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– N’en dis pas tant de mal, papa; cela te g?nerait plus tard, si je voulais l’?pouser.

M. Langeais poussa les hauts cris; il la traita de folle. Bon moyen pour qu’elle le dev?nt tout ? fait! Il d?clara qu’elle n’?pouserait jamais Olivier. Elle d?clara qu’elle l’?pouserait. Le voile se d?chira. Il d?couvrit qu’il ne comptait plus pour elle. Son ?go?sme paternel en fut indign?. Il jura qu’Olivier et Christophe ne remettraient plus les pieds chez lui. Jacqueline s’exasp?ra; et un beau matin, Olivier, ouvrant sa porte, vit entrer en coup de vent la jeune fille, p?le et d?cid?e, qui lui dit:

– Enlevez-moi! Mes parents ne veulent pas. Moi, je veux. Compromettez-moi.

Olivier, effar?, mais touch?, n’essayait pas de discuter. Heureusement, Christophe ?tait l?. Il ?tait le moins raisonnable, ? l’ordinaire. Il les raisonna. Il montra quel scandale s’en suivrait, et comme ils en souffriraient. Jacqueline, mordant sa l?vre avec col?re, dit:

– Eh bien, nous nous tuerons apr?s.

Loin d’effrayer Olivier, ce fut une raison pour le d?cider. Christophe n’eut pas peu de peine ? obtenir des deux fous quelque patience: avant d’en venir aux moyens d?sesp?r?s, il fallait essayer des autres: que Jacqueline rentr?t chez elle; lui, irait voir M. Langeais, et plaider leur cause.

Singulier avocat! Aux premiers mots qu’il dit, M. Langeais faillit le mettre ? la porte; puis, le ridicule de la situation le frappa, et il s’en amusa. Peu ? peu, le s?rieux de son interlocuteur, son honn?tet?, sa conviction s’imposaient; toutefois, il n’en voulait pas convenir, et continuait ? lui d?cocher des remarques ironiques. Christophe feignait de ne pas entendre; mais, ? certaines fl?ches plus cuisantes, il s’arr?tait, il se h?rissait en silence; puis il reprenait. ? un moment, il posa son poing sur la table, qu’il martela, et dit:

– Je vous prie de croire que la visite que je fais ne m’amuse gu?re: je dois me faire violence pour ne pas relever certaines de vos paroles; mais j’estime que j’ai le devoir de vous parler; et je parle. Oubliez-moi, comme je m’oublie, et pesez ce que je dis.

M. Langeais ?couta; et quand il entendit parler du projet de suicide, il haussa les ?paules et fit semblant de rire; mais il fut remu?. Il ?tait trop intelligent pour traiter de plaisanterie une pareille menace; il savait qu’il faut compter avec l’insanit? des filles amoureuses. Jadis, une de ses ma?tresses, une fille rieuse et douillette, qu’il jugeait incapable d’ex?cuter sa forfanterie, s’?tait tir? sous ses yeux un coup de revolver; elle n’en ?tait pas morte, sur-le-champ; il revoyait la sc?ne… Non, l’on n’est s?r de rien, avec ces folles. Il eut un serrement de c?ur… «Elle le veut? Eh bien, soit, tant pis pour elle, la sotte!…» Certes, il aurait pu user de diplomatie, feindre de consentir, gagner du temps, d?tacher doucement Jacqueline d’Olivier. Mais pour cela, il e?t fallu se donner plus de peine qu’il ne pouvait ou ne voulait. Et puis, il ?tait faible; et le seul fait qu’il e?t dit violemment: «Non!» ? Jacqueline, l’inclinait maintenant ? dire: «Oui.» Apr?s tout, que sait-on de la vie? Cette petite avait peut-?tre raison. La grande affaire, c’est de s’aimer. M. Langeais n’ignorait pas qu’Olivier ?tait un gar?on s?rieux, qui peut-?tre avait du talent… Il donna son consentement.

Le soir avant le mariage, les deux amis veill?rent ensemble, une partie de la nuit. Ils ne voulaient rien perdre de ces derni?res heures d’un cher pass?. – Mais c’?tait du pass?, d?j?. Comme ces tristes adieux, sur le quai d’une gare, quand l’attente se prolonge avant le d?part du train: on s’obstine ? rester, ? regarder, ? parler. Mais le c?ur n’est plus l?; l’ami est d?j? parti… Christophe essayait de causer. Il s’arr?ta, au milieu d’une phrase, voyant les yeux distraits d’Olivier, et dit, avec un sourire:

– Tu es d?j? loin!

Olivier s’excusa, confus. Il ?tait triste de se laisser distraire de ces derniers instants d’intimit?. Mais Christophe lui serra la main:

– Va, ne te contrains pas. Je suis heureux. R?ve, mon petit.

Ils rest?rent ? la fen?tre, accoud?s l’un pr?s de l’autre, regardant le jardin dans la nuit. Apr?s quelque temps, Christophe dit ? Olivier:

– Tu te sauves de moi? Tu crois que tu vas m’?chapper? Tu penses ? ta Jacqueline. Mais je vais bien t’attraper. Moi aussi, je pense ? elle.

– Mon pauvre vieux, dit Olivier, et moi qui pensais ? toi! Et m?me…

Il s’arr?ta.

Christophe acheva sa phrase, en riant:

– … Et m?me qui me donnais tant de mal pour cela!…

Christophe s’?tait fait beau, presque ?l?gant, pour la c?r?monie. Il n’y avait pas de mariage religieux: ni Olivier, indiff?rent, ni Jacqueline, r?volt?e, n’en avaient voulu. Christophe avait ?crit pour la mairie un morceau symphonique; mais au dernier moment, il y renon?a, apr?s s’?tre rendu compte de ce qu’est un mariage civiclass="underline" il trouvait cette c?r?monie ridicule. Il faut, pour y croire, ?tre bien d?pourvu de foi et de libert?, tout ensemble. Quand un vrai catholique se donne la peine de devenir libre penseur, ce n’est pas pour se faire d’un fonctionnaire de l’?tat civil un pr?tre. Entre Dieu et la libre conscience, il n’est aucune place pour une religion de l’?tat. L’?tat enregistre, il ne lui appartient pas d’unir.

Le mariage d’Olivier et de Jacqueline n’?tait point fait pour inspirer ? Christophe le regret de sa d?termination. Olivier ?coutait d’un air d?tach?, ironique, le maire qui flagornait lourdement le jeune couple, la famille riche, et les t?moins d?cor?s. Jacqueline n’?coutait pas; et furtivement elle tirait la langue ? Simone Adam, qui l’?piait; elle avait pari? avec elle que «cela ne lui ferait rien du tout» de se marier, et elle ?tait en train de gagner: ? peine si elle songeait que c’?tait elle qui se mariait; cette pens?e l’amusait. Les autres posaient pour la galerie; et la galerie lorgnait. M. Langeais paradait; si sinc?re que f?t son affection pour sa fille, sa principale pr?occupation ?tait de noter les gens, et de se demander s’il n’avait pas fait d’oublis dans sa liste de faire-part. Seul, Christophe ?tait ?mu; il ?tait ? lui seul, les parents, les mari?s, et le maire; il couvait des yeux Olivier, qui ne le regardait point.

Le soir, le jeune couple partit pour l’Italie. Christophe et M. Langeais les accompagn?rent ? la gare. Ils les voyaient joyeux, sans regrets, ne cachant point leur impatience d’?tre d?j? partis. Olivier avait l’air d’un adolescent, et Jacqueline d’une petite fille… Tendre m?lancolie de ces d?parts! Le p?re est triste de voir sa petite emmen?e par un ?tranger, et pourquoi!… et pour toujours loin de lui. Mais eux n’?prouvent qu’un sentiment de d?livrance enivr?e. La vie n’a plus d’entraves; plus rien ne les arr?te; ils se croient arriv?s au fa?te: on peut mourir maintenant, on a tout, on ne craint rien… Ensuite, on voit que ce n’?tait qu’une ?tape. La route reprend, et tourne autour de la montagne; et bien peu arrivent ? la seconde ?tape…

Le train les emporta dans la nuit. Christophe et M. Langeais revinrent ensemble. Christophe dit, avec malice:

– Nous voici veufs!

M. Langeais se mit ? rire. Ils se dirent au revoir, et chacun alla de son c?t?. Ils avaient de la peine. Mais c’?tait un m?lange de tristesse et de douceur. Seul, dans sa chambre, Christophe pensait:

– Le meilleur de moi-m?me est heureux.

Rien ne fut chang? ? la chambre d’Olivier. Il avait ?t? convenu entre les deux amis que jusqu’au retour d’Olivier et ? sa nouvelle installation, ses meubles et ses souvenirs resteraient chez Christophe. Il ?tait encore pr?sent. Christophe consid?ra le portrait d’Antoinette, il le pla?a sur sa table, et il lui dit:

– Petite, es-tu contente?

*

Il ?crivait souvent, – un peu trop, – ? Olivier. Il en recevait peu de lettres, distraites, et peu ? peu lointaines d’esprit. Il en ?tait d??u; mais il se persuadait que cela devait ?tre ainsi; il n’avait pas d’inqui?tude pour l’avenir de leur amiti?.

La solitude ne lui pesait point. Loin de l?: il n’en avait pas assez, pour son go?t. Il commen?ait ? souffrir de la protection du Grand Journal. Ars?ne Gamache avait une tendance ? croire qu’il poss?dait un droit de propri?t? sur les gloires qu’il s’?tait donn? la peine de d?couvrir: il lui semblait naturel que ces gloires fussent associ?es ? la sienne, comme Louis XIV groupait autour de son tr?ne Moli?re, Le Brun, et Lulli. Christophe trouvait que l’auteur de l’Hymne ? ?gir n’?tait pas plus imp?rialement encombrant pour l’art que son patron du Grand Journal. Car le journaliste, qui ne s’y connaissait pas plus que l’empereur, n’en avait pas moins que lui des opinions arr?t?es sur l’art; ce qu’il n’aimait point, il n’en tol?rait point l’existence: il le d?cr?tait mauvais et pernicieux; et il le ruinait, dans l’int?r?t public. Spectacle grotesque et redoutable que celui de ces brasseurs d’affaires, mal d?grossis, sans culture, qui pr?tendaient, par l’argent et la presse, r?gner non seulement sur la politique, mais sur l’esprit, et lui offraient une niche avec un collier et la p?t?e, ou pouvaient, sur son refus, lancer sur lui les milliers d’imb?ciles, dont ils avaient fait leur meute! – Christophe n’?tait pas homme ? se laisser morig?ner. Il trouva fort mauvais qu’un ?ne se perm?t de lui dire ce qu’il devait faire et ce qu’il ne devait pas faire, en musique; et il lui donna ? entendre que l’art exigeait plus de pr?paration que la politique. Il d?clina aussi, sans pr?cautions oratoires, l’offre de mettre en musique un inepte livret, dont l’auteur ?tait un des premiers commis du journal, et que le patron recommandait. Cela jeta un premier froid dans ses relations avec Gamache.