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– Ah! soupirait Olivier, qu’il est difficile de se comprendre!

– Aussi, qu’est-il besoin de se comprendre toujours? disait Christophe. J’y renonce. Il n’y a qu’? s’aimer.

Ces petits froissements, qu’ils s’ing?niaient ensuite ? gu?rir, avec une tendresse inqui?te, les rendaient presque plus chers l’un ? l’autre. Dans les moments de brouille, Antoinette reparaissait dans les yeux d’Olivier. Les deux amis se t?moignaient des attentions f?minines. Christophe ne laissait point passer la f?te d’Olivier, sans la c?l?brer par une ?uvre qui lui ?tait d?di?e, par des fleurs, un g?teau, un cadeau, achet?s, Dieu sait comment! – (car l’argent manquait souvent dans le m?nage). – Olivier s’ab?mait les yeux ? recopier la nuit, en cachette, les partitions de Christophe.

Les malentendus entre amis ne sont jamais bien graves, tant qu’un tiers ne s’interpose pas entre eux. – Mais cela ne pouvait manquer d’arriver: trop de gens en ce monde, s’int?ressent aux affaires des autres, afin de les embrouiller.

*

Olivier connaissait les Stevens, que Christophe fr?quentait nagu?re; et il avait subi l’attraction de Colette. Si Christophe ne l’avait pas rencontr? dans la petite cour de son ancienne amie, c’?tait qu’? ce moment Olivier, accabl? par la mort de sa s?ur, s’enfermait dans son deuil et ne voyait personne. Colette, de son c?t?, n’avait fait aucun effort pour le voir: elle aimait bien Olivier, mais elle n’aimait pas les gens malheureux; elle se disait si sensible que le spectacle de la tristesse lui ?tait intol?rable: elle attendait que celle d’Olivier f?t pass?e. Lorsqu’elle apprit qu’il paraissait gu?ri et qu’il n’y avait plus de danger de contagion, elle se risqua ? lui faire signe. Olivier ne se fit pas prier. Il ?tait ? la fois sauvage et mondain, facilement s?duit; et il avait un faible pour Colette. Quand il annon?a ? Christophe son intention de retourner chez elle, Christophe, trop respectueux de la libert? de son ami pour exprimer un bl?me, se contenta de hausser les ?paules, et dit, d’un air railleur:

– Va, petit, si cela t’amuse.

Mais il se garda bien de l’y suivre. Il ?tait d?cid? ? ne plus avoir affaire avec ces coquettes. Non qu’il f?t misogyne: il s’en fallait de beaucoup. Il avait une pr?dilection tendre pour les jeunes femmes qui travaillent, les petites ouvri?res, employ?es, fonctionnaires, qu’on voit se h?ter, le matin, toujours un peu en retard, ? demi ?veill?es, vers leur atelier ou leur bureau. La femme ne lui paraissait avoir tout son sens que quand elle agissait, quand elle s’effor?ait d’?tre par elle-m?me, de gagner son pain et son ind?pendance. Et elle ne lui paraissait m?me avoir qu’ainsi toute sa gr?ce, l’alerte souplesse des mouvements, l’?veil de tous ses sens, l’int?grit? de sa vie et de sa volont?. Il d?testait la femme oisive et jouisseuse: elle lui faisait l’effet d’un animal repu, qui dig?re et s’ennuie, dans des r?veries malsaines. Olivier, au contraire, adorait le farniente des femmes, leur charme de fleurs, qui ne vivent que pour ?tre belles et parfumer l’air autour d’elles. Il ?tait plus artiste, et Christophe plus humain. ? l’encontre de Colette, Christophe aimait d’autant plus les autres qu’ils avaient plus de part aux souffrances du monde. Ainsi, il se sentait li? ? eux par une compassion fraternelle.

Colette ?tait surtout d?sireuse de revoir Olivier, depuis qu’elle avait appris son amiti? avec Christophe: car elle ?tait curieuse d’en savoir les d?tails. Elle gardait un peu rancune ? Christophe de la fa?on d?daigneuse, dont il semblait l’avoir oubli?e; et, sans d?sir de se venger – (cela n’en valait pas la peine), – elle e?t ?t? bien aise de lui jouer quelque tour. Jeu de chatte, qui mordille, afin qu’on fasse attention ? elle. Enj?leuse, comme elle savait l’?tre, elle n’eut pas de peine ? faire parler Olivier. Personne n’?tait plus clairvoyant que lui et moins dupe des gens, quand il en ?tait loin; personne ne montrait plus de confiance na?ve, quand il se trouvait en pr?sence de deux aimables yeux. Colette t?moignait un int?r?t si sinc?re ? son amiti? pour Christophe qu’il se laissa aller ? en raconter l’histoire, et m?me certains de leurs petits malentendus amicaux, qui lui semblaient plaisants, ? distance, et o? il s’attribuait tous les torts. Il confia aussi ? Colette les projets artistiques de Christophe et quelques-uns de ses jugements, – qui n’?taient pas flatteurs, – sur la France et les Fran?ais. Toutes choses qui n’avaient pas grande importance, par elles-m?mes, mais que Colette se h?ta de colporter, en les arrangeant ? sa mani?re, autant afin d’en rendre le r?cit plus piquant, que par une malignit? cach?e, ? l’?gard de Christophe. Et comme le premier ? recevoir ses confidences fut naturellement son ins?parable Lucien L?vy-C?ur, qui n’avait aucune raison de les tenir secr?tes, elles se r?pandirent et s’embellirent en route; elles prirent un tour de piti? ironique et un peu insultante pour Olivier dont on fit une victime. Il semblait que l’histoire ne d?t avoir d’int?r?t pour personne, les deux h?ros ?tant fort peu connus; mais un Parisien s’int?resse toujours ? ce qui ne le regarde pas. Si bien qu’un jour Christophe recueillit lui-m?me ces secrets de la bouche de Mme Roussin. Le rencontrant ? un concert, elle lui demanda s’il ?tait vrai qu’il se f?t brouill? avec ce pauvre Olivier Jeannin; et elle s’informa de ses travaux, en faisant allusion ? des choses qu’il croyait connues de lui seul et d’Olivier. Et lorsqu’il lui demanda de qui elle tenait ces d?tails, elle lui dit que c’?tait de Lucien L?vy-C?ur, qui les tenait lui-m?me d’Olivier.

Christophe fut assomm? par ce coup. Violent et sans critique, il ne lui vint pas ? l’id?e de discuter l’invraisemblance de la nouvelle; il ne vit qu’une chose: ses secrets, confi?s ? Olivier, avaient ?t? livr?s ? Lucien L?vy-C?ur. Il ne put rester au concert; il quitta la salle aussit?t. Autour de lui, c’?tait le vide. Il se disait: «Mon ami m’a trahi!…»

Olivier ?tait chez Colette. Christophe ferma ? clef la porte de sa chambre, pour qu’Olivier ne p?t pas, ainsi qu’? l’ordinaire, causer un moment avec lui, lorsqu’il rentrerait. Il l’entendit en effet revenir, t?cher d’ouvrir la porte, lui chuchoter bonsoir ? travers la serrure: il ne bougea point. Il ?tait assis sur son lit, dans l’obscurit?, la t?te entre les mains, se r?p?tant: «Mon ami m’a trahi!…»; et il resta ainsi une partie de la nuit. C’est alors qu’il sentit combien il aimait Olivier; car il ne lui en voulait pas de sa trahison: il souffrait seulement. Celui qu’on aime a tout droit contre vous, m?me de ne plus vous aimer. On ne peut lui en vouloir, on ne peut que s’en vouloir d’?tre si peu digne d’amour, puisqu’il vous abandonne. Et c’est une peine mortelle.

Le lendemain matin, quand il vit Olivier, il ne parla de rien; il lui ?tait odieux de faire des reproches, – reproches d’avoir abus? de sa confiance, d’avoir jet? ses secrets en p?ture ? l’ennemi: – il ne put dire un seul mot. Mais son visage parlait pour lui; il ?tait hostile et glac?. Olivier en fut saisi; il n’y comprenait rien. Timidement, il essaya de savoir ce que Christophe avait contre lui. Christophe se d?tourna brutalement, sans r?pondre. Olivier, bless? ? son tour, se tut, et d?vora son chagrin, en silence. Ils ne se virent plus, de tout le jour.

Quand Olivier l’e?t fait souffrir mille fois davantage, jamais Christophe n’e?t rien fait pour se venger, ? peine pour se d?fendre: Olivier lui ?tait sacr?. Mais l’indignation qu’il ressentait avait besoin de se d?charger sur quelqu’un; et puisque ce ne pouvait ?tre sur Olivier, ce fut sur Lucien L?vy-C?ur. Avec son injustice et sa passion habituelles, il lui attribua aussit?t la responsabilit? de la faute qu’il pr?tait ? Olivier; et il y avait pour lui une souffrance de jalousie insupportable ? penser qu’un homme de cette esp?ce avait pu lui enlever l’affection de son ami, comme il l’avait d?j? ?vinc? de l’amiti? de Colette Stevens. Pour achever de l’exasp?rer, le m?me jour, lui tomba sous les yeux un article de L?vy-C?ur, ? propos d’une repr?sentation de Fidelio. Il y parlait de Beethoven sur un ton de persiflage, et raillait agr?ablement son h?ro?ne pour prix Montyon. Christophe voyait mieux que quiconque les ridicules de la pi?ce, et m?me certaines erreurs de la musique. Il n’avait pas toujours montr? un respect exag?r? pour les ma?tres reconnus. Mais il ne se piquait point d’?tre toujours d’accord avec lui-m?me et d’une logique ? la fran?aise. Il ?tait de ces gens qui veulent bien relever les fautes de ceux qu’ils aiment, mais qui ne le permettent pas aux autres. C’?tait d’ailleurs tout autre chose de critiquer un grand artiste, si ?prement que ce f?t, ? la fa?on de Christophe, par foi passionn?e dans l’art, et m?me – (on pouvait dire) – par un amour intransigeant pour sa gloire, qui ne supportait point en lui la m?diocrit?, – ou de ne chercher dans ces critiques, comme faisait L?vy-C?ur, qu’? flatter la bassesse du public et ? faire rire la galerie, aux d?pens d’un grand homme. Puis, quelque libre que f?t Christophe en ses jugements, il y avait une musique, qu’il avait tacitement r?serv?e, et ? laquelle il ne fallait point toucher: c’?tait celle qui ?tait plus et mieux que de la musique, celle qui ?tait une grande ?me bienfaisante, o? l’on puisait la consolation, la force et l’esp?rance. La musique de Beethoven ?tait de celles-l?. Voir un faquin l’outrager l’exasp?ra. Ce n’?tait plus une question d’art, c’?tait une question d’honneur; tout ce qui donne du prix ? la vie, l’amour, l’h?ro?sme, la vertu passionn?e, y ?taient engag?s. On ne peut pas plus permettre qu’on y porte atteinte que si l’on entendait insulter la femme qu’on v?n?re et qu’on aime: il faut ha?r et tuer… Que dire, quand l’insulteur ?tait, de tous les hommes, celui que Christophe m?prisait le plus!

Et le hasard voulut que, le soir, les deux hommes se trouv?rent face ? face.

Pour ne pas rester seul avec Olivier, Christophe ?tait all?, contre son habitude, ? une soir?e chez Roussin. On lui demanda de jouer. Il le fit ? contrec?ur. Toutefois, au bout d’un instant, il s’?tait absorb? dans le morceau qu’il jouait, lorsque, levant les yeux, il aper?ut ? quelques pas, dans un groupe, les yeux ironiques de Lucien L?vy-C?ur, qui l’observaient. Il s’arr?ta net, au milieu d’une mesure; et, se levant, il tourna le dos au piano. Il se fit un silence de g?ne. Mme Roussin, surprise, vint ? Christophe, avec un sourire forc?; et, prudemment, – n’?tant pas tr?s s?re que le morceau ne f?t pas termin?, – elle lui demanda: