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— Maudit, Maudit ! Trois fois maudit !… Tu brûleras en enfer jusqu’à la consommation des siècles.

— J’y serai en bonne compagnie alors ! Il ne doit pas y avoir beaucoup de Lauzargues qui manquent à l’appel. Et, en un sens, ce sera justice !

Ayant salué Hortense et Mlle de Gombert, Jean de la Nuit tenant toujours sa mère adoptive sous l’abri de sa cape s’éloignait en direction de deux femmes qui, sous l’auvent du four banal, avaient suivi la scène sans oser y participer, quand Hortense ramassant ses jupes s’élança et rattrapa le groupe qu’elle arrêta.

— Je veux l’embrasser ! S’écria-t-elle.

Puis, se penchant, elle posa ses lèvres sur la joue humide de Sigolène : « Je serai toujours Victoire pour vous… mais pour vous seule ! Et je viendrai vous voir. »

— Je ne crois pas qu’on vous le permettrait, Mademoiselle, dit Jean. Et je crois savoir que vous avez déjà suffisamment d’ennuis comme cela !… Mais que Dieu bénisse votre cœur généreux !

Après avoir confié Sigolène aux deux femmes, il disparut à l’angle d’une maison avec cette agilité et cette prestesse qui n’appartenaient qu’à lui. Et, comme à chacune de leurs précédentes rencontres, Hortense éprouva l’impression de solitude et d’abandon qui devenait habituelle. Elle revint lentement vers le traîneau dans lequel Mlle de Combert avait repris place et dont un Jérôme hargneux lui souleva la couverture pour lui permettre de se réinstaller.

Le traîneau partit en silence. Dauphine s’était contentée, quand Hortense était revenue, d’un regard un peu appuyé et d’un demi-sourire. Pour sa part, Hortense n’éprouvait aucune envie de parler, préférant s’enfermer dans des pensées qui erraient dans une sorte de brouillard de plus en plus épais. Ce fut seulement quand on eut atteint le bas du versant qu’elle murmura, comme pour elle-même, traduisant tout haut sa pensée :

— Pourquoi chasser une femme au cœur généreux qui prend soin d’un enfant orphelin et abandonné ?…

Le silence reprit mais un silence d’une qualité différente que Hortense respecta. Mlle de Combert, visiblement, réfléchissait…

— Parce que, dit-elle enfin, ce garçon était déjà, à la mort de sa mère, ce qu’il est devenu tout à fait : un gaillard éclatant de santé, un superbe poulain ombrageux que les filles ne peuvent s’empêcher de regarder tandis que l’enfant mis au monde par la pauvre Marie de Lauzargues un an avant cette mort était frêle, chétif et sujet aux convulsions, ce qui entretenait chez mon cousin une fureur latente.

— N’est ce pas un sentiment bien mesquin de la part d’un homme qui se veut un esprit éclairé ?

— L’éclairage de l’esprit n’a pas grand-chose à voir en pareil cas, ma chère enfant. Votre oncle a toujours détesté ce Jean sans nom. Peut-être parce qu’il aurait tellement voulu en être fier.

— Fier ? Comment cela ?

— Oh, c’est fort simple, parce que le vrai Lauzargues c’est ce meneur de loups. Il est le fils du marquis. Son fils bâtard mais son fils tout de même et les deux hommes se haïssent faute de pouvoir s’aimer.

— Son fils ! répéta Hortense abasourdie. Ce n’est pas possible !

— Pourquoi donc ? Cela se faisait beaucoup jadis. Aux temps féodaux, le bâtard était élevé avec les autres garçons, aussi bien ou aussi mal. On n’avait jamais assez d’hommes pour la défense des châteaux. Et quelquefois c’était le préféré car la mère, toujours belle, avait été choisie, aimée souvent, non imposée par l’exigence de la fortune ou le désir d’agrandir les terres…

— Voulez-vous dire que le marquis n’a pas aimé la mère de Jean ?…

— Il n’a jamais aimé que votre mère, sa propre sœur ! Mais Catherine Bruel était la plus jolie fille du village. Il l’a voulue, il l’a prise… et puis il l’a abandonnée. Rien que de très normal, au fond, ajouta Mlle de Combert avec une désinvolture qui choqua Hortense, avant de reprendre sur le même ton léger : « Racontez-moi donc à présent cette histoire de cloche. »

Mais Hortense n’avait pas envie de raconter. A cet instant elle aimait moins cette femme qui la tenait captive de son charme depuis plusieurs jours.

— Il n’y a pas grand-chose à dire, fit-elle. La cloche de la chapelle s’est mise à sonner en pleine nuit et personne n’a pu trouver ce qui la faisait sonner. C’est tout !

— Comment, c’est tout ?

Apparemment, on ne se débarrassait pas si facilement de Dauphine de Combert quand elle voulait savoir quelque chose. Hortense néanmoins tint bon.

— Je ne peux rien vous dire de plus. Interrogez Godivelle !

— Interroger Godivelle ? Autant essayer de tirer des confidences d’un mur… Y a-t-il d’ailleurs quelque chose qu’elle pourrait m’apprendre et que vous ne puissiez dire ?

— Je ne sais pas. Tout ce que je peux ajouter c’est que tous ceux qui ont entendu la cloche pensent la même chose : c’est un avertissement de l’au-delà. Plus précisément… de feue la marquise ma tante…

— La marquise ?…

A la surprise de sa jeune compagne, Dauphine ne dit plus rien et tourna la tête comme si le paysage enneigé avait pris soudain pour elle une extrême importance. Le large bord de sa capote de velours déroba son visage et Hortense ne vit plus qu’une cascade brillante de plumes de coq mordorées. On arriva au château sans qu’aucune autre parole eût été échangée mais la jeune fille ne put s’empêcher de remarquer la mine préoccupée de Mlle de Combert au moment où elle s’engouffrait dans le vestibule.

Toujours en silence, elles secouèrent de concert leurs bottines enneigées mais personne ne vint les aider à se débarrasser de leur manteaux que l’on remplaçait immédiatement par des châles de laine douce, ou de cachemire quand on en avait les moyens. Godivelle, qui se chargeait toujours de ce rite, ne parut pas et pas davantage Pierrounet. Mlle de Combert marmotta quelque chose où il était question de « château de la Belle au Bois Dormant » et commençait à monter l’escalier quand Godivelle en surgit.

Cette fois encore elle portait un plateau où rien n’avait été touché mais la pauvre femme avait perdu toute sérénité et pleurait sans retenue, reniflant à s’éclater le nez et libérant de temps en temps une main pour s’essuyer les yeux à sa manche. On n’eut pas le temps de la questionner. Regardant les deux femmes de ses yeux rougis pleins de colère et de chagrin, elle leur jeta :

— Il ne mange rien, vous entendez ? Rien !… Il se laisse mourir de faim… Mon petit ! Mon pauvre petit !…

L’instant suivant elle avait disparu dans les profondeurs de la cuisine dont la porte claqua derrière elle. Interdites, les deux femmes se regardèrent mais, très vite, Mlle de Combert choisit l’emportement :

— Il ne nous manquait plus que cela ! Godivelle a des états d’âme. Et mon cousin qui n’est pas là !

— Mon oncle est sorti ?

— Oui. Il a choisi un dimanche pour se rendre à Faverolles pour je ne sais quelle affaire. Comme s’il ne ferait pas mieux de se soucier de ce qui se passe ici et de mettre enfin ce gamin au pas !

Tout son beau calme avait disparu. Elle criait presque en s’élançant dans l’escalier pour gagner sa chambre. Une minute plus tard une seconde porte claquait. Hortense, alors, décida que l’intérêt le plus immédiat se situait à la cuisine et s’y précipita.

La tête dans ses bras auprès du plateau abandonné, Godivelle pleurait à gros sanglots gémissants, oubliant totalement de prêter attention au quartier de mouton qui rôtissait dans la cheminée et commençait à brûler. Il fallait que Godivelle fût bien désespérée pour ne pas même sentir l’odeur. Elle semblait avoir tout oublié des contingences terrestres pour s’abîmer dans une douleur apparemment sans fond.