Выбрать главу

On attendait le marquis pour le déjeuner mais, vers la fin de la matinée, ce fut François Devès qui entra, les bras chargés d’une brassée de lilas.

— Ce sont ceux du fond du jardin, ceux qui sentent si bon, expliqua-t-il à Dauphine qui lui reprochait de ne pas avoir porté d’abord sa cueillette à la cuisine. J’ai pensé que Mademoiselle aimerait à en respirer le parfum tout frais…

— Que c’est gentil ! s’écria Hortense en tendant les mains vers la grosse gerbe mauve…

— Quel enfantillage ! protesta Mlle de Combert, vous les respirerez aussi bien quand ils seront dans les vases. Allons porter cela à Clémence, François ! En même temps je verrai où en est le déjeuner. Le marquis ne va plus guère tarder !

Elle enlevait les fleurs mais Hortense avait déjà caché sous la couverture posée sur ses jambes le billet que François lui avait glissé en lui donnant les lilas.

Aussitôt seule, elle le déplia et sentit une onde de joie l’envahir parce que Jean l’avait signé. Mais les quelques lignes qu’il contenait amenèrent immédiatement l’angoisse.

« Votre mariage est chose décidée. Il ne vous servirait à rien de résister. Vous ne feriez qu’aggraver le danger qui vous menace, vous et votre cousin. Votre seule chance est de gagner du temps. Acceptez de vous marier mais posez deux conditions : être mariée par le vieil abbé Queyrol, et dans la chapelle condamnée. Croyez-en, je vous en supplie, celui qui se veut pour toujours votre tout dévoué JEAN… »

Navrée, Hortense relut deux fois le court billet, trouvant tout de même à cette relecture une sorte de réconfort. Il y avait le plaisir sensuel de toucher ce papier, ces lignes tracées par Jean, mais il y avait surtout la certitude de la protection qu’il essayait d’étendre sur elle. Il veillait, il cherchait à la défendre autant qu’il lui était possible. Peut-être même préparait-il déjà cette fuite qu’il lui avait promise ? Et dans ce cas il avait raison : le temps était l’arme la plus précieuse qu’ils pussent trouver contre la volonté conjuguée du Roi et du châtelain de Lauzargues…

Aussi, quand le marquis apparut, quelques minutes plus tard, Hortense avait-elle repris à la fois courage et sérénité. Le billet glissé contre sa gorge était là pour lui donner confiance…

Ayant à présent une suffisante expérience du caractère de sa nièce et de ses foucades, M. de Lauzargues se garda bien d’apparaître sous les apparences d’un ange exterminateur venu demander des comptes. Il vint, au contraire, armé de ce sourire, de ce charme qui lui étaient propres. Et, s’il reprocha quelque chose, ce fut seulement l’imprudence commise en se lançant dans une promenade à la tombée du jour et dans une contrée dont Hortense ne connaissait encore ni le climat ni les pièges.

En présent de paix, il apportait même deux livres pour distraire l’éclopée. Ces ouvrages, Ourika et Édouard, avaient connu quatre ans plus tôt un succès mondain mais à l’occasion de la mort de leur auteur, – la duchesse de Duras – en janvier dernier, on venait de les rééditer à grand tirage et ils faisaient fureur à Paris. La duchesse n’était pas une inconnue pour Hortense qui en avait beaucoup entendu parler dans le salon de sa mère. Fille de l’amiral de Kersaint, elle était l’une de ces fières Bretonnes qui entendent ne suivre, en toutes choses, que leur cœur, leur conscience et leur sens de la grandeur. Ainsi, au mépris des salons, elle avait été la seule, après Waterloo, à accueillir chez elle des bonapartistes et leurs épouses. Pas ceux qui s’étaient ralliés aux Bourbons dès le départ de l’Empereur pour l’île d’Elbe, mais les autres, les vrais, ceux dont la fidélité ne s’était jamais démentie. Aussi Hortense éprouva-t-elle un vif plaisir à recevoir des ouvrages dont elle avait entendu vanter les mérites mais qu’elle n’avait pas eu l’autorisation de lire car ils évoquaient l’amour entre gens de couleurs différentes. Elle n’en demeura pas moins sur la défensive, en vertu de certain proverbe latin qui veut que l’on craigne les Grecs même porteurs de présents. Il lui était, en effet, impossible d’avoir la moindre confiance en son oncle.

On n’eut guère le temps de parler d’avenir car l’heure du déjeuner était arrivée et l’on passa à table. Et comme Mlle de Combert ne tolérait pas que l’on débattît d’affaires de famille pendant les repas, la conversation roula sur les derniers événements mondains de Paris, que Dauphine avait quitté bien avant son cousin. Celui-ci, avec beaucoup de verve d’ailleurs, raconta les grandes souffrances d’ambition de M. de Chateaubriand depuis que ses espoirs de prendre le portefeuille des Affaires étrangères dans le ministère Martignac avaient été déçus, et comment il assiégeait la toujours belle Mme Récamier pour qu’elle obtînt du duc de Laval qu’il abandonnât le palais Farnèse à Rome au profit d’un homme décidé à devenir ambassadeur de France. Le tout sur un ton vif, agréable et spirituel, qui amusa Hortense tout en lui montrant une autre facette du caractère de son oncle : celle d’un grand seigneur tel qu’on le concevait à Trianon dans l’entourage charmant et frivole de la reine Marie-Antoinette.

Ce fut seulement quand on revint au salon où le café était servi et que Hortense eut repris place dans sa chaise-longue que l’atmosphère changea brusquement. Un silence s’installa que n’expliquait pas seulement la dégustation de l’odorant breuvage. Pour sa part, Mlle de Combert avala le contenu de sa tasse sans le moindre souci d’élégance puis quitta la pièce en marmottant quelques paroles auxquelles personne ne prêta attention mais qui devaient constituer une excuse. Hortense et le marquis demeurèrent seuls, face à face…

Il y eut un nouveau silence qui parut à la jeune fille interminable. Elle se sentait lasse à présent, de tant de paroles prononcées en vain, et souhaitait que l’on en vînt aux choses sérieuses, mais le marquis ne se pressait pas. Tout en dégustant une seconde tasse de café, il observait sa nièce par-dessus le bord de la tasse. Enfin, n’ayant sans doute plus rien à espérer d’une tasse vide ni d’une cafetière qui l’était autant, il reposa l’objet sur la table et se carra dans son fauteuil :

— L’autre soir, commença-t-il doucement, je me suis laissé emporter plus qu’il ne convenait et je tiens à vous en demander excuse. La fatigue de ce long voyage sans doute… Je ne suis plus jeune, hélas, et ce sont de ces choses où l’on mesure le temps qui passe. En conséquence, j’aimerais que nous reprenions, sur un mode plus paisible, l’entretien que j’ai laissé se terminer si mal…

— Pourquoi le reprendre ? Il me semble, à moi, que nous nous sommes tout dit… Il faut me pardonner, mon oncle, si je vous blesse en quoi que ce soit, mais je ne peux dire autre chose que ce que je pense. Et ce que je pense est simple : je ne désire pas me marier. Pas encore, tout au moins…

— Je l’ai bien compris. Mais c’est à vous, à présent, de comprendre : quand le Roi donne un ordre, personne n’a le droit de refuser, ni même de différer son obéissance. Et le Roi a ordonné.

— Que j’épouse mon cousin ?

— N’avez-vous pas lu, comme moi-même, l’expression de sa volonté ? Ce mariage est chose décidée en trop haut lieu pour que vous ayez la moindre possibilité de le refuser.

— En avez-vous parlé à Étienne ?

— Certes. Et pour être tout à fait franc, je vous avouerai qu’il a, lui aussi, opposé une résistance à laquelle d’ailleurs je m’attendais. Mais… j’ai su trouver les arguments susceptibles de le convaincre et, à présent, il est tout à fait disposé à faire de vous sa femme…