des petits signes pour que je me sente moins seule.

Et puis les ordinateurs se sont tus, les répondeurs se sont mis en route, les lampes se sont éteintes et les lieux se sont vidés.

Je les voyais tous partir les uns après les autres et tous croyaient que j'étais là parce que j'avais rendez-vous. Tu parles.

Enfin Barbe-Bleue est sorti de son antre à faire pleurer les écrivaillons.

– Vous êtes encore là vous!!!

– Mais qu'est-ce que je vais faire de vous?

– Je ne sais pas.

– Mais si je sais. Je vais appeler le Samu ou les pompiers et ils vont vous évacuer dans les cinq minutes qui suivent! Vous n'avez pas l'intention de dormir là tout de même?!

– Non, n'appelez personne, s'il vous plaît… Ca va se décoincer, je le sens…

– Certes mais je dois fermer, c'est quelque chose que vous pouvez comprendre non?

– Descendez-moi sur le trottoir.

Tu penses bien que ce n'est pas lui qui m'a descendue. Il a hélé deux coursiers qui étaient dans les parages. Deux grands et beaux gars, des laquais tatoués pour ma chaise à porteurs.

Ils ont pris chacun un accoudoir et m'ont gentiment déposée en bas de l'immeuble.

Trop mignons.

Mon ex-futur éditeur, cet homme délicat qui compte sur moi dans l'avenir m'a saluée avec beaucoup de panache.

Il s'est éloigné en se retournant plusieurs fois et en secouant la tête comme pour se réveiller d'un mauvais rêve, non vraiment, il n'y croyait pas.

Au moins il aura des trucs à raconter au dîner. C'est sa femme qui va être contente. Il ne va pas lui casser les oreilles avec la crise de l'édition ce soir.

Pour la première fois de la journée, j'étais bien.

Je regardais les serveurs du restaurant d'en face qui s'affairaient autour de leurs nappes damassées, ils étaient très stylés (comme mes nouvelles, pensais-je en ricanant), surtout un, que je matais avec soin.

Exactement le genre de french garçon de café qui détraque le système hormonal des grosses Américaines en Reebok.

J'ai fumé une cigarette merveilleusement bonne en recrachant la fumée lentement et en observant les passants. Presque le bonheur (à quelques détails près dont la présence d'un horodateur sur ma droite qui puait la pisse de chien).

Combien de temps suis-je restée là, à contempler mon désastre ?

Je ne sais pas.

Le restaurant battait son plein et on voyait des couples attablés en terrasse qui riaient en buvant des ballons de rosé.

Je ne pouvais pas, m'empêcher de penser:

… dans une autre vie peut-être, mon éditeur m'aurait emmenée déjeuner là "parce que c'est plus pratique", m'aurait fait rire aussi et proposé un vin bien meilleur que ce côteaux-de-Provence… m'aurait pressée de terminer ce roman "étonnamment mûr pour une jeune femme de votre âge…" puis pris le bras en me raccompagnant vers une borne de taxis. Il m'aurait fait un peu de charme…

… dans une autre vie sûrement.

Bon ben… c'est pas le tout Marguerite, mais j'ai du repassage qui m'attend moi…

Je me suis levée d'un bond en tirant sur mon jean et je me suis dirigée vers une jeune femme splendide assise sur le socle d'une statue d'Auguste Comte.

Regardez-la.

Belle, sensuelle, racée, avec des jambes irréprochables et des chevilles très fines, le nez retroussé, le front bombé, l'allure belliqueuse et fière.

Habillée avec de la ficelle et des tatouages.

Les lèvres et les ongles peints en noir. Une fille incroyable.

Elle jetait régulièrement des regards agacés vers la rue adjacente. Je crois que son amoureux était en retard.

Je lui ai tendu mon manuscrit:

– Tenez, j'ai dit, cadeau. Pour que le temps vous paraisse moins long.

Je crois qu'elle m'a remerciée mais je n'en suis pas certaine parce qu'elle n'était pas française Navrée par ce petit détail, j'ai bien failli reprendre mon magnifique don et puis… à quoi bon me suis-je dit, et en m'éloignant, j'étais même plutôt contente.

Mon manuscrit se trouvait désormais entre les mains de la plus belle fille du monde.

Ca me consolait.

Un peu.

***