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— Pourquoi donc ? dit Mlle de Combert que l’embarras du petit prêtre amusait visiblement.

— Je n’ai… jamais entendu dire que… le… le marquis eût une… une fille ? Alors…

— J’ai à m’accuser d’un petit mensonge, reprit-elle avec ce sourire qu’elle savait rendre irrésistible. Mademoiselle Hortense Granier de Berny n’est que la nièce du marquis, la fille de sa jeune sœur Victoire, mais elle n’en est pas moins la demoiselle du château de Lauzargues et c’était la seule façon de lui faire rendre la place qui est la sienne. D’ailleurs, personne, ici, ne l’appellera autrement…

L’abbé Queyrol bredouilla ensuite quelques mots indistincts mais d’où Hortense, grandement soulagée, réussit à démêler qu’il aurait plutôt tendance à approuver les dires de Mlle de Combert.

— Il est grand temps, finit-il par articuler clairement, encouragé par les hochements de tête approbateurs de Dauphine, il est grand temps que choses et gens reprennent leur place. Dieu nous a donné, en Charles X, un roi qui se veut le premier serviteur de l’Église, et nous ne pouvons que remercier le Seigneur d’un cœur unanime pour ces bonnes dispositions. A ce propos…

Il rougit soudain jusqu’aux cheveux. Il avait à dire, de toute évidence, quelque chose de difficile. Pour l’encourager, Dauphine répéta :

— A ce propos ?

— Je… oui ! A ce propos je suis… heureux de l’occasion qui m’est donnée d’approcher, enfin, quelqu’un du château. Les gens espèrent de tout leur cœur pouvoir bientôt reprendre le chemin de la chapelle Saint-Christophe pour le pèlerinage d’antan. Ils ne comprennent pas que Monsieur le Marquis s’obstine à garder fermé et même barricadé, interdit à toute prière, le sanctuaire du saint protecteur des voyages et des errants. Ils disent que les chemins ne sont plus sûrs depuis que la chapelle est fermée.

Il lâcha un gros soupir, traduisant ainsi le soulagement qu’il éprouvait à s’être délivré de son message. Mais Mlle de Combert avait froncé le sourcil :

— Allons donc, Monsieur le Curé ! Fit-elle. Vous me la baillez belle. Les gens d’ici savent bien que la chapelle ne tient plus debout et que le marquis mon cousin est beaucoup trop pauvre pour pouvoir la restaurer. Ce que c’est que priver les gens de leurs terres et de leurs moyens d’existence !…

— Certains, ici, ne demanderaient pas mieux que d’offrir leur obole…

Mlle de Combert se mit à rire.

— Une obole ? Au marquis ? Vous sentez-vous le courage, Monsieur le Curé, d’aller la lui offrir ? Je ne suis pas certaine que votre soutane soit assez imposante pour vous protéger de sa colère. Une « charité » de ses anciens paysans ? Comme à un mendiant ?…

— Ne déformez pas ma pensée, ni celle de mes ouailles, Mademoiselle ! Cet argent ne serait pas pour lui mais pour saint Christophe, gémit l’abbé prêt à pleurer.

— La chapelle a toujours été considérée comme celle du château. Elle appartient aux Lauzargues…

— La maison de Dieu n’appartient qu’à Dieu !… Et nous avons eu tant d’espoir l’autre nuit, en entendant sonner de nouveau la cloche des « perdus » !

— La cloche ? Vous avez entendu sonner la cloche ?

— Aussi clairement que je vous entends, Mademoiselle !

— Vous avez rêvé ! C’est impossible !

— Je l’ai entendue aussi, intervint Hortense, et Godivelle et tous ceux du château et de la ferme. C’était le soir où mon oncle était parti pour se rendre chez vous !… Ne perdez pas espoir, Monsieur le Curé. Je vous promets d’intercéder auprès de mon oncle, de tout faire pour que la chapelle revive…

— Nous en reparlerons plus tard. Venez, nous sommes déjà en retard !… coupa Mlle de Gombert avec agitation.

Laissant à peine à Hortense le temps de saluer l’abbé Queyrol et de tremper sa main dans le bénitier, elle l’entraîna au-dehors. Mais elles n’eurent pas non plus celui d’atteindre le traîneau. Une petite femme vêtue de noir qui se tenait assise sur le banc du porche se dressa devant elles, une petite femme sans âge dont les mains tremblaient en se posant sur le bras d’Hortense et dont les joues étaient inondées de larmes.

— Ma petite demoiselle ! Fit-elle, riant et pleurant tout à la fois. Ma petite demoiselle Victoire ! C’est donc bien vrai que vous êtes revenue ? Oh, le Seigneur est bien bon qui permet que je vous revoie…

Elle s’accrochait à la jeune fille comme celui qui a une grâce à demander s’accroche à la statue d’un saint. Touchée par ces larmes, ce visage qui lui semblait curieusement familier, Hortense aurait voulu parler à cette femme dont le costume et surtout le châle noir posé sur la tête et d’où dépassait à peine la toile tuyautée de la coiffe lui rappelait Mère Madeleine-Sophie. Mais déjà Dauphine s’interposait…

— Ce n’est pas Mademoiselle Victoire, ma bonne femme, c’est sa fille. Vous êtes victime d’une ressemblance…

— Non. C’est Victoire… c’est ma petite Victoire. Oh, je l’aimais tant. Et elle m’aimait elle aussi…

Elle refusait de lâcher prise et Hortense n’osait pas lui demander qui elle était. Mais déjà Jérôme avait quitté son siège et s’emparait de la femme en noir, l’arrachant à Hortense sans trop de douceur…

— Allons, la mère ! Ça suffit comme ça ! Laissez la demoiselle tranquille ! Puisqu’on vous dit que c’est pas votre pouponne !

Le mot entra comme une vrille dans l’esprit de la jeune fille qui, impulsivement, se jeta en avant, obligeant le cocher à lâcher prise

— Laissez-la !

— Mais… not’demoiselle, cette femme vous importune. Elle est à moitié folle et plus collante qu’un gluau…

— Ne vous occupez pas de ça ! Que venez-vous de dire ?

— Est-ce que cette femme était la nourrice de ma mère ?

— Oui, fit une voix grave que Hortense avait déjà appris à reconnaître. C’est Sigolène qui a nourri votre mère de son lait.

Jean de la Nuit venait de surgir derrière la femme qu’il abritait à présent de sa haute taille et de son bras passé autour de ses épaules. Une grande cape de berger l’enveloppait. D’un seul coup, par sa seule présence, il fit paraître plus petits les participants de la scène. Mais Hortense ne s’en aperçut même pas. Elle ne voyait plus que le groupe étrange formé par ce garçon en qui s’incarnait la force et par cette femme fragile qui pleurait, le visage contre la poitrine du meneur de loups.

— La sœur de Godivelle, n’est-ce pas ?

— Godivelle n’a plus de sœur depuis longtemps… exactement depuis que le marquis de Lauzargues le lui a interdit. Celle-ci c’est Sigolène l’abandonnée, Sigolène la réprouvée…

— Mais pourquoi ? Est-ce parce qu’elle a gardé le souvenir de ma mère ?

— Non. Parce qu’elle m’a servi de mère à moi, quand la mienne est morte. Elle n’a pas permis que je sois abandonné au froid, à la faim, aux loups qui n’avaient pas encore appris à me connaître, ou encore aux bohémiens. Alors le marquis l’a chassée… Quant à toi, le Jérôme, si tu oses encore porter la main sur elle comme tu viens de le faire, il vaudra mieux pour toi éviter les bois trop noirs et les fourrés trop épais. Tu es fait de mauvaise viande… mais les loups ne sont pas difficiles !

Comme l’autre nuit, le cocher reculait sous le geste menaçant de Jean. Il se sauva même vers l’église, disparut un instant puis revint, agitant dans la direction de son ennemi sa main trempée d’eau bénite.