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Louisa écoutait à la porte; elle frappa en vain, appela doucement: rien ne répondit; elle attendit, épiant anxieusement le silence; puis elle s’éloigna. Une ou deux fois dans le jour, elle revint écouter; et le soir, encore, avant de se coucher. Le jour passa, la nuit passa: la maison était muette. Christophe tremblait de fièvre; par moments il pleurait; et, dans la nuit, il se soulevait pour montrer le poing au mur. Vers deux heures du matin, dans un accès de folie, il sortit du lit, en nage et à moitié nu: il voulait aller tuer le grand-duc. Il était dévoré de haine et de honte; son corps et son cœur se tordaient dans la flamme. – De cette tempête, rien ne s’entendait au dehors: pas un mot, pas un son. Les dents serrées, il renfermait tout en lui.

** *

Le lendemain matin, il redescendit, comme d’habitude. Il était ravagé. Il ne dit rien, et sa mère n’osa rien lui demander: elle savait déjà, par les rapports du voisinage. Tout le jour, il resta sur une chaise, au coin du feu, muet, fiévreux, le dos courbé, comme un vieux; et, quand il était seul, il pleurait en silence.

Vers le soir, le rédacteur du journal socialiste vint le voir. Naturellement, il était au courant et voulait des détails. Christophe, touché de sa visite, l’interpréta naïvement comme une démarche de sympathie et d’excuses de la part de ceux qui l’avaient compromis; il mit son amour-propre à ne rien regretter, et il se laissa aller à dire tout ce qu’il avait sur le cœur: ce lui était un soulagement de parler librement à un homme qui eût comme lui la haine de l’oppression. L’autre l’excitait à parler: il voyait dans l’événement une bonne affaire pour son journal, l’occasion d’un article scandaleux, dont il attendait que Christophe lui fournît les éléments, à moins que Christophe ne l’écrivit lui-même; car il comptait qu’après cet éclat, le musicien de la cour mettrait au service de «la cause» son talent de polémiste, qui était appréciable, et ses petits documents secrets sur la cour, qui l’étaient encore plus. Comme il ne se piquait pas d’une délicatesse exagérée, il présenta la chose sans artifice. Christophe en eut un haut-le-corps; il déclara qu’il n’écrirait rien, alléguant que toute attaque de sa part contre le grand-duc serait interprétée comme un acte de vengeance personnelle, et qu’il était tenu à plus de réserve, maintenant qu’il était libre, que lorsque, ne l’étant pas, il courait des risques en disant sa pensée. Le journaliste ne comprit rien, à ces scrupules; il jugea Christophe un peu borné et clérical au fond; il pensa surtout que Christophe avait peur.

Il dit:

– Eh bien, laissez-nous faire: c’est moi qui écrirai. Vous n’aurez à vous occuper de rien.

Christophe le supplia de se taire; mais il n’avait aucun moyen de l’y contraindre. D’ailleurs, le journaliste lui représenta que l’affaire ne le concernait pas seuclass="underline" l’insulte atteignait le journal, qui avait le droit de se venger. À cela, rien à répondre; tout ce que put faire Christophe, ce fut de lui demander sa parole qu’il n’abuserait point de certaines confidences faites à l’ami, et non au journaliste. L’autre la lui donna sans difficulté. Christophe n’en fut pas rassuré: il se rendait compte trop tard de l’imprudence qu’il avait commise. – Quand il fut seul, il repassa dans sa tête tout ce qu’il avait dit, et il frémit. Sans réfléchir une minute il écrivit au journaliste, le conjurant de ne point répéter ce qu’il lui avait confié: – (le malheureux le répétait lui-même, en partie, dans sa lettre.)

Le lendemain, la première chose qu’il lut, en ouvrant le journal avec une hâte fiévreuse, ce fut, en première page, tout au long son histoire. Tout ce qu’il avait dit, la veille, s’y retrouvait démesurément grossi, ayant subi cette déformation spéciale à laquelle sont soumis tous les objets qui passent par un cerveau de journaliste. L’article attaquait avec de basses invectives le grand-duc et la cour. Certains détails qu’il donnait étaient trop personnels à Christophe, trop évidemment connus de lui seul, pour qu’on ne lui attribuât point l’article entier.

Ce nouveau coup écrasa Christophe. À mesure qu’il lisait, une sueur froide lui montait au visage. Quand il eut fini, il resta affolé. Il voulut courir au journal; mais sa mère l’en empêcha, redoutant, non sans raison, sa violence. Il la redoutait lui-même; il sentait que s’il y allait, il ferait quelque sottise: et il resta – pour en faire une autre. Il adressa au journaliste une lettre indignée, où il lui reprochait sa conduite en termes blessants, désavouait l’article, et rompait avec le parti. Le désaveu ne parut pas. Christophe récrivit au journal, le sommant de publier sa lettre. On lui envoya copie de sa première lettre, écrite le soir de l’entretien, et qui en était la confirmation; on lui demandait s’il fallait la publier aussi. Il se sentit dans leurs mains. Là-dessus, il eut le malheur de rencontrer dans la rue l’interviewer indiscret; il ne put s’empêcher de lui dire le mépris qu’il avait pour lui. Le lendemain, le journal publia un entrefilet insultant, où l’on parlait de ces domestiques de cour, qui, même quand on les a flanqués à la porte, restent toujours des domestiques. Quelques allusions à l’événement récent ne permettaient point de douter qu’il ne s’agît de Christophe.

*

Quand il fut bien évident pour tous que Christophe n’avait plus aucun appui, il se trouva soudain d’une richesse en ennemis qu’il n’eût jamais soupçonnée. Tous ceux qu’il avait blessés, directement ou indirectement, soit par des critiques personnelles, soit en combattant leurs idées et leur goût, prirent aussitôt l’offensive et se vengèrent avec usure. Le gros public, dont Christophe avait essayé de secouer l’apathie, contemplait, satisfait, la correction administrée à l’insolent jeune homme, qui avait prétendu réformer l’opinion et troubler le sommeil des gens de bien. Christophe était à l’eau. Chacun fit de son mieux pour lui tenir la tête dessous.

Ils ne fondirent pas tous ensemble sur lui. L’un commença d’abord, pour tâter le terrain. Christophe ne répondant pas, il redoubla ses coups. Alors d’autres suivirent; et puis, toute la bande. Les uns étaient de la fête par simple divertissement, comme de jeunes chiens qui s’amusent à déposer leurs incongruités en belle place: c’était l’escadron volant des journalistes incompétents, qui, ne sachant rien, tâchent de le faire oublier, à force d’adulations aux vainqueurs et d’injures aux vaincus. Les autres apportaient le poids de leurs principes, ils tapaient comme des sourds; où ils avaient passé, il ne restait rien de rien: c’était la grande critique, – la critique qui tue.