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Quand Minna eut terminé la lettre, elle prit un ouvrage, et, s’asseyant à quelques pas de lui, se mit à lui raconter le voyage qu’elle avait fait. Elle parlait des semaines agréables qu’elle avait passées, des promenades à cheval, de la vie de château, de la société intéressante; elle s’animait peu à peu et faisait des allusions à des événements ou à des gens que Christophe ne connaissait pas, et dont le souvenir les faisait rire, sa mère et elle. Christophe se sentait un étranger au milieu de ce récit; il ne savait quelle contenance faire, et riait d’un air gêné. Il ne quittait pas des yeux le visage de Minna, implorant l’aumône d’un regard. Mais quand elle le regardait, – ce qu’elle faisait rarement, s’adressant plus souvent à sa mère qu’à lui, – ses yeux, comme sa voix, étaient aimables et indifférents. Se surveillait-elle à cause de sa mère? Il eût voulu lui parler, seul à seule; mais madame de Kerich ne les quitta pas un moment. Il essaya de mettre la conversation sur un sujet qui lui fût personnel; il parla de ses travaux, de ses projets; il avait conscience que Minna lui échappait; et il tâchait de l’intéresser à lui. En effet, elle sembla l’écouter avec beaucoup d’attention; elle coupait son récit par des interjections variées, qui ne tombaient pas toujours très à propos, mais dont le ton semblait plein d’intérêt. Mais au moment où il se remettait à espérer, grisé par un de ses charmants sourires, il vit Minna mettre sa petite main devant sa bouche, et bâiller. Il s’interrompit net. Elle s’en aperçut, et s’excusa aimablement, prétextant sa fatigue. Il se leva, pensant qu’on le retiendrait encore; mais on ne lui dit rien. Il prolongeait ses saluts, il attendait une invitation à revenir le lendemain: il n’en fut pas question. Il fallut partir. Minna ne le reconduisit pas. Elle lui tendit la main, – une main indifférente, qui s’abandonnait froidement dans sa main; et il prit congé d’elle au milieu du salon.

Il rentra chez lui, l’effroi au cœur. De la Minna d’il y avait deux mois, de sa chère Minna, il ne restait plus rien. Que s’était-il passé? Qu’était-elle devenue? Pour un pauvre garçon, qui n’avait jamais encore éprouvé les changements incessants, la disparition totale, et le renouvellement absolu des âmes vivantes, dont la plupart ne sont pas des âmes, mais des collections d’âmes, qui se succèdent, et s’éteignent constamment, la simple vérité était trop cruelle pour qu’il pût se résoudre à y croire. Il en repoussait l’idée avec épouvante, et tâchait de se persuader qu’il avait mal su voir, que Minna était toujours la même. Il décida de retourner chez elle, le lendemain matin, de lui parler à tout prix.

Il ne dormit pas. Il compta, dans la nuit, toutes les sonneries de l’horloge. Dès la première heure, il alla rôder autour de la maison des de Kerich; il entra aussitôt qu’il put. Ce ne fut pas Minna qu’il vit, ce fut madame de Kerich. Active et matinale, elle s’occupait à arroser avec une carafe les pots de fleurs sous la véranda. Elle eut une exclamation moqueuse, en apercevant Christophe:

– Ah! fit-elle, c’est vous!… Vous venez à propos, j’ai justement à vous parler. Attendez, attendez…

Elle rentra un moment, pour déposer la carafe et s’essuyer les mains, et revint, avec un petit sourire, en voyant la mine déconfite de Christophe, qui sentait l’approche du malheur.

– Allons au jardin, reprit-elle, nous serons plus tranquilles.

Dans le jardin, tout rempli de son amour, il suivit madame de Kerich. Elle ne se pressait pas de parler, s’amusant du trouble de l’enfant.

– Asseyons-nous là, dit-elle enfin.

Ils étaient sur le banc, où Minna lui avait tendu ses lèvres, la veille du départ.

– Je pense que vous savez de quoi il s’agit, dit madame de Kerich, qui prit un air grave, pour achever de le confondre. Je n’aurais jamais cru cela, Christophe. Je vous estimais un garçon sérieux. J’avais confiance en vous. Je n’aurais jamais pensé que vous en abuseriez, pour essayer de tourner la tête à ma fille. Elle était sous votre garde. Vous deviez la respecter, me respecter, vous respecter vous-même.

Il y avait une légère ironie dans le ton: – madame de Kerich n’attachait pas la moindre importance à cet amour d’enfants; – mais Christophe ne le sentit pas; et ces reproches, qu’il prit au tragique, comme il prenait toute chose, lui allèrent au cœur.

– Mais, madame… mais, madame…, balbutia-t-il, les larmes aux yeux, je n’ai jamais abusé de votre confiance… Ne le croyez pas, le vous en prie… Je ne suis pas un malhonnête homme, je vous jure!… J’aime mademoiselle Minna, je l’aime de toute mon âme, mais je veux l’épouser.

Madame de Kerich sourit.

– Non, mon pauvre garçon, dit-elle, avec cette bienveillance, si dédaigneuse au fond, qu’il allait enfin comprendre, – non, ce n’est pas possible, c’est un enfantillage.

– Pourquoi? Pourquoi? demandait-il.

Il lui saisissait les mains, ne croyant pas qu’elle parlât sérieusement, rassuré presque par sa voix plus douce. Elle continuait de sourire, et disait:

– Parce que.

Il insistait. Avec des ménagements ironiques, – (elle ne le prenait pas tout à fait au sérieux) – elle lui dit qu’il n’avait pas de fortune, que Minna avait d’autres goûts. Il protestait que cela ne faisait rien, qu’il serait riche, célèbre, qu’il aurait les honneurs, l’argent, tout ce que voudrait Minna. Madame de Kerich se montrait sceptique; elle était amusée de cette confiance en soi, et se contentait de secouer la tête pour dire non. Il s’obstinait toujours.

– Non, Christophe, dit-elle d’un ton décidé, non, ce n’est pas la peine de discuter, c’est impossible. Il ne s’agit pas seulement d’argent. Tant de choses!… La situation…

Elle n’eut pas besoin d’achever. Ce fut une aiguille qui le perça jusqu’aux moelles. Ses yeux s’ouvrirent. Il vit l’ironie du sourire amical, il vit la froideur du regard bienveillant, il comprit brusquement tout ce qui le séparait de cette femme, qu’il aimait d’un amour filial, qui semblait le traiter d’une façon maternelle; il sentait ce qu’il y avait de protecteur et de dédaigneux dans son affection. Il se leva, tout pâle. Madame de Kerich continuait à lui parler de sa voix caressante; mais c’était fini: il n’entendait plus la musique des paroles, il percevait sous chaque mot la sécheresse de cette âme élégante. Il ne put répondre un mot. Il partit. Tout tournait autour de lui.

Rentré dans sa chambre, il se jeta sur son lit, et il eut une convulsion de colère et d’orgueil révolté, comme quand il était petit. Il mordait son oreiller, il enfonçait son mouchoir dans sa bouche, pour qu’on ne l’entendît pas crier. Il haïssait madame de Kerich. Il haïssait Minna. Il les méprisait avec fureur. Il lui semblait qu’il avait été souffleté, il tremblait de honte et de rage. Il lui fallait répondre, agir sur-le-champ. Il mourrait, s’il ne se vengeait.

Il se releva, et écrivit une lettre d’une violence imbécile:

«Madame,

«Je ne sais pas si, comme vous le dites, vous vous êtes trompée sur moi. Mais ce que je sais, c’est que je me suis trompé cruellement sur vous. J’avais cru que vous étiez mes amies. Vous le disiez, vous faisiez semblant de l’être, et je vous aimais plus que ma vie. Je vois maintenant que tout cela est un mensonge, et que votre affection pour moi n’était qu’une duperie: vous vous serviez de moi, je vous amusais, je vous distrayais, je vous faisais de la musique, – j’étais votre domestique. Votre domestique, je ne le suis pas! Je ne suis celui de personne!