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Au moment d’arriver, il regarda vers la porti?re si, sur le quai de la gare, la ch?re figure connue… Personne. Il descendit, regardant toujours autour de lui. Une ou deux fois, il e?t l’illusion… Non, ce n’?tait pas «lui». Il alla ? l’h?tel convenu, Olivier n’y ?tait point. Christophe n’avait pas lieu d’en ?tre surpris: lors, l’angoisse de l’attente commen?a.

C’?tait le matin. Christophe monta dans sa chambre. Il redescendit. Il d?jeuna. Il fl?na dans les rues. Il affectait d’avoir l’esprit libre; il regardait le lac, les ?talages des boutiques; il plaisantait avec la fille du restaurant, il feuilletait les journaux illustr?s… Il ne s’int?ressait ? rien. La journ?e se tra?nait lente et lourde. Vers sept heures du soir, Christophe qui, ne sachant que faire, avait d?n? plus t?t et de mauvais app?tit, remonta dans sa chambre, en priant qu’aussit?t que viendrait l’ami qu’il attendait, on le conduis?t chez lui. Il s’assit devant sa table, le dos tourn? ? la porte. Il n’avait rien pour l’occuper, aucun bagage, aucun livre; seulement un journal, qu’il venait d’acheter. Il se for?ait ? le lire; son attention ?tait ailleurs: il ?coutait le bruit des pas dans le corridor. Tous ses sens ?taient surexcit?s par la fatigue d’une journ?e d’attente et d’une nuit sans sommeil.

Brusquement, il entendit qu’on ouvrait la porte. Un sentiment ind?finissable fit qu’il ne se retourna pas d’abord. Il sentit une main s’appuyer sur son ?paule. Alors, il se retourna, et vit Olivier, qui souriait. Il ne s’en ?tonna pas, il dit:

– Ah! te voil? enfin!

Le mirage s’effa?a…

Christophe se leva violemment, repoussant la table et sa chaise qui tomba. Ses cheveux se h?rissaient. Il resta un moment, livide, claquant des dents…

? partir de cette minute, – (il avait beau ne rien savoir, et se r?p?ter: «Je ne sais rien») – il savait tout. Il ?tait s?r de ce qui allait venir.

Il ne p?t rester dans sa chambre. Il sortit dans la rue, il marcha pendant une heure. ? son retour, dans le vestibule de l’h?tel, le portier lui remit une lettre. La lettre. Il ?tait s?r qu’elle serait l?. Sa main tremblait, en la prenant. Il remonta chez lui pour la lire. Il l’ouvrit, il vit qu’Olivier ?tait mort. Et il s’?vanouit.

La lettre ?tait de Manousse. Manousse disait qu’en lui cachant ce malheur, la veille, pour h?ter son d?part, ils n’avaient fait qu’ob?ir au v?u d’Olivier, qui voulait que son ami f?t sauv?, – qu’il n’e?t servi de rien ? Christophe de rester, sinon pour se perdre aussi, – qu’il lui fallait se conserver pour la m?moire de son ami, et pour ses autres amis, et pour sa propre gloire… etc… etc… Aur?lie avait ajout? trois lignes de sa grosse ?criture trembl?e, pour dire qu’elle prendrait bien soin du pauvre petit monsieur…

Quand Christophe revint ? lui, il e?t une crise de fureur. Il voulait tuer Manousse. Il courut ? la gare. Le vestibule de l’h?tel ?tait vide, les rues d?sertes; dans la nuit, les rares passants attard?s ne remarqu?rent pas cet homme aux yeux fous, qui haletait. Il ?tait cramponn? ? son id?e fixe, comme un bouledogue qui mord: «Tuer Manousse! Tuer!…» Il voulut revenir ? Paris. Le rapide de nuit ?tait parti, une heure avant. Il fallait attendre au lendemain matin. Impossible d’attendre! Il prit le premier train qui partait dans la direction de Paris. Un train qui s’arr?tait ? toutes les stations. Seul, dans le wagon, Christophe criait:

– Ce n’est pas vrai! Ce n’est pas vrai!

? la deuxi?me station apr?s la fronti?re fran?aise, le train s’arr?ta tout ? fait; il n’allait pas plus loin. Christophe, fr?missant de rage, descendit, demandant un autre train, questionnant, se heurtant ? l’indiff?rence des employ?s ? demi endormis. Quoi qu’il f?t, il arriverait trop tard. Trop tard pour Olivier. Il ne parviendrait m?me pas ? rejoindre Manousse. Il serait arr?t? avant. Que faire? Que vouloir? Continuer? Revenir? ? quoi bon? ? quoi bon?… Il songea ? se livrer ? un gendarme qui passait. Un obscur instinct de vivre le retint, lui conseilla de retourner en Suisse. Aucun train ne partait plus, dans l’une ou l’autre direction, avant deux ou trois heures. Christophe s’assit dans la salle d’attente, ne put rester, sortit de la gare, prit une route au hasard dans la nuit. Il se trouva au milieu de la campagne d?serte, – des prairies, coup?es ?a et l? de bouquets de sapins, avant-garde d’une for?t. Il s’y enfon?a. ? peine y eut-il fait quelques pas qu’il se jeta par terre, et cria:

– Olivier!

Il se coucha en travers de la route, et sanglota. Longtemps apr?s, un sifflet de train, au loin, le fit se relever. Il voulut retourner ? la gare. Il se trompa de chemin. Il marcha, toute la nuit. Que lui importait, ici ou l?? Marcher pour ne pas penser, marcher jusqu’? ce qu’on ne pense plus, jusqu’? ce qu’on tombe mort. Ah! si l’on pouvait ?tre mort!…

? l’aube, il se trouva dans un village fran?ais, tr?s loin de la fronti?re. Toute la nuit, il s’en ?tait ?loign?. Il entra dans une auberge, mangea voracement, repartit, marcha encore. Dans la journ?e, il s’?croula au milieu d’un pr?, il y resta jusqu’au soir, endormi. Lorsqu’il se r?veilla, une nouvelle nuit commen?ait. Sa fureur ?tait tomb?e. Il ne lui restait plus qu’une douleur atroce, irrespirable. Il se tra?na jusqu’? une ferme, demanda un morceau de pain, une botte de paille pour dormir. Le fermier le d?visagea, lui coupa une tranche de miche, le conduisit dans l’?table, renferma. Couch? dans la liti?re, pr?s des vaches ? l’odeur fade, Christophe d?vorait son pain. Son visage ruisselait de larmes. Sa faim et sa douleur ne pouvaient s’apaiser. Cette nuit encore, le sommeil le d?livra, pour quelques heures, de ses peines. Il se r?veilla le lendemain au bruit de la porte qui s’ouvrait. Il resta ?tendu, sans bouger. Il ne voulait plus revivre. Le fermier s’arr?ta devant lui, et le regarda longuement; il tenait ? la main un papier sur lequel il jeta les yeux. Enfin, l’homme fit un pas, et mit sous le nez de Christophe un journal. Son portrait, en premi?re page.

– C’est moi, dit Christophe. Livrez-moi.

– Levez-vous, dit le fermier.

Christophe se leva. L’homme lui fit signe de le suivre. Ils pass?rent derri?re la grange, prirent un sentier qui tournait, au milieu des arbres fruitiers. Arriv?s ? une croix, le fermier montra un chemin ? Christophe et lui dit:

– La fronti?re est par l?.

Christophe reprit sa route, machinalement. Il ne savait pourquoi il marchait. Il ?tait bris? de corps et d’?me; il avait envie de s’arr?ter, ? chaque pas. Mais il sentait que s’il s’arr?tait, il ne pourrait plus repartir de l’endroit o? il serait tomb?. Il marcha, tout le jour encore. Il n’avait plus un sou pour acheter du pain. D’ailleurs, il ?vitait de traverser les villages. Par un sentiment bizarre qui ?chappait ? sa raison, cet homme qui voulait mourir avait peur d’?tre pris; son corps ?tait comme un animal traqu? qui fuit. Ses mis?res physiques, la fatigue, la faim, une terreur obscure qui se levait de son ?tre ?puis?, ?touffaient pour l’instant sa d?tresse morale. Il aspirait seulement ? trouver un asile, o? il lui f?t permis de s’enfermer avec elle et de s’en repa?tre.

Il passa la fronti?re. Au loin, il vit une ville que dominaient des tours aux clochetons effil?s et des chemin?es d’usines, dont les longues fum?es, comme des rivi?res noires, monotones, coulaient, toutes dans le m?me sens, sous la pluie, dans l’air gris. Il ?tait pr?s de tomber. ? cet instant, il se rappela qu’il connaissait dans cette ville un docteur de son pays, un certain Erich Braun, qui lui avait ?crit l’an pass?, apr?s un de ses succ?s, pour se rappeler ? lui. Si m?diocre que f?t Braun et si peu qu’il e?t ?t? m?l? ? sa vie, Christophe, par un instinct de b?te bless?e, fit un supr?me effort pour aller tomber chez quelqu’un qui ne lui f?t pas tout ? fait ?tranger.

*

Sous le voile de fum?es et de pluie, il entra dans la ville grise et rouge. Il marcha au travers, sans rien voir, demandant son chemin, se trompant, revenant sur ses pas, errant au hasard. Il ?tait ? bout de forces. Par une derni?re tension de sa volont? band?e, il lui fallut gravir des ruelles escarp?es, des escaliers qui montaient au sommet d’une ?troite colline, charg?e de maisons, serr?es autour d’une ?glise sombre. Soixante marches en pierre rouge, group?es par trois ou par six. Entre chaque groupe de marches, une plateforme exigu? pour la porte d’une maison. ? chacune, Christophe reprenait haleine en chancelant. L?-haut, au-dessus de la tour des corbeaux tournoyaient.

Enfin, il lut sur une porte le nom qu’il cherchait. Il frappa. – La ruelle ?tait dans la nuit. De fatigue, il ferma les yeux. Nuit noire en lui… Des si?cles pass?rent…

La porte ?troite s’entr’ouvrit. Sur le seuil parut une femme. Son visage ?tait dans l’ombre; mais sa silhouette se d?tachait sur le fond clair d’un petit jardin, que l’on apercevait au bout du long corridor, au couchant. Elle ?tait grande, se tenait droite, sans parler, attendant qu’il parl?t. Il ne voyait pas ses yeux; il sentait leur regard. Il demanda le docteur Erich Braun et se nomma. Les mots sortaient avec peine de sa gorge. Il ?tait ?puis? de fatigue, de soif et de faim. Sans un mot, la femme rentra; et Christophe la suivit dans une pi?ce aux volets clos. Dans l’obscurit?, il se heurta contre elle; ses genoux et son ventre press?rent ce corps silencieux. Elle sortit et ferma la porte sur lui, le laissant seul, sans lumi?re. Il restait immobile de crainte de renverser quelque chose, appuy? au mur, le front contre la paroi lisse; ses oreilles bourdonnaient; dans ses yeux, les t?n?bres dansaient.