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Olivier riait:

– Je ne puis pourtant pas cesser d’aimer Jacqueline, parce qu’elle n’est pas pauvre, ni l’obliger à l’être, pour l’amour de moi.

– Eh bien, si tu ne peux pas la sauver, au moins sauve-toi toi-même! Et c’est encore la meilleure façon de la sauver. Garde-toi pur. Travaille.

Olivier n’avait pas besoin que Christophe lui communiquât ses scrupules. Plus encore que lui, il avait l’âme chatouilleuse. Non qu’il prît au sérieux les boutades de Christophe contre l’argent: il avait été riche lui-même, il ne détestait point la richesse, et il trouvait qu’elle allait bien à la jolie figure de Jacqueline. Mais il lui était insupportable qu’on pût mêler à l’idée de son amour un soupçon d’intérêt. Il demanda à rentrer dans l’Université. Il ne pouvait plus espérer, pour l’instant, qu’un poste médiocre dans un lycée de province. C’était là un triste cadeau de noces à offrir à Jacqueline. Il lui en parla timidement. Jacqueline eut d’abord quelque peine à admettre ses raisons: elle les attribuait à un amour-propre exagéré, que Christophe lui avait mis en tête, et qu’elle trouvait ridicule: n’est-il pas naturel, quand on aime, d’accepter du même cœur la fortune et l’infortune de l’aimée, et n’est-ce pas un sentiment mesquin, de se refuser à lui devoir un bienfait, qui lui ferait tant de joie?… Néanmoins, elle se rallia au projet d’Olivier: ce qu’il avait d’austère et de peu plaisant fut justement ce qui la décida; elle y trouvait une occasion de satisfaire son appétit d’héroïsme moral. Dans l’état de révolte orgueilleuse contre son milieu, que son deuil avait provoquée et que son amour exaltait, elle avait fini par nier tout ce qui dans sa nature était en contradiction avec cette ardeur mystique; elle tendait son être, comme un arc, vers un idéal de vie très pure, difficile, et rayonnante de bonheur… Les obstacles, la médiocrité de sa condition à venir, tout lui était joie. Que ce serait beau!…

Mme Langeais était trop occupée d’elle-même pour prêter grande attention à ce qui se passait autour d’elle. Depuis peu, elle ne songeait plus qu’à sa santé; elle occupait son temps à soigner des maladies imaginaires, essayer d’un médecin, puis d’un autre: chacun à tour de rôle était le Sauveur; il y en avait pour quinze jours; puis, c’était le tour du suivant. Elle restait des mois, au loin, dans des maisons de santé fort coûteuses, où elle exécutait avec dévotion des prescriptions puériles. Elle avait oublié sa fille et son mari.

M. Langeais, moins indifférent, commençait à soupçonner l’intrigue. Sa jalousie paternelle l’avertissait. Il avait pour Jacqueline cette affection énigmatique, que bien des pères éprouvent pour leurs filles, mais qu’ils n’avouent guère, cette curiosité mystérieuse, voluptueuse, quasi sacrée, de revivre en des êtres de son sang, qui sont soi, et qui sont femmes. Il y a, dans ces secrets du cœur, des ombres et des lueurs qu’il est sain d’ignorer. Jusqu’alors, il s’était amusé de voir sa fille rendre amoureux les petits jeunes gens: il l’aimait ainsi, coquette, romanesque, et pourtant avisée – (comme il était). – Mais quand il vit que l’aventure menaçait de devenir sérieuse, il s’inquiéta. Il commença par se moquer d’Olivier devant Jacqueline, puis il le critiqua avec une certaine âpreté. Jacqueline en rit d’abord, et dit:

– N’en dis pas tant de mal, papa; cela te gênerait plus tard, si je voulais l’épouser.

M. Langeais poussa les hauts cris; il la traita de folle. Bon moyen pour qu’elle le devînt tout à fait! Il déclara qu’elle n’épouserait jamais Olivier. Elle déclara qu’elle l’épouserait. Le voile se déchira. Il découvrit qu’il ne comptait plus pour elle. Son égoïsme paternel en fut indigné. Il jura qu’Olivier et Christophe ne remettraient plus les pieds chez lui. Jacqueline s’exaspéra; et un beau matin, Olivier, ouvrant sa porte, vit entrer en coup de vent la jeune fille, pâle et décidée, qui lui dit:

– Enlevez-moi! Mes parents ne veulent pas. Moi, je veux. Compromettez-moi.

Olivier, effaré, mais touché, n’essayait pas de discuter. Heureusement, Christophe était là. Il était le moins raisonnable, à l’ordinaire. Il les raisonna. Il montra quel scandale s’en suivrait, et comme ils en souffriraient. Jacqueline, mordant sa lèvre avec colère, dit:

– Eh bien, nous nous tuerons après.

Loin d’effrayer Olivier, ce fut une raison pour le décider. Christophe n’eut pas peu de peine à obtenir des deux fous quelque patience: avant d’en venir aux moyens désespérés, il fallait essayer des autres: que Jacqueline rentrât chez elle; lui, irait voir M. Langeais, et plaider leur cause.

Singulier avocat! Aux premiers mots qu’il dit, M. Langeais faillit le mettre à la porte; puis, le ridicule de la situation le frappa, et il s’en amusa. Peu à peu, le sérieux de son interlocuteur, son honnêteté, sa conviction s’imposaient; toutefois, il n’en voulait pas convenir, et continuait à lui décocher des remarques ironiques. Christophe feignait de ne pas entendre; mais, à certaines flèches plus cuisantes, il s’arrêtait, il se hérissait en silence; puis il reprenait. À un moment, il posa son poing sur la table, qu’il martela, et dit:

– Je vous prie de croire que la visite que je fais ne m’amuse guère: je dois me faire violence pour ne pas relever certaines de vos paroles; mais j’estime que j’ai le devoir de vous parler; et je parle. Oubliez-moi, comme je m’oublie, et pesez ce que je dis.

M. Langeais écouta; et quand il entendit parler du projet de suicide, il haussa les épaules et fit semblant de rire; mais il fut remué. Il était trop intelligent pour traiter de plaisanterie une pareille menace; il savait qu’il faut compter avec l’insanité des filles amoureuses. Jadis, une de ses maîtresses, une fille rieuse et douillette, qu’il jugeait incapable d’exécuter sa forfanterie, s’était tiré sous ses yeux un coup de revolver; elle n’en était pas morte, sur-le-champ; il revoyait la scène… Non, l’on n’est sûr de rien, avec ces folles. Il eut un serrement de cœur… «Elle le veut? Eh bien, soit, tant pis pour elle, la sotte!…» Certes, il aurait pu user de diplomatie, feindre de consentir, gagner du temps, détacher doucement Jacqueline d’Olivier. Mais pour cela, il eût fallu se donner plus de peine qu’il ne pouvait ou ne voulait. Et puis, il était faible; et le seul fait qu’il eût dit violemment: «Non!» à Jacqueline, l’inclinait maintenant à dire: «Oui.» Après tout, que sait-on de la vie? Cette petite avait peut-être raison. La grande affaire, c’est de s’aimer. M. Langeais n’ignorait pas qu’Olivier était un garçon sérieux, qui peut-être avait du talent… Il donna son consentement.

Le soir avant le mariage, les deux amis veillèrent ensemble, une partie de la nuit. Ils ne voulaient rien perdre de ces dernières heures d’un cher passé. – Mais c’était du passé, déjà. Comme ces tristes adieux, sur le quai d’une gare, quand l’attente se prolonge avant le départ du train: on s’obstine à rester, à regarder, à parler. Mais le cœur n’est plus là; l’ami est déjà parti… Christophe essayait de causer. Il s’arrêta, au milieu d’une phrase, voyant les yeux distraits d’Olivier, et dit, avec un sourire: