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Ils s’arr?taient ? Thun. Ils devaient en repartir le lendemain, pour la montagne. Mais la nuit ? l’h?tel, Antoinette fut prise d’une grosse fi?vre, avec des vomissements et des douleurs de t?te. Olivier s’affola aussit?t, et passa une nuit d’inqui?tudes. Il fallut faire pr?venir un m?decin, d?s le matin: – (surcro?t de d?penses non pr?vu, et qui n’?tait pas n?gligeable pour leur petite bourse). – Le m?decin ne trouva rien de grave pour l’instant, mais une extr?me fatigue, une constitution ruin?e. Il ne pouvait ?tre question de continuer le voyage tout de suite. Le docteur d?fendit ? Antoinette de se lever, de tout le jour: et il laissa entendre qu’ils devraient peut-?tre rester plus longtemps encore ? Thun. Ils ?taient d?sol?s, – bien contents tout de m?me d’en ?tre quitte ? ce prix, apr?s ce qu’ils avaient pu craindre. Mais il ?tait dur de venir de si loin pour rester enferm?s dans une mauvaise chambre o? le soleil br?lant donnait, comme dans une serre. Antoinette voulut que son fr?re se promen?t. Il fit quelques pas hors de l’h?tel; il vit l’Aar avec sa belle robe verte, et, dans le lointain du ciel, une cime blanche qui flottait: il en fut boulevers? de joie; mais cette joie, il ne pouvait la porter, seul. Il revint pr?cipitamment dans la chambre de sa s?ur, il lui dit tout ?mu ce qu’il venait de voir; et, comme elle s’?tonnait qu’il f?t rentr? si t?t, et l’engageait de se promener de nouveau, il dit, comme autrefois, quand il ?tait revenu du concert du Ch?telet:

– Non, non, c’est trop beau: cela me fait mal de le voir sans toi…

Ce sentiment n’avait rien de nouveau pour eux: ils savaient qu’il leur fallait ?tre tous deux pour ?tre soi tout entier. Mais il ?tait toujours bon de se l’entendre dire. Cette tendre parole fit plus de bien ? Antoinette que toutes les m?decines. Elle souriait maintenant, heureuse et alanguie. – Et, apr?s une bonne nuit, quoique ce ne f?t pas tr?s prudent de partir d?j?, elle d?cida qu’ils se sauveraient de bonne heure, sans pr?venir le m?decin, qui n’aurait qu’? les retenir encore. L’air pur et le plaisir de voir les belles choses ensemble firent qu’elle n’eut pas ? payer cette imprudence, et qu’ils arriv?rent, sans autre contretemps au but de leur voyage, – un village dans la montagne, au-dessus du lac, ? quelque distance de Spiez.

Ils y pass?rent trois ou quatre semaines, dans un petit h?tel. Antoinette n’eut plus de nouvel acc?s de fi?vre; mais elle ne se remit jamais bien. Elle sentait une lourdeur dans la t?te, un poids insupportable, des malaises continuels. Olivier la questionnait souvent sur sa sant?: il e?t voulu la voir moins p?le; mais il ?tait gris? par la beaut? du pays, et, d’instinct, il ?cartait les pens?es tristes; quand elle lui assurait qu’elle ?tait bien portante, il voulait croire que c’?tait vrai, – bien qu’il s?t le contraire. D’ailleurs, elle jouissait profond?ment de l’exub?rance de son fr?re, de l’air, du repos surtout. Que c’?tait bon de se reposer enfin apr?s ces terribles ann?es!

Olivier voulait l’entra?ner dans ses promenades: elle e?t ?t? heureuse de partager ses courses; mais plusieurs fois, apr?s ?tre vaillamment partie, elle fut forc?e de s’arr?ter, au bout de vingt minutes, sans souffle et le c?ur d?faillant. Alors, il continuait seul ses excursions, – des ascensions inoffensives, mais qui la tenaient dans les transes, jusqu’? ce qu’il f?t rentr?. Ou bien, ils faisaient ensemble de petites promenades: elle, appuy?e sur son bras, marchant ? petits pas, causant tous deux, lui surtout devenu tr?s loquace, riant; disant ses projets, racontant des dr?leries. Du chemin ? mi-c?te, au-dessus de la vall?e, ils regardaient les nuages blancs se mirer dans le lac immobile, et les bateaux nager comme des insectes ? la surface d’une mare; ils aspiraient l’air ti?de et la musique des clochettes de troupeaux, que le vent apportait de tr?s loin, par bouff?es, avec l’odeur des foins coup?s et la r?sine chaude: Et ils r?vaient ensemble du pass?, et de l’avenir, et du pr?sent qui leur semblait de tous les r?ves le plus irr?el et le plus enivrant. Antoinette se laissait gagner quelquefois par la belle humeur enfantine de son fr?re: ils jouaient ? se poursuivre; ? se jeter de l’herbe. Et un jour, il la vit rire, comme autrefois, quand ils ?taient enfants de ce bon rire fou de petite fille, insouciant, transparent comme une source, et que depuis des ann?es il n’avait pas entendu.

Mais, le plus souvent, Olivier ne r?sistait pas au plaisir d’aller faire de longues courses. Il en avait un peu de remords ensuite, il devait se reprocher plus tard de n’avoir pas assez profit? des ch?res conversations avec sa s?ur. M?me ? l’h?tel, il la laissait souvent seule.

Il y avait un petit cercle de jeunes hommes et de jeunes filles, ? l’?cart duquel ils s’?taient t?nus d’abord. Puis, Olivier, timide et attir? par eux, s’?tait joint ? leur groupe. Il avait ?t? sevr? d’amis; il n’avait gu?re connu, en dehors de sa s?ur, que ses grossiers camarades de lyc?e et leurs ma?tresses qui lui inspiraient du d?go?t. Ce lui ?tait une douceur de se trouver au milieu de gar?ons et de filles de son ?ge, bien ?lev?s, aimables et gais. Bien qu’il f?t tr?s sauvage, il avait une curiosit? na?ve, un c?ur sentimental et chastement sensuel, qu’hypnotisaient toutes les petites flammes p?lottes et falotes, qui brillent dans les yeux f?minins. Lui-m?me pouvait plaire, en d?pit de sa timidit?. Le candide besoin qu’il avait d’aimer et d’?tre aim? lui pr?tait, ? son insu, une gr?ce juv?nile, et lui faisait trouver des mots, des gestes, des pr?venances affectueuses, que leur gaucherie m?me rendait plus attrayants. Il avait le don de la sympathie. Quoi que son intelligence, devenue tr?s ironique dans la solitude, lui f?t voir de la vulgarit? des gens et de leurs d?fauts, que souvent il ha?ssait, – quand il ?tait en face d’eux, il ne voyait plus que leurs yeux, o? s’exprimait un ?tre qui mourrait un jour, un ?tre qui n’avait qu’une vie, comme lui, et qui la perdrait bient?t, comme lui: alors, il sentait pour cet ?tre une affection involontaire; pour rien au monde, il n’aurait pu lui faire de la peine, en cet instant; qu’il le voul?t ou non, il fallait qu’il f?t aimable. Il ?tait faible: et, par l?, fait pour plaire au «monde», qui pardonne tous les vices et m?me toutes les vertus, – hors une seule: la force, qui est la condition de toutes les autres.

Antoinette ne se m?lait pas ? cette jeune compagnie. Sa sant?, sa fatigue, un accablement moral, sans cause apparente, la paralysaient. Au cours des longues ann?es de soucis et de travail acharn?, qui usent le corps et l’?me, les r?les avaient ?t? intervertis entre elle et son fr?re; elle se sentait maintenant loin du monde, loin de tout, si loin!… Elle n’y pouvait plus rentrer: toutes ces conversations, ce bruit, ces rires, ces petits int?r?ts, l’ennuyaient, la lassaient, la blessaient presque. Elle souffrait d’?tre ainsi: elle e?t voulu ressembler ? ces autres jeunes filles, s’int?resser ? ce qui les int?ressait, rire de ce qui les faisait rire… Elle ne pouvait plus!… Elle avait le c?ur serr?, il lui semblait qu’elle ?tait morte. Le soir, elle s’enfermait chez elle; et souvent, elle n’allumait m?me pas sa lampe; elle restait assise dans l’obscurit?, tandis qu’Olivier, en bas, dans le salon, s’abandonnait ? la douceur d’un de ces petits amours romanesques, dont il ?tait coutumier. Elle ne sortait de son engourdissement que quand elle l’entendait remonter ? son ?tage, riant et bavardant encore avec ses amies, ?changeant d’interminables bonsoirs sur le pas de leurs portes, sans pouvoir se d?cider ? se s?parer. Alors, Antoinette souriait dans sa nuit et elle se levait pour rallumer l’?lectricit?. Le rire de son fr?re la ranimait.

L’automne avan?ait. Le soleil s’?teignait. La nature se fanait. Sous l’ouate des brumes et des nuages d’octobre, les couleurs s’amortirent; la neige vint sur les hauteurs, et le brouillard dans la plaine. Les voyageurs s’en all?rent, un ? un, puis par bandes. Et ce fut la tristesse de voir partir les amis, m?me les indiff?rents, et, plus que tout, l’?t?, le temps de calme et de bonheur qui avait ?t? une oasis dans la vie. Ils firent une derni?re promenade ensemble, un jour d’automne voil?, dans la for?t, le long de la montagne. Ils ne parlaient pas, ils r?vaient m?lancoliques, se serrant frileusement l’un contre l’autre, envelopp?s dans leurs manteaux aux collets relev?s, leurs doigts entrelac?s. Les bois humides se taisaient, pleuraient en silence. On entendait au fond le cri doux et craintif d’un oiseau solitaire, qui sentait venir l’hiver. Une clochette cristalline de troupeau tintait dans le brouillard lointaine, presque ?teinte, comme si elle r?sonnait au fond de leur poitrine…

Ils revinrent ? Paris. Tous deux ?taient tristes. Antoinette n’avait pas recouvr? la sant?.

*

Il fallut s’occuper du trousseau qu’Olivier devait apporter ? l’?cole. Antoinette y d?pensa ses derni?res ?conomies; elle vendit m?me en secret quelques bijoux. Qu’importe? Ne le lui rendrait-il pas plus tard? – Et puis, elle avait si peu de besoins, maintenant qu’il ne serait plus l?!… Elle s’emp?chait de penser ? ce qui arriverait, quand il ne serait plus l?; elle travaillait au trousseau, elle mettait ? cette t?che toute l’ardente tendresse qu’elle avait pour son fr?re, et le pressentiment que ce serait la derni?re chose qu’elle ferait pour lui.

Ils ne se quittaient plus, pendant les derniers jours qu’ils avaient ? passer ensemble; ils avaient peur d’en perdre le moindre instant. Le dernier soir, ils rest?rent tr?s tard, au coin du feu, Antoinette assise dans l’unique fauteuil de l’appartement, Olivier sur un tabouret ? ses pieds, se faisant c?liner, suivant son habitude de grand enfant g?t?. Il ?tait soucieux – curieux aussi – de la vie nouvelle qui allait commencer. Antoinette pensait que c’?tait fini de leur ch?re intimit?, et se demandait avec terreur ce qui adviendrait d’elle. Comme s’il voulait lui rendre cette pens?e plus cuisante, il ne fut jamais si tendre que ce dernier soir, avec la coquetterie innocente de ces ?tres qui attendent l’heure du d?part pour montrer ce qu’ils ont de meilleur et de plus charmant. Il se mit au piano, et lui joua longuement les pages qu’ils aimaient le mieux de Mozart et de Gluck, – ces visions de bonheur attendri et de tristesse sereine, auxquelles ?tait associ?e tant de leur vie pass?e.

L’heure de la s?paration venue. Antoinette accompagna Olivier jusqu’? la porte de l’?cole. Elle rentra. Elle ?tait seule, encore une fois. Mais ce n’?tait plus, comme dans le voyage d’Allemagne, une s?paration ? laquelle il d?pendait d’elle-m?me de mettre fin, quand elle ne pourrait plus la supporter. Cette fois, elle restait: c’?tait lui qui ?tait parti, pour longtemps, pour la vie. Cependant, elle ?tait si maternelle qu’? ce premier moment elle songea moins ? elle qu’? lui, elle se pr?occupait de ces premiers jours d’une vie si diff?rente, des brimades de l’?cole, et de ces petits ennuis inoffensifs, mais qui prennent facilement des proportions inqui?tantes dans le cerveau des gens qui vivent seuls et sont habitu?s ? se tourmenter pour ce qu’ils aiment. Ce souci eut du moins le bienfait de la distraire un peu de sa solitude. Elle pensait d?j? ? la demi-heure, o? elle pourrait le voir, le lendemain au parloir. Elle y arriva un quart d’heure ? l’avance. Il fut tr?s gentil pour elle, mais tout occup? et amus? de ce qu’il avait vu. Les jours suivants, o? elle venait toujours pleine de tendresse inqui?te, le contraste s’accentua entre ce que ces instants d’entretien ?taient pour lui, et ce qu’ils ?taient pour elle. Pour elle, c’?tait toute sa vie, maintenant. Lui, il aimait tendrement Antoinette, sans doute: mais on ne pouvait pas lui demander de penser uniquement ? elle. Une ou deux fois, il arriva en retard au parloir. Un autre jour, quand elle lui demanda s’il s’ennuyait, il r?pondit que non. C’?taient de petits coups de poignard dans le c?ur d’Antoinette. – Elle s’en voulait d’?tre ainsi; elle se traitait d’?go?ste; elle savait tr?s bien que ce serait absurde, que ce serait m?me mal et contre nature qu’il ne p?t se passer d’elle, ni elle de lui, qu’elle n’e?t pas d’autre objet dans la vie. Oui, elle savait tout cela. Mais que lui servait-il de le savoir? Elle n’y pouvait rien, si, depuis dix ans, sa vie enti?re ?tait vou?e ? cette unique pens?e: son fr?re. Maintenant que cet unique int?r?t de sa vie lui ?tait arrach?, elle n’avait plus rien.