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— Mais… c’est loin, Combert ? fit Hortense.

— En passant par les bois, c’est moitié chemin, fit François. La route, elle, suit la rivière. Nous, on coupe… N’ayez crainte, demoiselle, dans une heure vous serez dans un bon lit.

Une heure plus tard, en effet, on arrivait au gué de Combert que les deux hommes firent passer à la civière.

Puis Jean se pencha et prit Hortense dans ses bras. Sans un mot et sans se soucier de la présence de l’autre, il la baisa longuement aux lèvres avant de la remettre aux bras de François et de s’enfuir en courant. Hortense entendit le jaillissement de l’eau tandis qu’en trois sauts il franchissait de nouveau le torrent et elle enfouit son visage contre l’épaule de François tout en resserrant l’étreinte de ses bras passés autour de son cou. Elle pleurait doucement, sans faire de bruit et François, un moment, respecta son chagrin. Il avançait rapidement, de son grand pas de montagnard, sans que le poids d’Hortense parût lui causer la moindre gêne. Ce fut seulement quand les toits gris de Combert pointèrent au-dessus des arbres, enveloppés dans la brume venue de la rivière, qu’il osa demander :

— Vous l’aimez, le Jean, demoiselle ?

— Bien… bien sûr !…

— Il ne faut pas !

Et comme il la sentait se raidir, prête à se défendre contre cet ami parce qu’il lui conseillait d’abandonner son amour, il ajouta :

— Je sais bien qu’on ne cesse pas d’aimer si aisément… mais au moins acceptez de renoncer à lui !… Rien n’est possible entre vous deux… pas plus que ce n’était possible autrefois… Si vous l’aimez vraiment, c’est dans le renoncement que vous le lui prouverez le mieux…

— Mais pourquoi ?… pourquoi ?…

— Parce que, quand on aime, on a envie que l’autre vive ! Moi, j’ai été heureux quand j’ai su qu’un autre l’emmenait à Paris, qu’elle échappait pour toujours à son frère. Je savais qu’il faudrait attendre la mort, et l’autre vie pour la revoir mais j’étais heureux.

— Est-ce que… vous l’aimez toujours ?

— Plus que jamais ! Elle est quelque part au fond de mon cœur, comme la rose au fond de son petit bureau… Cela me fait l’attente moins longue…

Si Hortense éprouvait quelque doute quant à la façon dont Mlle de Combert la recevrait, elle fut très vite rassurée. Dauphine l’accueillit avec un éclat de rire.

— Encore un Lauzargues éclopé ? S’écria-t-elle, après avoir constaté que sa visiteuse n’était pas gravement blessée. Quelle mouche vous pique, Étienne et vous, de venir à Combert par les bois, les rochers et la rivière ? Ne serait-il pas plus simple, et surtout plus confortable, comme disent les Anglais, de venir comme tout le monde par la route et en voiture ?

— Je ne venais pas vous voir, ma cousine, je m’enfuyais, soupira Hortense qui, trop lasse pour donner plus ample explication, choisit de fermer les yeux en laissant aller sa tête contre l’épaule du fermier. La souffrance était inscrite sur son visage et Mlle de Combert reprit tout son sérieux pour lui procurer sur l’heure un lit et la chaleur d’un bon feu avant de dépêcher François à Lauzargues pour « rassurer » le marquis.

Le lit occupait une petite chambre tendue et tapissée de ces charmantes toiles d’indienne qui avaient fait, au siècle précédent, la fortune de M. Oberkampf et de sa manufacture de Jouy. Des groupes de petits personnages s’y livraient en rose aux « occupations paysannes » et, à les contempler, Hortense eut un peu l’impression de revenir chez elle. Dans l’hôtel de la Chaussée d’Antin, sa chambre d’enfant avait été tendue, elle aussi, de toile de Jouy…

— C’était ma chambre avant la mort de mes parents, expliqua Mlle de Combert qui arrangeait les rideaux du lit après y avoir installé la jeune fille vêtue d’une de ses chemises de nuit. Je souhaite que vous vous y sentiez bien. Aussi, nous parlerons plus tard. Ma bonne Clémence va venir vous porter à déjeuner. Ce sera la meilleure façon de vous réchauffer…

— J’ai déjà très chaud ! Trop chaud même…

— Vous avez de la fièvre. A-t-on idée aussi de passer la nuit en forêt et sous la tempête ? Il est même étonnant que vous n’ayez pas été plus mouillée quand François vous a retrouvée !

— Il m’a trouvée sous un rocher où j’avais pu m’abriter après ma chute, expliqua Hortense, récitant la fable convenue à l’avance.

— C’est ce qu’il m’a dit. Mais c’était une vraie chance qu’il ait sur lui de quoi soigner une foulure. Je savais mon François prévoyant mais pas au point de faire sa ronde matinale avec des bandes de toile et du baume à l’extrait de mélilot. Il est vrai que notre région est tellement accidentée !…

Hortense bénit la fièvre qui lui permettait de cacher la rougeur qu’elle se sentait au visage. Elle avait compté sans la vivacité d’esprit de son hôtesse. De toute évidence, celle-ci ne croyait pas grand-chose du récit qu’on lui avait fait, mais au fond cela n’avait pas tellement d’importance.

L’entrée de Clémence, solide fille de ferme convertie en cuisinière-femme de chambre, portant un plateau, coupa court à l’entretien. Peu soucieuse de le reprendre, Hortense but un peu de bouillon, grignota une tartine de confitures puis, vite rassasiée d’ailleurs, pria qu’on voulût bien la laisser dormir.

Non qu’elle en eût vraiment envie en dépit de sa lassitude, mais prétendre avoir sommeil était le meilleur moyen d’obtenir un peu de solitude.

— Dormez, approuva Mlle de Combert. C’est encore la meilleure façon de soigner ce mauvais froid que vous avez pris. Si cela s’aggravait nous verrions à faire appeler le docteur Brémont mais je pense en savoir assez pour vous soigner moi-même. Ma pauvre mère était une perpétuelle enrhumée…

Ayant dit, Dauphine sortit de la chambre en agitant avec décision les rubans vert feuille qui ornaient son grand bonnet de dentelle et Hortense resta seule, espérant disposer d’un long moment pour réfléchir à tout ce qui venait de lui arriver et aux meilleurs moyens d’en sortir. Mais elle avait trop présumé de ses forces et ce fut la fatigue qui l’emporta. Quelques minutes après la sortie de son hôtesse, la rescapée de la tempête dormait à poings fermés…

L’évidence d’un gros rhume se révéla au réveil. Secouée d’une série d’éternuements, Hortense se trouva soudain transformée en fontaine : son nez et ses yeux coulaient à qui mieux mieux. Ce que voyant, Dauphine lui administra tisanes, sirop, lait chaud et pour finir un léger somnifère qui la renvoya au pays des rêves jusqu’au lendemain matin. Mais, quand elle ouvrit de nouveau les yeux sur le décor rose de sa chambre, elle découvrit que sa fièvre était tombée et qu’elle se sentait beaucoup mieux.

Mlle de Combert qui guettait ce réveil se déclara plus que satisfaite :

— Vous avez une belle santé, mon enfant, dit-elle. A présent, il faut songer à remettre ce pied sur ses bases, c’est l’affaire de deux semaines et me voilà tout à fait à l’aise pour vous demander si vous désirez les passer ici, ces deux semaines ? Je crois, sans vouloir influencer votre décision, que vous seriez mieux dans cette maison qu’à Lauzargues où les escaliers représentent une véritable épreuve. Étienne, je pense, a dû s’en rendre compte puisqu’il a dû garder la chambre tandis que…

Elle parlait, parlait, alignant les phrases à la suite l’une de l’autre comme si elle voulait retarder le moment d’entendre la réponse d’Hortense. Celle-ci mit, doucement, un terme au flot de paroles :

— J’aimerais rester ici, à condition, bien sûr, de ne pas vous être une gêne…