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Et en effet, vers le soir, comme les autres petits, las d’avoir fait dans la maison toutes les sottises possibles, commen?aient ? geindre qu’ils s’ennuyaient et qu’ils avaient faim, Louisa rentra pr?cipitamment, les prit par la main et les emmena chez grand-p?re. Elle allait tr?s vite; et Ernst et Rodolphe essay?rent de grogner, suivant leur habitude; mais Louisa leur imposa silence d’un tel ton qu’ils se turent. Une peur instinctive les gagnait: au moment d’entrer, ils se mirent ? pleurer. Il ne faisait pas encore tout ? fait nuit; les derni?res lueurs du couchant allumaient d’?tranges reflets ? l’int?rieur de la maison, sur le bouton de la porte, sur le miroir, sur le violon accroch? au mur dans la premi?re pi?ce ? demi obscure. Mais, chez le vieux, une bougie ?tait allum?e; et la flamme vacillante, se heurtant au jour livide qui s’?teignait, rendait plus oppressante l’ombre lourde de la chambre. Assis pr?s de la fen?tre, Melchior pleurait avec bruit. Le m?decin, pench? sur le lit, emp?chait de voir celui qui y ?tait couch?. Le c?ur de Christophe battait ? se rompre. Louisa fit agenouiller les enfants au pied du lit. Christophe se risqua ? regarder. Il s’attendait ? quelque chose de si terrifiant, apr?s le spectacle de l’apr?s-midi, qu’au premier coup d’?il, il fut presque soulag?. Grand-p?re ?tait immobile et semblait dormir. L’enfant eut, un instant, l’illusion que grand-p?re ?tait gu?ri. Mais quand il entendit son souffle oppress?, quand, en regardant mieux, il vit cette figure bouffie, o? la meurtrissure de la chute faisait une large tache violac?e, quand il comprit que celui qui ?tait l? allait mourir, il se mit ? trembler; et, tout en r?p?tant la pri?re de Louisa pour que grand-p?re gu?r?t, il priait au fond de lui pour que, si grand-p?re ne devait pas gu?rir, grand-p?re f?t d?j? mort. Il avait l’?pouvante de ce qui allait se passer.

Le vieux n’avait plus sa connaissance, depuis l’instant o? il ?tait tomb?. Il ne la retrouva qu’un moment, juste assez pour prendre connaissance de son ?tat: – et ce fut lugubre. Le pr?tre ?tait l? et r?citait sur lui les derni?res pri?res. On souleva le vieillard sur son oreiller; il rouvrit lourdement ses yeux, qui ne semblaient plus ob?ir ? sa volont?; il respira bruyamment, regarda, sans comprendre, les figures, les lumi?res; et soudain, il ouvrit la bouche; un effroi indicible se peignait sur ses traits.

– Mais alors… – il b?gayait, – mais alors, je vais mourir!… L’accent terrible de cette voix per?a le c?ur de Christophe; jamais elle ne devait plus sortir de sa m?moire. Le vieux ne parlait plus, il g?missait comme un petit enfant. Puis l’engourdissement le reprit; mais sa respiration devenait encore plus p?nible; il se plaignait, il remuait les mains, il semblait lutter contre le sommeil mortel. Dans sa demi-conscience, une fois il appela:

– Maman!

? l’impression poignante! ce balbutiement du vieux homme, appelant sa m?re avec angoisse, comme Christophe aurait fait, – sa m?re dont jamais il ne parlait dans la vie ordinaire, supr?me et inutile recours dans la terreur supr?me!… Il parut s’apaiser un instant; il eut une lueur de conscience. Ses lourds yeux, dont l’iris semblait flotter ? la d?rive, rencontr?rent le petit, glac? de peur. Ils s’?clair?rent. Le vieux fit un effort pour sourire et parler. Louisa prit Christophe et l’approcha du lit. Jean-Michel remua les l?vres et chercha ? lui caresser la t?te avec sa main. Mais aussit?t il retomba dans sa torpeur. Ce fut la fin.

On avait renvoy? les enfants dans la chambre ? c?t?; mais on avait trop ? faire pour s’occuper d’eux. Christophe, attir? par l’horreur, ?piait, du seuil de la porte entrouverte, le tragique visage, renvers? sur l’oreiller, ?trangl? par l’?treinte f?roce qui se resserrait autour du cou… cette figure qui se creusait de seconde en seconde… cet enfoncement de l’?tre dans le vide, qui semblait l’aspirer comme une pompe… l’abominable r?le, cette respiration m?canique, semblable ? une bulle d’air qui cr?ve ? la surface de l’eau, derniers souffles du corps, qui s’obstine ? vivre, quand l’?me n’est d?j? plus. – Puis, la t?te glissa ? c?t? de l’oreiller. Et tout se tut.

Ce ne fut que quelques minutes apr?s, au milieu des sanglots, des pri?res, de la confusion caus?e par la mort, que Louisa aper?ut l’enfant, bl?me, la bouche crisp?e, les yeux dilat?s, qui serrait convulsivement la poign?e de la porte. Elle courut ? lui. Il fut pris, dans ses bras, d’une crise. Elle l’emporta. Il perdit connaissance. Il se retrouva dans son lit, hurla d’effroi, parce qu’on l’avait laiss? seul un instant, eut une nouvelle crise, et s’?vanouit encore. Il passa le reste de la nuit et la journ?e du lendemain dans la fi?vre. Enfin il s’apaisa et tomba, la seconde nuit, dans un sommeil profond, qui se prolongea jusqu’au milieu du jour suivant. Il avait l’impression qu’on marchait dans la chambre, que sa m?re ?tait pench?e sur son lit et l’embrassait: il crut entendre le chant doux et lointain des cloches. Mais il ne voulait pas remuer; il ?tait comme dans un r?ve.

Quand il rouvrit les yeux, l’oncle Gottfried ?tait assis au pied de son lit. Christophe ?tait bris?, et ne se souvenait de rien. Puis la m?moire lui revint, il se mit ? pleurer. Gottfried se leva et l’embrassa.

– Eh bien, mon petit, eh bien? disait-il doucement.

– Ah! oncle, oncle! g?missait l’enfant se serrant contre lui.

– Pleure, disait Gottfried, pleure!

Il pleurait aussi.

Lorsqu’il fut un peu soulag?, Christophe essuya ses yeux et regarda Gottfried. Gottfried comprit qu’il voulait lui demander quelque chose.

– Non, fit-il, en mettant un doigt sur sa bouche. Il ne faut pas parler. Pleurer est bon. Parler est mauvais.

L’enfant insistait.

– Cela ne sert ? rien.

– Seulement une chose, une seule!…

– Quoi?

Christophe h?sita:

– Ah! oncle, demanda-t-il, o? est-il maintenant?

Gottfried r?pondit:

– Il est avec le Seigneur, mon enfant.

Mais ce n’?tait pas ce que demandait Christophe.

– Non, tu ne comprends pas: O? est-il, lui?

(Il voulait dire: le corps.)

Il continua, d’une voix tremblante:

– Est-ce qu’il est toujours dans la maison?

– On a enterr? le cher homme, ce matin, dit Gottfried. N’as-tu pas entendu les cloches?

Christophe fut soulag?. Puis, ? la pens?e qu’il ne reverrait plus le cher grand-p?re, il pleura de nouveau, am?rement.

– Pauvre petit chat! r?p?tait Gottfried, regardant l’enfant avec commis?ration.

Christophe attendait que Gottfried le consol?t; mais Gottfried n’essayait pas, sachant que c’est inutile.

– Oncle Gottfried, demanda l’enfant, est-ce que tu n’as donc pas peur aussi de cela, toi?

(Combien il e?t voulu que Gottfried n’e?t pas peur et qu’il lui enseign?t son secret!)

Mais Gottfried devint soucieux.

– Chut! fit-il, d’une voix alt?r?e…

– Et comment n’avoir pas peur? dit-il apr?s un instant. Mais qu’y faire? C’est ainsi. Il faut se soumettre.

Christophe secoua la t?te avec r?volte.

– Il faut se soumettre, mon enfant, r?p?ta Gottfried. Il l’a voulu. Il faut aimer ce qu’Il veut.

– Je le d?teste! cria Christophe haineusement, montrant le poing au ciel.

Gottfried, constern?, le fit taire. Christophe lui-m?me eut peur de ce qu’il venait de dire, et il se mit ? prier avec Gottfried. Mais son c?ur bouillonnait; et tandis qu’il r?p?tait les mots d’humilit? servile et de r?signation, il n’y avait au fond de lui qu’un sentiment de r?volte passionn?e et d’horreur contre l’abominable chose, et l’?tre monstrueux qui l’avait pu cr?er.

*

Les jours s’?coulent, et les nuits pluvieuses, sur la terre fra?chement remu?e, au fond de laquelle le pauvre vieux Jean-Michel g?t abandonn?. Sur le moment, Melchior a beaucoup pleur?, cri?, sanglot?. Mais la semaine n’est pas finie, que Christophe l’entend rire de bon c?ur. Quand on prononce devant lui le nom du d?funt, sa figure s’allonge et prend un air lugubre; mais, l’instant d’apr?s, il recommence ? parler et ? gesticuler avec animation. Il est sinc?rement afflig?; mais il lui est impossible de rester sous une impression triste.

Louisa, passive, r?sign?e, a accept? ce malheur, comme elle accepte tout. Elle a ajout? une pri?re ? ses pri?res de chaque jour; elle va r?guli?rement au cimeti?re, et prend soin de la tombe, comme si la tombe faisait partie du m?nage.

Gottfried a des attentions touchantes pour le petit carr? de terre, o? dort le vieux. Quand il vient dans le pays, il y porte un souvenir, une croix qu’il a fabriqu?e, quelques fleurs que Jean-Michel aimait. Il n’y manque jamais; et il se cache pour le faire.