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Et le grondement du fleuve, et la mer bruissante chantèrent avec lui:

– Tu renaîtras. Repose! Tout n’est plus qu’un seul cœur. Sourire de la nuit et du jour enlacés. Harmonie, couple auguste de l’amour et de la haine! Je chanterai le Dieu aux deux puissantes ailes. Hosanna à la vie! Hosanna à la mort!

*

Saint Christophe a traversé le fleuve. Toute la nuit, il a marché contre le courant. Comme un rocher, son corps aux membres athlétiques émerge au-dessus des eaux. Sur son épaule gauche est l’Enfant, frêle et lourd. Saint Christophe s’appuie sur un pin arraché, qui ploie. Son échine aussi ploie. Ceux qui l’ont vu partir ont dit qu’il n’arriverait point. Et l’ont suivi longtemps leurs railleries et leurs rires. Puis, la nuit est tombée, et ils se sont lassés. À présent, Christophe est trop loin pour que les cris l’atteignent de ceux restés là-bas. Dans le bruit du torrent, il n’entend que la voix tranquille de l’Enfant, qui tient de son petit poing une mèche crépue sur le front du géant, et qui répète: «Marche!» – Il marche, le dos courbé, les yeux, droit devant lui, fixés sur la rive obscure, dont les escarpements commencent à blanchir.

Soudain, l’angélus tinte, et le troupeau des cloches s’éveille en bondissant. Voici l’aurore nouvelle! Derrière la falaise, qui dresse sa noire façade, le soleil invisible monte dans un ciel d’or. Christophe, près de tomber, touche enfin à la rive. Et il dit à l’Enfant:

– Nous voici arrivés! Comme tu étais lourd! Enfant, qui donc es-tu?

Et l’Enfant dit:

– Je suis le jour qui va naître.

FIN

ADIEU À JEAN-CHRISTOPHE

J’ai écrit la tragédie d’une génération qui va disparaître. Je n’ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa tristesse pesante, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l’écrasant fardeau d’une tâche surhumaine; toute une Somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à refaire. – Voilà ce que nous fûmes.

Hommes d’aujourd’hui, jeunes hommes, à votre tour! Faites-vous de nos corps un marchepied, et allez de l’avant. Soyez plus grands et plus heureux que nous.

Moi-même, je dis adieu à mon âme passée; je la rejette derrière moi, comme une enveloppe vide. La vie est une suite de morts et de résurrections. Mourons, Christophe, pour renaître!

R. R.

Octobre 1912.

CHRISTOFORI FACIEM DIE QUACUMQUE TUERIS,
ILLA NEMPE DIE NON MORTE MALA MORIERIS.

[1] Giuseppe Prezzolini, qui dirigeait alors, avec Giovanni Papini, le groupe de la Voce.

[2] Quand une chose est arrivée, même les sots la comprennent.

[3] Escroc, imposteur, simulateur, trompeur. (Note du correcteur – ELG.)

[4] Princesse italienne du XVe siècle, qui retourna des émeutes en sa faveur et, dotée d’un tempérament volontaire et indépendant, représenta l’idéal féminin de la renaissance italienne. (Note du correcteur – ELG.)

[5] Ce mot désigna d'abord tout alliage dans lequel le métal précieux était en quantité moindre que les métaux inférieurs, et, par suite, toute monnaie d'or et surtout d'argent, où le cuivre se trouvait dans une proportion supérieure au titre légal. (Note du correcteur – ELG.)

[6] Dans la mythologie grecque, Thémis est la conseillère de Zeus, chargée de faire régner la loi. (Note du correcteur – ELG.)

[7] Empereur de Byzance, surtout connu pour avoir fait publier un manuel de droit à l’usage des étudiants. (Note du correcteur – ELG.)

[8] Bataille gagnée au prix de lourdes pertes. (Note du correcteur – ELG.)

[9] Remède censé guérir tous les maux et vendu par des charlatans. (Note du correcteur – ELG.)

[10] Athéna Niké ou Nikê est la victoire personnifiée. (Note du correcteur – ELG.)

[11] Lieu présumé du tombeau de Moïse. (Note du correcteur – ELG.)

[12] Publiée en 1912.

[13] Sic. (Note du correcteur – ELG.)

[14] «J'ai mon compte, frère, sauve-toi!»