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Plusieurs heures s’écoulèrent avant que la porte ne s’ouvrît de nouveau sous la main du maître. Le feu n’était plus que braises rouges et la température avait fraîchi dans la maison. La tempête avait cessé et le jour n’était plus loin. Hortense s’éveilla au grincement de la porte, au bruit des pas, mais la fièvre la dévorait et elle se sentait si faible qu’elle n’eut même pas la force de se redresser.

Elle fit un effort cependant quand le feu, nourri d’une brassée de branchettes sèches, flamba de nouveau et que Jean ralluma les chandelles à celle qu’il avait laissée en veilleuse. Elle vit que le maître des loups n’était plus seul. Un homme l’accompagnait que Hortense reconnut avec tant de surprise qu’elle le prit un instant pour un fantôme né de sa fièvre. Mais c’était bien François Devès, le fermier de Combert. La main de Jean, posée sur son front, acheva de la convaincre qu’elle ne rêvait pas…

— Elle est brûlante, constata-t-il. Elle doit avoir une grosse fièvre…

— Il faut pourtant l’emmener d’ici, dit le fermier. Si le marquis apprenait qu’elle a passé la nuit sous ton toit, il te ferait subir le même sort qu’à moi. Peut-être pire…

— Encore faudrait-il qu’il me prenne ! La garde des loups est une bonne garde !

— Mais elle n’est pas à l’épreuve des balles. Et alors… Tu as eu raison de venir me chercher, Jean. Je vais l’emmener à Combert et on fera comme si c’était moi qui l’avais trouvée. Tout comme pour le jeune monsieur…

A les entendre parler entre eux et débattre de son sort comme si elle n’était qu’une chose dépourvue d’intelligence, une sorte de paquet, Hortense trouva la force de protester :

— Vous… m’avez trahie, Jean de la Nui t !… Je ne veux pas… aller à Combert !

— Il faut pourtant que vous alliez quelque part ! Vous ne voulez pas rentrer à Lauzargues, vous ne voulez pas non plus aller à Combert et moi je vous répète qu’il faut que l’on vous soigne. Je vous ai demandé d’avoir confiance en moi…

— J’avais confiance en vous… mais pourquoi cet homme ?…

— Parce qu’il est mon ami et parce que c’est le seul, à cent lieues à la ronde, à qui je puisse confier ce que j’ai de plus cher au monde.

— Je… ne vous appartiens pas…

— Aussi ne parlais-je pas de vous mais de mon âme. Quant à François, il m’est aussi cher que l’abbé Queyrol… peut-être parce qu’il est aussi une victime du marquis. Jadis… il a osé aimer votre mère et faire battre un peu plus vite son cœur de fillette.

— Ainsi… c’était vous le François qui s’était blessé… pour cueillir… une rose ?…

— Comment pouvez-vous savoir cela ?

C’était le visage rude du fermier qui à présent se penchait sur Hortense avec dans ses yeux une émotion qui révélait les chagrins d’autrefois. Et comme, tant bien que mal, la jeune fille racontait la trouvaille faite dans les profondeurs du petit secrétaire, elle put voir un éclair de joie et une larme briller sur ce visage que le temps semblait avoir pétrifié…

— Demoiselle, murmura François, tout à l’heure vous étiez seulement pour moi celle que Jean veut aider, à présent je veux être votre serviteur… votre esclave si vous consentez à me donner le mouchoir qui était à elle. Je ferai ce que vous voudrez…

— Un mouchoir que tu as payé dix fois son poids de sang ! gronda Jean. Apprenez au moins ceci, Hortense : Foulques de Lauzargues jadis a fait saisir François par les Chapioux. On l’a attaché à un arbre après lui avoir arraché ses vêtements. Et puis ils se sont relayés pour le frapper avec des fouets de chasse… Il serait mort si Godivelle n’était arrivée à temps pour le sauver.

— Oublions ça, Jean ! Je n’ai plus de haine pour le marquis. Quant à lui, il ne doit même plus s’en souvenir. Je suis redevenu ce que j’étais avant : un domestique de demoiselle Dauphine, un objet parlant et agissant, rien de plus… Et c’est mieux ainsi d’ailleurs ! Chacun sa place ! A présent, dites-moi ce que vous voulez de moi, demoiselle ?

— Ramène-la à Combert. Elle y sera plus à l’aise que dans ce château des courants d’air, coupa Jean.

— Non, fit Hortense, je ne veux pas aller chez cette femme ! Elle me fait horreur… depuis que j’ai vu le marquis sortir de sa chambre, de son lit…

Jean se mit à rire. Depuis son retour, il avait fait chauffer du lait de chèvre, y avait ajouté de l’eau-de-vie et du miel et apportait à présent le tout à la malade.

— Je n’aurais pas cru que l’amour vous faisait horreur ? Fit-il avec dans les yeux un pétillement qui se souvenait. Buvez cela ! Vous en aurez plus de force pour le voyage.

— L’amour ? fit Hortense en prenant machinalement la tasse.

— Quoi d’autre ? Chacun sait, tout par ici, de quelle passion Mademoiselle de Combert a toujours brûlé pour son cousin. Et il est normal, pour une femme, de se donner quand elle aime à ce point… Ce n’est pas elle la coupable, ici, mais lui. Lui qui prend sans amour…

— Il ne l’aime pas ?…

Soudain, ce fut comme si François explosait. Une effrayante colère le souleva, l’emporta au-delà des limites de la prudence.

— C’est sa sœur qu’il aimait… et de quel sale amour ! Un amour du Diable ! C’était elle qu’il aurait voulu dans son lit… Je l’ai vu la regarder un jour où elle se baignait dans la rivière, cette innocente… Il était tapi derrière un buisson, près de l’eau… Les yeux lui sortaient de la tête et son visage était celui d’un démon. Et puis doucement… tout doucement, il a commencé d’écarter les herbes… d’avancer vers elle. Il rampait ce serpent et, tout en rampant, il commençait à ôter ses habits… J’ai compris qu’il allait s’abattre sur elle, qu’il n’était plus maître de lui. Alors j’ai fait du bruit… Il a cru à la présence d’un animal ou même à l’approche de quelqu’un du château. Et il s’est enfui… Ça valait mieux pour lui. Je l’aurais tué, s’il l’avait touchée !

Vidé tout à coup de sa force par l’évocation de ce terrible instant d’autrefois, François s’était laissé tomber sur le banc. Machinalement, il prit la bouteille d’eau-de-vie que lui tendait Jean sans un mot et en vida une grande lampée, si précipitée qu’elle le fit tousser…

— Pardonnez-moi ! soupira-t-il enfin en passant sa main sur son front en sueur. Je n’aurais pas dû, peut-être… mais au moins… vous serez sûre de pouvoir compter sur moi. A présent, dites-moi où vous voulez aller car le temps presse… Le jour va se lever…

Hortense leva les yeux, croisa le regard suppliant de Jean :

— Allez à Combert, je vous en conjure… Là, au moins, je pourrai, par François, vous donner des nouvelles…

— Vous m’aiderez à préparer ma fuite ?

— Je l’ai juré… Alors ?

Elle hocha la tête dans une acceptation lasse et comme si ce simple geste eût été un signal, les deux hommes firent preuve aussitôt d’une grande activité. Jean tendit à Hortense ses vêtements bien secs à présent et referma les rideaux du lit pour qu’elle pût s’habiller, tant bien que mal car son pied la faisait souffrir et la gênait. Pendant ce temps François fabriquait une sorte de civière en liant ensemble des branches d’arbre sur lesquelles on étala une couverture. Puis on y installa Hortense bien enveloppée dans sa cape sur laquelle on rabattit la couverture après avoir glissé, à ses pieds, une pierre chauffée au feu…

— Je vais t’aider à la porter jusqu’au gué de Combert, dit Jean. Ensuite, il faudra que tu la portes seul…