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Hortense releva une petite figure toute brouillée de larmes.

— Vous ? Mais ne me prêchiez-vous pas à l’instant l’obéissance au « chef de famille »… ?

— Et je la prêche toujours parce que c’est, je crois, le meilleur moyen pour vous de retrouver une sorte de liberté, sinon totale, du moins fort appréciable.

— Je ne vois pas du tout comment.

— Aussi vais-je expliquer. Mon cousin Foulques est décidé à ce que vous deveniez l’épouse d’Étienne et il a pour ce faire l’appui entier du Roi et de la Cour.

— Comment savez-vous cela ? Je n’en ai pas soufflé mot.

— Vous oubliez que nous étions ensemble à Paris. Ce qui a dû fort vous choquer mais ce sont là de ces privilèges comme on en accorde aux vieilles filles. Et je suis une vieille fille. Un état que je ne saurais trop regretter…

— A moi, il me conviendrait tout à fait !

— Ne dites pas de sottises ! Vous êtes faite pour vivre une vraie vie de femme : aimer, être aimée, donner la vie, fonder peut-être une dynastie, toutes choses qui me seront toujours refusées dans ce trou perdu de campagne où j’use mon existence entre ma chatte et des tapisseries que je ne saurais léguer à personne. Songez donc que votre seule chance d’aller vivre ailleurs qu’ici, c’est d’épouser Étienne !

— Vraiment ? J’aimerais savoir comment ! Mon oncle veut ce mariage parce qu’il veut ma fortune. Que j’épouse Étienne et je passerai mes jours enfermée à Lauzargues à regarder, selon les saisons, tomber la neige, la pluie et les feuilles des arbres en attendant de voir tomber mes cheveux…

— Que vous épousiez Étienne et vous serez comtesse de Lauzargues, c’est-à-dire en puissance d’un mari qui n’a jamais eu deux idées à lui et sur lequel vous régnerez sans partage. Car, en outre, je crois qu’il vous aime…

— Cela m’avancera bien si c’est, en définitive, mon oncle qui règne sur nous deux !

— Mais, pauvre sotte, comprenez donc ceci : fille mineure vous n’avez aucun droit, aucun pouvoir, c’est tout juste si vous existez ! Devenue comtesse de Lauzargues vous ne devrez plus de comptes qu’à votre époux qui lui-même entrera en pleine possession de ses droits. Et ni le marquis ni le Roi même n’y pourront rien ! Vous serez libre d’aller vivre à Paris. Vous le devrez même pour prendre légalement possession de vos biens ! Vous serez libre enfin..., car c’est n’être mariée avec personne qu’être mariée à Étienne !

Emportée par son désir de convaincre et par la passion qui l’habitait, Mlle de Combert s’était laissée aller à crier, ce qui réveilla Madame Soyeuse. La chatte couva un instant sa maîtresse du regard indigné de ses yeux d’or, s’étira, bâilla en montrant l’intérieur rose de sa petite gueule puis sauta sur le lit afin d’examiner de plus près la cause du scandale. Son arrivée détendit l’atmosphère et fit sourire Hortense qui tendit la main pour caresser la tête soyeuse. La chatte la regarda d’un air méditatif puis, satisfaite sans doute de son examen, navigua sur l’édredon rose pour venir se frotter en ronronnant contre la jeune fille.

— Elle vous a adoptée, dit Mlle de Combert. C’est un privilège car elle est difficile. Ainsi, elle déteste mon cousin Foulques. Mais vous… Il est vrai que vos yeux et les siens sont de la même couleur dorée…

Elle-même se levait, allait jusqu’à la cheminée pour vérifier l’aplomb de son bonnet de dentelle puis tirait un cordon de tapisserie qui pendait tout auprès.

— Je vais demander du thé à Clémence, fit-elle avec le soupir de quelqu’un qui vient de soutenir une rude épreuve. Cela nous fera du bien à toutes les deux.

Madame Soyeuse, à présent, tournait en rond sur le lit d’Hortense, cherchant une place qui lui convînt, pour finalement se coucher presque sous son bras, scellant ainsi entre elles le pacte de sympathie…

— Vous aimez les animaux ? dit Dauphine qui, de sa place, contemplait le tableau.

— Oui, je les aime. Tous ! ajouta Hortense qui songeait à Luern, le grand loup fidèle.

— Ils sont la consolation pour celles qui n’auront jamais la joie de bercer un enfant. Mais essayez d’imaginer, Hortense, qu’à la place de Madame Soyeuse, il y ait un bébé, tout contre vous. Pour ce bonheur, croyez-moi, je serais passée avec joie sous toutes les fourches caudines de tous les marquis de Lauzargues passés, présents et à venir ! L’obéissance peut vous paraître rude mais, quand il s’agit de filles telles que vous, elle peut être source de grandes joies, de revanches même. Songez à la puissance que vous donnerait un fils ! L’anneau serait refermé ! L’enfant serait Lauzargues et il serait vous, plus qu’aucun amant ne saurait jamais l’être ! Oh, mon enfant, réfléchissez ! Écoutez-moi ! Ne refusez pas que l’on plante pour vous un genévrier devant le château !

— Un genévrier ?

— C’est la coutume au jour des épousailles ! C’est pourquoi il y a beaucoup de genévriers dans nos montagnes. Il symbolise l’arbre qui doit sortir du nouveau couple et étendre ses branches sur la terre…

Clémence arrivant avec le plateau du thé interrompit sa maîtresse qui, jugeant peut-être qu’elle en avait assez dit, se contenta d’un sourire en portant sa tasse à Hortense. Celle-ci d’ailleurs se sentait un peu à bout d’arguments. Elle avait trop de bon sens pour ne pas sentir tout ce qu’il y avait de sagesse dans les paroles de sa cousine. Une sagesse qui n’était pas la sienne mais qui eût été peut-être celle de sa mère si elle n’avait rencontré un jour un jeune banquier parisien… C’est-à-dire un homme capable d’assumer la vie et l’avenir de celle qu’il aimait. Toutes choses dont le maître des loups, le solitaire de la combe perdue, était incapable. Pourtant, si démuni qu’il fût, avec quelle joie Hortense ne l’eût-elle pas suivi jusqu’au bout de la terre, jusqu’au fond de la misère peut-être car elle était à l’âge où la raison ne va pas plus loin que le bout du cœur. Mais Jean de la Nuit ne voulait pas l’emmener sur ces chemins-là. Peut-être parce qu’il ne l’aimait pas assez ? Ou peut-être parce qu’il l’aimait trop ?…

Jusqu’à la nuit tombée, Hortense resta en compagnie de ses pensées et de Madame Soyeuse dont elle caressait de temps en temps la douce fourrure…

Le lendemain matin, après sa toilette, Mlle de Combert et Clémence descendirent Hortense au salon. Une chaise longue l’y attendait avec un renfort d’oreillers et de coussins qui la rendait aussi confortable qu’un bon lit mais préservait davantage sa dignité. En effet, Hortense n’aimait pas l’idée de recevoir le marquis de Lauzargues du fond d’un lit. Un entretien avec lui ne pouvait être qu’un affrontement dans l’état actuel des choses et la jeune fille voulait pouvoir se lever et quitter les lieux, même en clopinant, si les choses tournaient à l’aigre. Et puis elle était ainsi de plain-pied avec le jardin dont seules trois hautes fenêtres la séparaient, et elle éprouvait une sorte de réconfort à voir s’épanouir les massifs de campanules bleues. Ce n’était pas un terrain favorable pour les rudesses du maître de Lauzargues qu’un jardin de vieille fille au charme désuet. Encore que le terme de vieille fille s’appliquât plutôt mal à Mlle de Combert. Son salon d’ailleurs prolongeait le jardin avec la floraison de roses qui s’épanouissaient, brodée au petit point, sur les gracieux fauteuils « à la reine », les deux canapés et la chaise-longue.

— J’aime les fleurs ! assurait la maîtresse du logis, et son aiguille habile en avait semé partout jusque sur les embrasses qui retenaient les grands rideaux de toile vert pâle. C’était Dauphine encore qui en avait disposé dans les deux vases de naïve faïence qui ornaient la cheminée où brûlait un odorant feu de sapin. Tout cela composait pour Hortense un cadre dans lequel elle se sentait bien. Son pied ne la faisait plus souffrir et son corps reposé se mouvait à l’aise dans la robe de velours vert que lui avait prêtée son hôtesse.