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– Eh bien, n’y pensons pas.

– Moi, je veux y penser… Tu ne m’en voudrais pas? Tu ne peux pas m’en vouloir?

– Je ne t’en voudrais pas, je te quitterais, voil? tout.

– Me quitter? Pourquoi donc? Si je t’aimais encore?…

– Tout en aimant un autre?

– Sans doute. Cela arrive.

– Eh bien, cela n’arrivera pas pour nous.

– Pourquoi?

– Parce que, le jour o? tu aimeras un autre, je ne t’aimerai plus, mon petit, plus du tout, plus du tout.

– Tout ? l’heure, tu disais peut-?tre… Ah! tu vois, tu n’aimes pas!

– Soit. Cela vaut mieux pour toi.

– Parce que?…

– Parce que si je t’aimais, quand tu aimerais un autre, cela pourrait mal tourner pour toi, moi, et l’autre.

– Voil?!… Tu es fou maintenant. Alors je suis condamn?e ? rester avec toi, toute ma vie?

– Tranquillise-toi. Tu es libre. Tu me quitteras, quand tu voudras. Seulement, ce ne sera pas au revoir, ce sera adieu.

– Mais si je continue de t’aimer, moi?

– Quand on s’aime, on se sacrifie l’un ? l’autre.

– Eh bien, sacrifie-toi!

Il ne put s’emp?cher de rire de son ?go?sme; et elle rit aussi.

– Le sacrifice d’un seul, dit-il, ne fait que l’amour d’un seul.

– Pas du tout. Il fait l’amour des deux. Je t’aimerai beaucoup plus, si tu te sacrifies pour moi. Et pense donc, Christli, comme, de ton c?t?, tu m’aimeras beaucoup, puisque tu te seras sacrifi?, tu seras tr?s heureux.

Ils riaient, contents de se donner le change sur le s?rieux de leur dissentiment.

Il riait, et il la regardait. Au fond, comme elle le disait, elle n’avait nul d?sir de quitter maintenant Christophe; s’il l’irritait et l’ennuyait souvent, elle savait ce que valait un d?vouement comme le sien; et elle n’aimait personne autre. Elle parlait ainsi par jeu, moiti? parce qu’elle savait que cela lui ?tait d?sagr?able, moiti? parce qu’elle trouvait plaisir ? jouer avec des pens?es douteuses et malpropres, comme un enfant qui se d?lecte ? tripoter dans l’eau sale. Il le savait. Il ne lui en voulait pas. Mais il ?tait las de ces discussions malsaines, de la lutte sourde engag?e contre cette nature incertaine et trouble, qu’il aimait, qui peut-?tre l’aimait; il ?tait las de l’effort qu’il devait faire pour se duper sur son compte, las parfois ? pleurer. Il pensait: «Pourquoi, pourquoi est-elle ainsi? Pourquoi est-on ainsi? Comme la vie est m?diocre!»… En m?me temps, il souriait, en regardant le joli visage qui se penchait vers lui, ses yeux bleus, son teint de fleur, sa bouche rieuse et bavarde, un peu sotte, entr’ouverte sur l’?clat frais de sa langue et de ses dents humides. Leurs l?vres se touchaient presque; et il la regardait, comme de loin, de tr?s loin, d’un autre monde; il la voyait s’?loigner de plus en plus, se perdre dans un brouillard… Et puis, il ne la voyait plus. Il ne l’entendait plus. Il tombait dans une sorte d’oubli souriant, o? il pensait ? sa musique, ? ses r?ves, ? mille choses ?trang?res ? Ada. Il entendait un air. Il composait tranquillement… Ah! la belle musique!… si triste, mortellement triste! et pourtant bonne, aimante… ah! que cela fait du bien!… c’est cela, c’est cela… Le reste n’?tait pas vrai…

On le secouait, par le bras. Une voix lui criait:

– Eh bien, qu’est-ce que tu as? D?cid?ment, tu es fou? Pourquoi est-ce que tu me regardes comme cela? Pourquoi ne r?ponds-tu pas?

Il revoyait les yeux qui le regardaient. Qui ?tait-ce?… – Ah! oui… – Il soupirait.

Elle l’examinait. Elle cherchait ? savoir ? quoi il pensait. Elle ne comprenait pas; mais elle sentait qu’elle avait beau faire: elle ne le tenait pas tout entier, il y avait toujours une porte, par o? il pouvait s’?chapper. Elle s’irritait en secret.

– Pourquoi est-ce que tu pleures? lui demanda-t-elle une fois, au sortir d’un de ces voyages ?tranges dans une autre vie.

Il se passa la main sur les yeux. Il sentit qu’ils ?taient mouill?s.

– Je ne sais pas, dit-il.

– Pourquoi ne r?ponds-tu pas? Voil? trois fois que je te dis la m?me chose.

– Que veux-tu? demanda-t-il doucement.

Elle reprit ses sujets de discussions saugrenues.

Il fit un geste de lassitude.

– Oui, dit-elle, je finis. Plus qu’un mot!

Et elle repartit de plus belle.

Christophe se secoua avec col?re.

– Veux-tu me laisser tranquille avec tes salet?s!

– Je plaisante.

– Trouve des sujets plus propres!

– Discute au moins. Dis pourquoi cela te d?plait.

– Point du tout! Il n’y a pas ? discuter pourquoi le fumier pue. Il pue, et voil? tout! Je me bouche le nez, et je m’en vais.

Il s’en allait, furieux; il se promenait ? grands pas, respirant l’air glac?.

Mais elle recommen?ait, une fois, deux fois, dix fois. Elle mettait sur le tapis tous les sujets qui pouvaient choquer et blesser sa conscience.

Il pensait que ce n’?tait l? qu’un jeu malsain de fille neurasth?nique, qui s’amusait ? l’agacer. Il haussait les ?paules ou feignait de ne pas l’?couter: il ne la prenait pas au s?rieux. Il n’en avait pas moins envie parfois de la jeter par la fen?tre; car la neurasth?nie et les neurasth?niques ?taient fort peu de son go?t…

Mais il lui suffisait de dix minutes loin d’elle, pour avoir oubli? tout ce qui lui d?plaisait. Il revenait ? Ada avec une provision d’espoirs et d’illusions nouvelles. Il l’aimait. L’amour est un acte de foi perp?tuel. Que Dieu existe ou non, cela n’importe gu?re: on croit parce qu’on croit. On aime parce qu’on aime: il n’y faut pas tant de raisons!…

*

Apr?s la sc?ne que Christophe avait faite aux Vogel, il ?tait devenu impossible de rester dans la maison, et Louisa avait d? chercher un autre logement pour son fils et pour elle.

Un jour, le plus jeune fr?re de Christophe, Ernst, dont on n’avait plus de nouvelles depuis longtemps, tomba brusquement chez eux. Il ?tait sans place, s’?tant fait chasser successivement de toutes celles qu’il avait essay?es; sa bourse ?tait vide, et sa sant? d?labr?e: aussi avait-il jug? bon de venir se refaire dans la maison maternelle.

Ernst n’?tait en mauvais termes avec aucun de ses deux fr?res; il ?tait peu estim? des deux, et il le savait; mais il ne leur en voulait pas, car cela lui ?tait indiff?rent. Ils ne lui en voulaient pas non plus. C’e?t ?t? peine perdue. Tout ce qu’on lui disait glissait sur lui, sans laisser aucune trace. Il souriait de ses jolis yeux c?lins, t?chait de prendre un air contrit, pensait ? autre chose, approuvait, remerciait, et finissait toujours par extorquer de l’argent ? l’un ou ? l’autre de ses fr?res. En d?pit de lui-m?me, Christophe avait de l’affection pour cet aimable dr?le, qui, de traits, ressemblait, comme lui, plus que lui, ? leur p?re Melchior. Grand et fort comme Christophe, il avait une figure r?guli?re, l’air franc, les yeux clairs, un nez droit, une bouche riante, de belles dents, et des mani?res caressantes. Quand Christophe le voyait, il ?tait d?sarm?, et il ne lui faisait pas la moiti? des reproches qu’il avait pr?par?s: au fond, il ?prouvait une sorte de complaisance maternelle pour ce beau gar?on, qui ?tait de son sang, et qui, physiquement du moins, lui faisait honneur. Il ne le croyait pas mauvais; et Ernst n’?tait point sot. Sans culture, il n’?tait pas sans esprit; il n’?tait m?me pas incapable de s’int?resser aux choses de l’esprit. Il go?tait une jouissance ? entendre de la musique; et, sans comprendre celle de son fr?re, il l’?coutait curieusement. Christophe, qui n’?tait pas g?t? par la sympathie des siens, avait eu plaisir ? l’apercevoir, ? certains de ses concerts.

Mais le talent principal de Ernst ?tait la connaissance qu’il avait du caract?re de ses deux fr?res, et son habilet? ? en jouer. Christophe avait beau savoir son ?go?sme et son indiff?rence, il avait beau voir que Ernst ne pensait ? sa m?re et ? lui que quand il avait besoin d’eux: il se laissait toujours reprendre par ses fa?ons affectueuses, et il ?tait bien rare qu’il lui refus?t rien. Il le pr?f?rait de beaucoup ? son autre fr?re, Rodolphe, qui ?tait rang? et correct, appliqu? ? ses affaires, hautement moral, qui ne demandait pas d’argent, qui n’en e?t pas donn? non plus, et qui venait voir sa m?re r?guli?rement, tous les dimanches, pendant une heure, ne parlait que de lui, se vantait, vantait sa maison et tout ce qui le concernait, ne s’informait pas des autres, ne s’y int?ressait pas, et s’en allait, l’heure sonnant, satisfait du devoir accompli. Celui-l?, Christophe ne pouvait le souffrir. Il s’arrangeait pour ?tre sorti, ? l’heure o? Rodolphe venait. Rodolphe le jalousait: il m?prisait les artistes, et les succ?s de Christophe lui ?taient p?nibles. Il ne laissait pas cependant de profiter de leur petite notori?t? dans les milieux commer?ants qu’il fr?quentait; mais jamais il n’en disait un mot ? sa m?re, ni ? Christophe: il feignait de les ignorer. Par contre, il n’ignorait jamais le moindre ?v?nement d?sagr?able qui arrivait ? Christophe. Christophe m?prisait ces petitesses, et feignait de ne point les remarquer; mais ce qui lui e?t ?t? plus sensible, et ce qu’il n’e?t jamais pens?, c’est qu’une partie des renseignements malveillants que Rodolphe avait sur lui, venaient de Ernst. Le petit gueux faisait fort bien la diff?rence de Christophe et de Rodolphe: nul doute qu’il ne reconn?t la sup?riorit? de Christophe, et que peut-?tre m?me, il n’e?t une sympathie, un peu ironique, pour sa candeur. Mais il se gardait bien de n’en pas profiter; et, tout en m?prisant les mauvais sentiments de Rodolphe, il les exploitait honteusement. Il flattait sa vanit? et sa jalousie, acceptait ses rebuffades avec d?f?rence, et le tenait au courant des potins scandaleux de la ville, en particulier, de tout ce qui concernait Christophe, – dont il ?tait toujours merveilleusement inform?. Il en arrivait ? ses fins; et Rodolphe, malgr? son avarice, se laissait carotter par Ernst, comme Christophe.