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– Si tu crois que je connais tous les amants de Myrrha! dit Ada, en haussant les ?paules.

Myrrha releva le mot, et feignit, par jeu, de se f?cher. Christophe n’en put jamais savoir davantage. Il ?tait attrist?. Il lui semblait que Ernst, que Myrrha, que Ada avaient manqu? de franchise, bien qu’? vrai dire il n’e?t ? leur reprocher aucun mensonge; mais il ?tait bien difficile ? croire que Myrrha, qui n’avait aucun secret pour Ada, lui e?t fait myst?re de celui-ci, et que Ernst et Ada ne se connussent pas d?j?. Il les observa. Mais ils ?chang?rent seulement quelques paroles banales, et Ernst ne s’occupa plus que de Myrrha, tout le reste de la promenade. Ada, de son c?t?, ne parlait qu’? Christophe; et elle fut beaucoup plus aimable pour lui qu’? l’ordinaire.

D?s lors, Ernst fut de toutes leurs parties. Christophe se f?t bien pass? de lui; mais il n’osait le dire. Ce n’est pas qu’il e?t un autre motif de vouloir ?loigner son fr?re, que la honte de l’avoir pour compagnon de plaisir. Il ?tait sans d?fiance. Ernst ne lui en donnait aucun sujet: il paraissait ?pris de Myrrha, et il observait envers Ada une r?serve polie, et m?me une affectation d’?gards, qui ?taient presque d?plac?s; c’?tait comme s’il voulait reporter sur la ma?tresse de son fr?re un peu du respect qu’il lui t?moignait ? lui-m?me. Ada ne s’en ?tonnait pas, et elle ne se surveillait pas moins.

Ils faisaient de longues promenades ensemble. Les deux fr?res marchaient devant; Ada et Myrrha, riant et chuchotant, suivaient ? quelques pas. Elles s’arr?taient longuement pour causer, plant?es au milieu de la route. Christophe et Ernst s’arr?taient aussi pour les attendre. Christophe finissait par s’impatienter, et reprenait sa marche; mais il se retournait bient?t, avec d?pit, en entendant Ernst rire et causer avec les deux bavardes. Il e?t voulu savoir ce qu’ils disaient; mais quand ils arrivaient ? lui, leur conversation s’arr?tait.

– Qu’est-ce que vous avez donc toujours ? comploter ensemble? demandait-il.

Ils r?pondaient par une plaisanterie. Ils s’entendaient tous trois, comme larrons en foire.

*

Christophe venait d’avoir une dispute assez vive avec Ada. Ils se boudaient depuis le matin. Par extraordinaire, Ada n’avait pas pris l’air digne et froiss?, qu’elle adoptait en pareil cas, afin de se venger, en se rendant aussi insupportablement ennuyeuse que possible. Pour cette fois, elle feignait simplement d’ignorer l’existence de Christophe, et elle ?tait d’excellente humeur avec les deux autres compagnons. On e?t dit qu’au fond elle n’?tait pas f?ch?e de cette brouille.

Christophe avait, au contraire, un grand d?sir de faire la paix; il ?tait plus ?pris que jamais. ? sa tendresse se joignait un sentiment de reconnaissance pour tout ce que leur amour avait eu de bienfaisant, un regret d’en gaspiller les heures par de stupides disputes et des pens?es mauvaises, – et la crainte sans raison, l’id?e myst?rieuse que cet amour allait finir. Il regardait avec m?lancolie le joli visage de Ada qui feignait de ne point le voir, et qui riait avec les autres; et ce visage ?veillait en lui tant de chers souvenirs, d’amour profond, d’intimit? sinc?re, – ce visage charmant avait m?me, par moments, – (il avait en ce moment) – tant de bont?, et un sourire si pur, que Christophe se demandait pourquoi ce n’?tait pas mieux entre eux, pourquoi ils se g?taient ? plaisir leur bonheur, pourquoi elle s’acharnait ? oublier les heures lumineuses, ? d?mentir ou ? combattre ce qu’elle avait de brave et d’honn?te en elle, – quelle ?trange satisfaction elle pouvait trouver ? troubler, ? souiller, ne f?t-ce qu’en pens?es, la puret? de leur affection. Il sentait un immense besoin de croire en ce qu’il aimait, et il essayait, une fois de plus, de se faire illusion. Il se reprochait d’?tre injuste, il avait remords des pens?es qu’il lui pr?tait, et de son manque d’indulgence.

Il se rapprocha d’elle, il essaya de lui parler: elle lui r?pondit quelques paroles s?ches: elle n’avait aucun d?sir de se r?concilier avec lui. Il insista, il la pria ? l’oreille de vouloir bien l’entendre, un instant, ? part des autres. Elle le suivit d’assez mauvaise gr?ce. Lorsqu’ils furent ? quelques pas, et que ni Myrrha ni Ernst ne pouvaient plus les voir, il lui prit brusquement les mains, il lui demanda pardon, il s’agenouilla devant elle, dans le bois, au milieu des feuilles mortes. Il lui dit qu’il ne pouvait plus vivre ainsi, brouill? avec elle; il ne pouvait plus jouir de la promenade, de la belle journ?e, il ne pouvait plus jouir de rien, il ne pouvait m?me plus respirer, sachant qu’elle le d?testait; il avait besoin qu’elle l’aim?t. Oui, il ?tait injuste souvent, violent, d?sagr?able; il la supplia de lui pardonner: la faute en ?tait ? son amour m?me; il ne pouvait supporter rien de m?diocre en lui, rien qui ne f?t tout ? fait digne d’elle et des souvenirs de leur cher pass?. Il les lui rappela, il lui rappela leur premi?re rencontre, leurs premiers jours ensemble; il dit qu’il l’aimait toujours autant, qu’il l’aimerait toujours. Qu’elle ne s’?loign?t pas de lui! Elle ?tait tout pour lui…

Ada l’?coutait, souriante, troubl?e, presque attendrie. Elle lui faisait ses bons yeux, les yeux qui disent qu’on s’aime et qu’on n’est plus f?ch?. Ils s’embrass?rent, et ils allaient, serr?s l’un contre l’autre, dans le bois d?pouill?. Elle trouvait Christophe gentil, et elle lui savait gr? de ses tendres paroles; mais elle n’abandonnait rien pour cela des caprices malfaisants qu’elle avait dans la t?te. Elle h?sitait pourtant, elle n’y tenait plus autant. Elle n’en fit pas moins ce qu’elle avait projet?. Pourquoi? Qui peut le dire?… Parce qu’elle s’?tait promis, avant, qu’elle le ferait?… Qui sait? Il lui semblait peut-?tre plus piquant de tromper son ami, ce jour-l?, pour lui prouver, pour se prouver ? elle-m?me sa libert?. Elle ne pensait pas le perdre: elle ne l’e?t pas voulu. Elle se croyait plus s?re de lui que jamais.

Ils ?taient arriv?s ? une clairi?re dans la for?t. Deux sentiers s’en d?tachaient. Christophe prit l’un. Ernst pr?tendit que l’autre menait plus rapidement au sommet de la colline, o? ils voulaient aller. Ada fut de son avis. Christophe, qui connaissait le chemin pour l’avoir souvent pris, soutint qu’ils se trompaient. Ils n’en d?mordirent pas. Alors il fut convenu qu’on ferait l’exp?rience; et chacun paria qu’il arriverait le premier. Ada partit avec Ernst. Myrrha accompagna Christophe; elle feignait d’?tre convaincue qu’il avait raison; et elle ajoutait: «Comme toujours.» Christophe avait pris le jeu au s?rieux; et, comme il n’aimait point perdre, il marchait vite, trop vite au gr? de Myrrha, qui avait beaucoup moins de h?te que lui:

– Ne te presse donc pas, m’ami, lui disait-elle, de son ton ironique et tranquille, nous arriverons toujours avant.

Il fut pris d’un scrupule:

– C’est vrai, dit-il, je crois que je vais un peu trop vite: ce n’est pas de jeu.

Il ralentit le pas.

– Mais je les connais, continua-t-il, je suis s?r qu’ils courent, pour ?tre l? avant nous.

Myrrha ?clata de rire:

– Mais non, mais non, ne t’inqui?te pas!

Elle se pendait ? son bras, elle se pressait ?troitement contre lui. Un peu plus petite que Christophe, elle levait vers lui, en marchant, ses yeux intelligents et caressants. Elle ?tait vraiment jolie et s?duisante. Il la reconnaissait ? peine: nul n’?tait plus changeant. Dans la vie ordinaire, elle avait la figure un peu bl?me et bouffie; et puis, il suffisait de la moindre excitation, d’une pens?e joyeuse, ou du d?sir de plaire, pour que cet air vieillot dispar?t, pour que ses joues rosissent, pour que les plis des paupi?res, au-dessous et autour des yeux, s’effa?assent, pour que le regard s’allum?t, et pour que toute la physionomie pr?t une jeunesse, une vie, et un esprit, que celle de Ada n’avait point. Christophe ?tait surpris de sa m?tamorphose, et il d?tournait les yeux des siens: il ?tait un peu troubl? d’?tre seul avec elle. Elle le g?nait, elle l’emp?chait de r?ver ? son aise; il n’?coutait pas ce qu’elle disait, il ne lui r?pondait pas, ou bien tout de travers: il pensait – il voulait penser uniquement ? Ada. Il pensait aux bons yeux qu’elle avait tout ? l’heure, ? son sourire, ? son baiser; et son c?ur d?bordait d’amour. Myrrha voulait lui faire admirer comme les bois ?taient beaux, avec leurs petites branches fines sur le ciel clair… Oui, tout ?tait beau: le nuage s’?tait dissip?, Ada lui ?tait revenue, il avait r?ussi ? briser la glace qui ?tait entre eux; ils s’aimaient de nouveau; pr?s ou loin l’un de l’autre, ils ne faisaient plus qu’un. Il respirait avec soulagement: que l’air ?tait l?ger! Ada lui ?tait revenue… Tout la lui rappelait… Il faisait un peu humide: n’aurait-elle pas froid?… Les jolis arbres ?taient poudr?s de givre: quel dommage qu’elle ne les v?t pas!… Mais il se rappelait le pari engag?, et il h?tait le pas; il ?tait pr?occup? de ne pas se tromper de chemin. Il triompha, en arrivant au but:

– Nous sommes les premiers!

Il agitait joyeusement son chapeau. Myrrha le regardait en souriant.

L’endroit o? ils se trouvaient ?tait un long rocher abrupt, au milieu des bois. De la plateforme du sommet bord?e de buissons de noisetiers et de petits ch?nes rabougris, ils dominaient les pentes bois?es, les cimes des sapins qu’enveloppait une brume violette, et le long ruban du Rhin dans la vall?e bleut?e. Nul cri d’oiseau. Nulle voix. Pas un souffle. Une journ?e immobile et, recueillie d’hiver, qui se chauffe frileusement aux p?les rayons d’un soleil engourdi. Par instants, dans le lointain, le bref sifflet d’un train dans la vall?e. Christophe, debout au bord du rocher, contemplait le paysage. Myrrha contemplait Christophe.