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La porte claqua derrière lui et l’on n’entendit plus que le bruit de ses pas se dirigeant vers l’escalier… Godivelle qui, durant la dernière partie de la scène, s’était tenue tapie derrière l’un des sièges, se précipita vers Hortense toujours à genoux pour l’aider à se relever…

— Ne vous mettez pas dans cet état, mon enfant ! Chuchota-t-elle en jetant autour d’elle les regards inquiets de qui craint d’être écouté, cela ne sert à rien… Votre résistance ne fait que réveiller les démons qui habitent M. Foulques. Il est… oui, il est capable du pire quand on lui résiste. Cessez de l’affronter !… Peut-être qu’en laissant faire le temps…

— Le temps ?… Croyez-vous qu’il me laissera le temps ?…

L’une soutenant l’autre, elles quittèrent la salle mais quand la vieille femme voulut l’entraîner vers la cuisine pour lui faire boire quelque chose de chaud afin de la remettre, Hortense refusa. Son regard venait de rencontrer sa grande mante restée au portemanteau.

— Tout à l’heure, Godivelle ! Pour l’instant je voudrais prendre un peu l’air… Je crois que cela me fera du bien…

— Mais la nuit commence à tomber et il risque de pleuvoir…

— Je n irai pas loin. Jusqu’à la chapelle seulement… Même si je ne peux y entrer, cela m’apaisera d’être auprès d’elle…

— Allez, alors, mais ne vous attardez pas !

Avec un soin maternel, la vieille femme l’emballa dans sa cape, prenant bien soin de rabattre le capuchon sur sa tête puis, du seuil, la regarda descendre lentement le chemin. L’air du dehors, humide et frais, fit du bien à Hortense. En séchant, les larmes versées lui avaient laissé la peau trop chaude et trop tendue. Elle respira avec délices l’odeur d’herbe neuve, de fougères et de pins : une fraîche senteur de lande mouillée. Le ciel, au-dessus d’elle, gardait les roseurs mauves du récent coucher de soleil. Il faisait calme et doux et les bruits du jour s’étaient tus…

Dans l’ombre du rocher, la chapelle muette ressemblait à un gros chat couché qui attend, à demi assoupi. Elle avait quelque chose d’amical et de rassurant et, lentement, Hortense se dirigea vers elle.

Comme lors de sa première visite, elle alla s’asseoir sur les marches usées de la croix, chercha des yeux la cloche inerte dans son petit clocher carré. Allait-elle sonner encore comme elle l’avait fait l’autre nuit ? Si vraiment ses appels venaient d’outre-tombe, s’ils étaient la voix de celle qui reposait là comme l’ombre blanche du château en était l’apparence, la cloche sonnerait encore, solitaire et désolée puisqu’à nouveau le danger menaçait Étienne…

Qu’allait-il dire, qu’allait-il faire en face de l’ordre royal, écrasant décret sans appel qui lui faisait un devoir et même une obligation d’épouser sa cousine ? Il s’en fallait encore de quelques jours qu’il pût poser le pied à terre et que le docteur Brémont revînt pour le libérer de l’appareil… Il allait souffrir, sans doute… Se débattre, et elle ne pourrait rien pour lui.

La nuit tombait à présent. Serrée contre le fût de la croix de pierre Hortense regardait le château, dressé en face d’elle comme une menace, devenir une formidable ombre noire. Les deux fenêtres éclairées de ce côté lui faisaient les yeux luisants d’une bête apocalyptique. Il suait la malveillance et pour un peu la jeune fille eût imaginé qu’elle l’entendait souffler la menace par d’invisibles naseaux…

Une goutte de pluie tomba sur son front, puis une autre… La noirceur du ciel n’était pas uniquement due à la venue de la nuit car un gros nuage plombé s’accrochait aux créneaux de Lauzargues. Il était temps de rentrer. La sagesse exigeait d’Hortense qu’elle rentrât se mettre à l’abri mais elle ne pouvait s’y résoudre. La pensée de se retrouver en face du marquis lui était intolérable. Il lui serait impossible de poursuivre la discussion de tout à l’heure sans avoir pris, comme disait jadis le roi Louis XI, « le conseil du silence »…

Bien sûr il y avait sa chambre, ce refuge habituel des femmes en détresse, mais cette chambre ouvrait en face de celle du marquis, elle était voisine de celle où Marie de Lauzargues avait enduré une fin atroce. Hortense avait besoin d’être vraiment seule avec elle-même… et Dieu s’il voulait bien l’écouter ! Elle songea à la petite grotte. Là seulement elle serait en paix… là seulement elle aurait une chance de rencontrer l’être dont elle avait le plus besoin à cette minute : Jean de la Nuit, l’homme qu’elle aimait.

Peu soucieuse de voir la silhouette de Godivelle s’encadrer au seuil du château et d’entendre sa voix l’appeler, elle s’enveloppa plus étroitement dans sa mante, en rabattit le capuchon sur son visage et, devenue ainsi une ombre parmi les ombres, elle prit sa course en direction du torrent.

Elle partit droit devant elle dans l’averse commençante et les ombres de la nuit qui s’épaississaient vite. Elle atteignit le bois, mais par un autre sentier que celui dont elle avait l’habitude quand elle allait directement du château au torrent. Un chemin s’ouvrait devant elle et elle s’y engagea, le suivit un bout de temps. Mais à mesure qu’elle avançait la forêt devenait plus épaisse et plus dense. Le bruit de l’eau s’étouffait peu à peu au lieu de se faire plus présent. Bientôt, le sentier n’exista plus que dans son imagination et quand, persuadée de s’être trompée, elle voulut revenir en arrière pour remonter vers le château et reprendre le chemin habituel, elle ne le retrouva plus…

La pluie faisait rage à présent, transperçant l’abri encore fragile des feuilles, aveuglant la jeune fille qui bientôt ne sut plus où elle se trouvait. Autour d’elle, tout n’était que confusion… Était-elle passée, tout à l’heure, auprès de ce chêne au tronc bossué ? Ou bien était-ce plutôt celui-là ?… Au-dessus du bois où elle tournait en rond comme un oiseau affolé, le ciel était d’un noir d’encre. Elle devinait seulement les silhouettes des arbres, les rochers…

Soudain, en contrebas, elle crut apercevoir l’écume blanche de l’eau et s’élança. Le sol était gras d’un humus de feuilles pourries et de plaques de mousse fraîche. Hortense perdit l’équilibre, glissa jusqu’à une fondrière, se déchirant au passage à un buisson de ronces. La douleur lui arracha un cri mais elle refusa de se laisser aller à la peur qui venait. Elle se releva, suivit un instant la trace qu’un animal avait laissée à travers le fourré. Elle se sentait transie, trempée, ne sachant plus bien si ce qui coulait sur son visage était de la pluie ou des larmes…

Son pied glissa sur une pierre en une torsion douloureuse qui la rejeta à terre, sanglotante. Puis révulsée de terreur : elle avait entendu, ou cru entendre peut-être, le hurlement d’un loup droit devant elle. Alors elle cria :

— Jean !… Jean de la Nuit !… A moi !…

Mais sa voix lui parut ridiculement faible. Comment Jean pourrait-il l’entendre alors qu’elle ne savait même plus où elle se trouvait ni quelle distance elle avait parcourue ? Il lui semblait qu’elle errait dans cette forêt hostile depuis des mois…

Aucun son ne lui répondit. Elle cria encore et encore, puis, comme rien ne venait, elle se releva péniblement pour chercher au moins un surplomb rocheux où s’abriter de la grande averse qui, en gifles rageuses portées par un vent de tempête, s’abattait sur elle et la flagellait. Mais quand elle voulut s’appuyer sur son pied la douleur fut si forte qu’elle retomba à terre, évanouie.

Une sensation de brûlure la réveilla. Quelque chose coulait en elle, si fort qu’elle s’étrangla et se redressa pour se plier en deux, toussant à s’arracher la gorge. Un rire bas et doux répondit à ses efforts douloureux.