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Pendant toute une semaine, Louisa enrhum?e garda la chambre. Christophe et Sabine se trouv?rent seuls. La premi?re fois, ils en furent effray?s. Sabine, pour se donner une contenance, tenait la petite sur ses genoux, et la mangeait de baisers. Christophe, g?n?, ne savait pas s’il devait continuer d’ignorer ce qui se passait aupr?s de lui. Cela devenait difficile: bien qu’ils ne se fussent pas encore adress? la parole, la connaissance ?tait faite, gr?ce ? Louisa. Il essaya de sortir une ou deux phrases de sa gorge; mais les sons s’arr?taient en route. La fillette, une fois de plus, les tira d’embarras. En jouant ? cache-cache, elle tournait autour de la chaise de Christophe, qui l’attrapa au passage et l’embrassa. Il n’aimait pas beaucoup les enfants; mais il ?prouvait une douceur singuli?re ? embrasser celle-ci. La petite se d?battait, tout occup?e de son jeu. Christophe la taquina, elle lui mordit les mains; il la laissa glisser ? terre. Sabine riait. Ils ?chang?rent, en la regardant, des mots insignifiants. Puis Christophe essaya – (il s’y crut oblig?) – de lier conversation; mais il n’avait pas grandes ressources de parole; et Sabine ne lui facilitait pas la t?che: elle se contentait de r?p?ter ce qu’il venait de dire:

– Il faisait bon, ce soir.

– Oui, ce soir ?tait excellent.

– On ne respirait pas dans la cour.

– Oui, la cour ?tait ?touffante.

L’entretien devenait p?nible. Sabine profita de ce qu’il ?tait l’heure de faire rentrer la petite, pour rentrer avec elle; et elle ne se montra plus.

Christophe craignit qu’elle ne f?t de m?me, les soirs suivants, et qu’elle ?vit?t de se trouver avec lui, tant que Louisa ne serait pas l?. Mais ce fut tout le contraire; et, le lendemain, Sabine essaya de reprendre l’entretien. Elle le faisait par volont? plut?t que par plaisir; on sentait qu’elle se donnait beaucoup de mal pour trouver des sujets de conversation, et qu’elle s’ennuyait elle-m?me des questions qu’elle posait: demandes et r?ponses tombaient au milieu de silences navrants. Christophe se rappelait les premiers t?te-?-t?te avec Otto; mais avec Sabine, les sujets ?taient plus restreints encore, et elle n’avait pas la patience d’Otto. Quand elle vit le peu de succ?s de ses tentatives, elle n’insista pas: il fallait se donner trop de mal, cela ne l’int?ressait plus. Elle se tut, et il l’imita.

Aussit?t, tout redevint tr?s doux. La nuit reprit son calme, et le c?ur ses pens?es. Sabine se balan?ait lentement sur sa chaise, en r?vant. Christophe r?vait, ? ses c?t?s. Ils ne se disaient rien. Au bout d’une demi-heure, Christophe, se parlant ? lui-m?me, s’extasia ? mi-voix sur les effluves grisants apport?s par le vent ti?de qui venait de passer sur une charrette de fraises. Sabine r?pondit deux ou trois mots. Ils se turent de nouveau. Ils savouraient le charme de ces silences ind?finis, de ces mots indiff?rents. Ils subissaient le m?me r?ve; ils ?taient pleins d’une seule pens?e; ils ne savaient point laquelle, ils ne se l’avouaient pas ? eux-m?mes. Quand onze heures sonn?rent, ils se quitt?rent souriant.

Le jour d’apr?s, ils ne tent?rent m?me plus de renouer conversation: ils reprirent leur cher silence. De loin en loin, quelques monosyllabes leur servaient ? reconna?tre qu’ils pensaient aux m?mes choses.

Sabine se mit ? rire.

– Comme c’est mieux, dit-elle, de ne pas se forcer ? parler! On s’y croit oblig?, et c’est si ennuyeux!

– Ah! fit Christophe, d’un ton p?n?tr?, si tout le monde ?tait de votre avis!

Ils rirent tous deux. Ils pensaient ? madame Vogel.

– La pauvre femme! dit Sabine, comme elle est fatigante!

– Elle ne se fatigue jamais, reprit Christophe, d’un air navr?.

Sabine s’?gaya de son air et de son mot.

– Vous trouvez cela plaisant? dit-il. Cela vous est bien ais?, ? vous. Vous ?tes ? l’abri.

– Je crois bien! dit Sabine. Je m’enferme ? clef chez moi. Elle avait un petit rire doux, presque silencieux. Christophe l’?coutait, ravi, dans le calme de la nuit. Il aspira l’air frais, avec d?lices.

– Ah! que c’est bon de se taire! fit-il en s’?tirant.

– Et que c’est inutile de parler! dit-elle.

– Oui, dit Christophe, on se comprend si bien!

Ils retomb?rent dans leur silence. La nuit les emp?chait de se voir. Ils souriaient tous deux.

Pourtant, s’ils sentaient de m?me, quand ils ?taient ensemble, – ou s’ils se l’imaginaient, – ils ne savaient rien l’un de l’autre. Sabine ne s’en inqui?tait aucunement. Christophe ?tait plus curieux. Un soir, il lui demanda:

– Aimez-vous la musique?

– Non, dit-elle simplement. Elle m’ennuie. Je n’y comprends rien du tout.

Cette franchise le charma. Il ?tait exc?d? par les mensonges des gens qui se disaient fous de musique et qui mouraient d’ennui, quand ils en entendaient: ce lui semblait presque une vertu de ne pas l’aimer et de le dire. Il s’informa si Sabine lisait.

– Non. D’abord, elle n’avait pas de livres.

Il lui offrit les siens.

– Des livres s?rieux? demanda-t-elle inqui?te.

– Pas de livres s?rieux, si elle ne voulait pas. Des po?sies.

– Mais ce sont des livres s?rieux!

– Des romans, alors.

Elle fit la moue.

– Cela ne l’int?ressait pas?

– Si, cela l’int?ressait; mais c’?tait toujours trop long; jamais elle n’avait la patience d’aller jusqu’au bout. Elle oubliait le commencement, elle sautait des chapitres, et elle ne comprenait plus rien. Alors elle jetait le livre.

– Belle preuve d’int?r?t!

– Bah! c’?tait assez pour une histoire pas vraie. Elle r?servait son int?r?t pour autre chose que pour des livres.

– Pour le th??tre peut-?tre?

– Ah! bien, non!

– Est-ce qu’elle n’y allait pas?

– Non. Il faisait trop chaud. Il y avait trop de monde. On est bien mieux chez soi. Les lumi?res font mal aux yeux. Et les acteurs sont si laids!

L?-dessus, il ?tait d’accord avec elle. Mais il y avait encore autre chose au th??tre: les pi?ces.

– Oui, fit-elle distraitement. Mais je n’ai pas le temps.

– Que pouvez-vous faire du matin jusqu’au soir?

Elle souriait:

– Il y a tant ? faire!

– C’est vrai, dit-il, vous avez votre magasin.

– Oh! fit-elle tranquillement, cela ne m’occupe pas beaucoup.

– C’est votre fillette alors qui vous prend tout votre temps?

– Oh! non, la pauvre petite! elle est bien sage, elle s’amuse toute seule.

– Alors?

Il s’excusa de son indiscr?tion. Mais elle s’en amusait.

– Il y avait tant, tant de choses!

– Quelles?

– Elle ne pouvait pas dire. Il y en avait de toutes sortes. Quand ce ne serait que de se lever, faire sa toilette, penser au d?ner, faire le d?ner, manger le d?ner, penser au souper, ranger un peu sa chambre… La journ?e ?tait d?j? finie… Et il fallait bien pourtant avoir aussi un peu de temps pour ne rien faire!…

– Et vous ne vous ennuyez pas?

– Jamais.

– M?me quand vous ne faites rien?

– Surtout quand je ne fais rien. C’est bien plut?t de faire quelque chose, qui m’ennuie.

Ils se regard?rent en riant.

– Que vous ?tes heureuse! dit Christophe. Moi, je ne sais pas ne rien faire.

– Il me semble que vous savez tr?s bien.

– J’apprends depuis quelques jours.

– Eh bien, vous arriverez.

Il avait le c?ur paisible et repos?, quand il venait de causer avec elle. Il lui suffisait de la voir. Il se d?tendait de ses inqui?tudes, de ses irritations, de cette angoisse nerveuse qui lui contractait le c?ur. Nul trouble quand il lui parlait. Nul trouble quand il songeait ? elle. Il n’osait se l’avouer; mais d?s qu’il ?tait pr?s d’elle, il se sentait p?n?tr? par une torpeur d?licieuse, il s’assoupissait presque. Les nuits, il dormait comme il n’avait jamais dormi.