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Ce soir-là, Hortense ne rencontra aucune ombre blanche dans la galerie et n’entendit pas davantage de bruits dans la chambre condamnée. Elle s’attarda pourtant à son petit bureau pour transcrire dans son journal le récit de cette journée mémorable. Mais les esprits du château avaient choisi de faire silence. Peut-être l’âme inquiète de Marie de Lauzargues goûtait-elle un peu de repos depuis que son fils avait renoncé à mourir ?

Il était près de minuit quand Hortense quitta sa table en s’étirant. Elle se sentait lasse mais presque heureuse. Le feu n’était plus que braises rouge sombre. Il allait s’éteindre, pourtant Hortense n’avait pas froid. Elle alla vers la fenêtre, l’ouvrit et constata que le temps avait changé. Il pleuvait, d’une pluie fine et douce sous laquelle la neige ne tiendrait guère et qui annonçait le printemps… Enfin, il allait être possible de sortir du château, de parcourir cette campagne encore inconnue sans risquer de s’abîmer dans quelque fondrière masquée par la neige !… Un instant, Hortense caressa l’idée de reprendre son journal et de lui confier la bonne nouvelle mais, décidément, elle se sentait lasse. Elle se déshabilla donc en hâte, se mit au lit et souffla sa chandelle.

Une fois couchée, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de dire ses prières mais n’eut pas le courage de se relever pour reprendre contact avec le sol froid. Elle décida que, pour une fois, elle les dirait au lit. Le Pater poster et l’Ave Maria furent récités sans trop de peine mais le sommeil et l’obscurité vinrent à bout de l’examen de conscience et il ne fut même pas question de l’acte de contrition…

Le lendemain, la douce pluie s’était transformée en grandes averses rageuses portées par le tourbillon de la « traverse », le vent d’ouest venu de la mer. Dans le paysage brouillé, lavé, étouffé, on ne voyait plus que de rares plaques de neige quand encore on pouvait voir quelque chose. Par contre, le bruit du torrent, grossi par cette fonte brutale, emplissait la vallée…

— Un temps à ne pas mettre un chien dehors, commenta Godivelle quand Hortense entra dans sa cuisine…

Il n’arrêta pourtant pas Jérôme qui arriva sur le coup de midi, trempé jusqu’aux os avec une voiture et des chevaux transformés en statues de boue. Il était naturellement d’une humeur exécrable et annonça tout à trac la nouvelle qu’il rapportait toute chaude :

— Pas la peine d’attendre M’sieur le Marquis ! Il a pris tout à l’heure la diligence pour Paris avec la demoiselle de Combert !

— Comment ça avec la demoiselle de Combert ? s’écria Godivelle, l’œil et le bonnet en bataille. Tu ne devais pas la ramener chez elle ?

— Je croyais aussi mais c’était surtout l’traîneau qu’y fallait ramener. A peine arrivés à Combert et la voiture attelée, la demoiselle m’a dit d’la conduire à Saint-Flour où M’sieur le Marquis l’attendait. Ça a pas été une p’tite affaire avec c’te neige qui commençait à fondre mais on a fini par arriver sur le tard.

Hortense reposa la quenouille au maniement de laquelle elle s’exerçait sous la haute direction de Godivelle. Son regard s’attacha, insistant, sur la vieille femme, dans l’espoir qu’elle poserait les questions qu’elle-même se refusait à poser. Et Godivelle n’y manqua pas :

— Et où est-ce qu’il était, Monsieur le Marquis ? Chez son notaire ? J’ai jamais entendu dire que Maître Douët soit obligeant au point de donner l’hospitalité à ses clients ? Autant tenir auberge alors ?

— Vous départez, la mère ! M’sieur le Marquis nous attendait à ce nouvel hôtel qui est sur les promenades. Celui qu’on l’appelle l’Europe…

— Chez l’Autrichien ? Eh ben, on peut dire qu’il n’a guère de vergogne, notre maître. Le relais de poste ne lui suffisait pas ?

— Faut croire que non. Dites voir, Godivelle, vous n’auriez pas un morceau pour moi avant que j’aille m’occuper des chevaux ?

— Les chevaux d’abord ! Et puis commence donc par répondre à une question : quand est-ce qu’il rentre, le maître ?

Le haussement d’épaules de Jérôme traduisit aussi bien son ignorance que le peu d’intérêt qu’il portait à ce retour. Le maître rentrerait quand ça lui chanterait, voilà tout ! Mais comme il sortait pour rejoindre les chevaux, Hortense se leva et rangea sa quenouille.

— Je vais prévenir mon cousin. Il sera content et les bonnes nouvelles ne doivent pas attendre.

— Les bonnes nouvelles ? s’exclama Godivelle avec un regard en coin. A votre place, demoiselle Hortense, je n’en serais pas trop certaine. Il se peut que vous changiez d’avis par la suite, car, moi, ça ne me dit rien qui vaille, ce voyage à Paris dont on n’a soufflé mot à personne. Et avec « la » Combert en plus ! J’aime qu’on fasse les choses au grand jour, moi ! Malheureusement, ici, c’est pas souvent la mode !…

Deuxième Partie

L’HÉRITIER

CHAPITRE VII

LA VOLONTÉ DU ROI

Après les grandes averses de mars, le printemps vint d’un seul coup. Un printemps d’autant plus précoce – du moins pour ce pays de montagnes – que l’hiver avait été plus rude. En un rien de temps, les prés détrempés laissèrent poindre les pousses vertes de l’herbe neuve mêlée de trèfle et de pissenlits. Les pins sylvestres et les sapins des bois secouèrent leurs derniers flocons de neige durcie et leurs aiguilles mortes sur les anémones blanches, les premières violettes et les étoiles mauve pâle du lierre terrestre. Le soleil monta plus haut dans le ciel et dispensa des rayons plus chauds. Grâce à sa complicité, la convalescence d’Étienne se développa rapidement.

Dès le lendemain de ce jour où il avait accepté de se nourrir, Hortense et Godivelle, aidées de Pierrounet et de Garland, l’installèrent dans la chambre du premier étage précédemment occupée par Mlle de Combert. L’ameublement y était à peine moins austère que dans la sienne propre mais elle avait l’avantage d’être exposée au midi et, comme elle était un peu plus petite, elle était mieux chauffée. Enfin c’était un étage d’économisé pour les jambes des infirmières bénévoles, ce qui dans un château médiéval n’était pas un mince avantage.

Le jeune homme reprenait des forces à vue d’œil et la fracture de sa jambe semblait en bonne voie de réparation. Sur l’ordre exprès d’Hortense qui, en l’absence de son oncle s’était arrogé, jusqu’à un certain point, les droits seigneuriaux, Jérôme, renâclant mais apparemment maté, alla jusqu’à Chaudes-Aigues, distant de trois lieues environ, pour y demander la visite du docteur Brémont. Le cocher avait bien tenté d’ergoter en glosant sur les habitudes mercenaires des fils d’Hippocrate, mais Hortense mit fin à son discours en déclarant qu’elle se chargeait personnellement des honoraires du médecin. Et comme, afin de stimuler Jérôme, elle commit l’imprudence de lui donner quelque argent pour se nourrir et nourrir son cheval durant le voyage, le cocher, ébloui par sa munificence, n’eut rien de plus pressé que de la célébrer dans la meilleure auberge de Chaudes-Aigues avec du vin de Chanturgues qui avait ses préférences, mais qui était aussi le plus cher que l’on pût trouver parmi les vins d’Auvergne. Naturellement, une fantastique « cuite » avait suivi, à tel point qu’au lieu de ramener le docteur Brémont, ce fut le docteur Brémont qui, sur le siège du cocher, ramena à Lauzargues un Jérôme confortablement étalé sur la banquette de l’intérieur.

Il entrait sans doute beaucoup de conscience professionnelle dans le déplacement du médecin, mais aussi une bonne dose de curiosité. Depuis des décennies et peut-être des siècles on n’avait vu à Lauzargues un de ses pareils. Godivelle pour sa part n’en avait jamais rencontré. Elle n’était d’ailleurs pas certaine que cette innovation dût être approuvée par le marquis… Mais Hortense mit fin à ses alarmes.