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— Quels arguments ?

Le marquis se leva et fit quelques pas dans la pièce, trouvant ainsi une attitude qui lui permettait de dominer la jeune fille à demi étendue :

— Vous n’avez pas à le savoir. Entre un père et son fils, il est des terrains d’entente qui vous demeurent tout à fait étrangers. Il me reste, à présent, à vous convaincre, vous !…

— Je crains que ce ne soit moins facile.

Un instant, M. de Lauzargues arrêta sa lente promenade et considéra sa nièce avec un demi-sourire où entrait une forte proportion d’ironie :

— Ne vous y trompez pas, ma chère Hortense. C’est une grande concession à votre délicatesse féminine que je fais en cherchant ces arguments propres à adoucir l’expression d’une royale volonté mais…

— Mais ?…

— Mais ils ne sont pas absolument indispensables à la suite de cette affaire.

— Ce qui veut dire… que vous êtes disposé à passer outre ma volonté ?

Le ton montait. Les fers étaient engagés mais, en fait, Hortense combattait pour l’honneur et par amour-propre puisqu’elle savait ce combat perdu d’avance. En effet, le sourire du marquis s’accentuait tandis que sa voix redevenait étonnamment douce, aimable, presque joyeuse :

— Le terme « disposé » est impropre, mon enfant. Je suis, en fait, décidé à accomplir exactement ce que le Roi attend de moi. Je me rends dès demain à Saint-Flour pour y rencontrer le maire et l’évêque. Votre mariage aura lieu à la Saint-Jean dans la cathédrale. Nous recevrons ensuite dans l’ancien hôtel de Lauzargues qui appartient à un mien cousin mais qu’il nous prêtera pour donner à cette circonstance un éclat plus grand qu’il n’aurait au château.

— Je croyais que vous vouliez donner un bal chez vous ? fit Hortense acerbe.

— Le bal aura lieu… mais dans notre ancienne demeure. Le château ne pourrait jamais être en état dans deux mois…

Le visage du marquis rayonnait d’orgueil, à présent. Il anticipait visiblement les fastes dont il entendait éblouir la capitale cantalienne. Après des décennies d’obscurité volontaire, presque de misère, les Lauzargues allaient reparaître, superbement, sur la scène du monde…

Un instant, Hortense le contempla, amusée et apitoyée tout à la fois par cet éclat soudain d’un homme miraculeusement touché par la fortune. Puis sa voix calme et claire tomba sur cet enthousiasme comme le couperet du bourreau, le tranchant net :

— Si vous tenez à ce mariage, mon oncle, vous m’éviterez ce genre de cérémonie.

— Que voulez-vous dire ?

— Que j’accepte d’épouser Étienne puisque apparemment il n’y a pas moyen de faire autrement mais je ne veux pas me donner en spectacle à Saint-Flour. Pour être plus claire, je mets deux conditions à mon consentement.

Le marquis eut un haut-le-corps.

— Des conditions ? Je ne vois vraiment pas comment vous pourriez en poser. Ou bien vous acceptez ou bien vous refusez. Mais je ne vois pas…

— Oh, vous allez voir ! Si vous voulez que je devienne comtesse de Lauzargues, ce sera dans la chapelle du château, en présence de tous les gens du château et du village comme cela s’est toujours fait dans nos familles. Je veux être mariée dans la chapelle de Saint-Christophe parce que ce sera une grande joie pour les gens du pays de retrouver le chemin d’un sanctuaire qu’ils regrettent… et parce qu’au moins, il y aura ce jour-là beaucoup de gens heureux à défaut de moi. Quant à ma seconde condition…

— Quelle folie ! coupa le marquis. Je vous ai déjà dit l’état déplorable de ce bâtiment et…

— Cela m’est égal. Ne resterait-il qu’un pan de mur derrière l’autel que je m’en contenterais. D’ailleurs, à la Saint-Jean, l’été est là. Il fait chaud… Et s’il y a des travaux à faire j’écrirai à Paris pour avoir les fonds. Comprenez-moi bien, mon oncle ! Ma mère s’est mariée loin de chez elle. Si vous voulez que je considère vraiment Lauzargues comme ma maison, je veux m’y marier !…

Raidi dans une colère qu’il n’osait pas exprimer tant le désir d’Hortense semblait naturel, le marquis ressemblait à une statue de la réprobation. Désireuse de détendre un peu l’atmosphère, Hortense se permit un sourire :

— Mademoiselle de Combert m’a appris qu’il était d’usage, lors d’un mariage, de planter un genévrier devant la maison de la mariée. Il me paraît difficile d’en planter un devant la cathédrale de Saint-Flour…

Mais le marquis refusait de sourire :

— J’aimerais entendre à présent votre seconde condition…

— Elle découle un peu de la première. Depuis que je suis ici, j’ai beaucoup entendu vanter les mérites de l’abbé Queyrol…

— Ce petit prêtre de rien du tout ? Ce gamin ?…

— Vous ne m’entendez pas. Je parle de votre ancien chapelain, le vieil abbé Queyrol…

Cette fois, la colère flamba dans les yeux glacés du maître de Lauzargues. Une colère à laquelle – Hortense l’aurait juré – se mêlait quelque chose qui ressemblait à de la peur… Mais Il se contenta de répondre sèchement.

— Vous demandez l’impossible. L’abbé Queyrol est beaucoup trop âgé. On ne saurait le déplacer…

— Je souhaiterais tout de même qu’on le lui demande. S’il refuse… nous verrons !

— Et si moi, je refuse vos conditions ? Si je dis, ici, que vous serez mariée comme je l’ai décidé ? Si j’affirme…

— N’affirmez rien, mon oncle ! Vous n’aimeriez pas, je crois, m’entendre répondre « non » quand on me demandera si je veux épouser mon cousin, la voix résonne sous les voûtes d’une cathédrale…

— Vous n’oseriez pas !

— Ne me mettez pas au défi, mon oncle ! Je m’appelle aussi Napoléone…

Le retour de Mlle de Combert mit fin à une scène qui peut-être se fût éternisée. Sa présence gracieuse et souriante fit tomber chez Hortense l’excitation du combat. Mais le marquis demeurait figé sur place, raidi en face de l’insolente qui avait osé le défier. Les veines de ses tempes battaient et il était facile de deviner qu’il s’imposait une tension extrême pour ne pas éclater en invectives. Enfin son regard se détourna de la jeune fille pour se poser, avec une sorte de lassitude, sur celui de Dauphine.

— Eh bien ? fit celle-ci. Vous êtes-vous mis d’accord ?

— Il le faut bien ! lança-t-il avec humeur. Nous planterons donc à Lauzargues le genévrier des épousailles le jour de la Saint-Jean d’été… Jusque-là, ma cousine, vous me rendrez service en gardant Hortense chez vous. Au surplus, il ne serait pas convenable qu’elle habitât sous le même toit que son fiancé…

Et, sans ajouter une parole, il sortit du salon presque en courant…

CHAPITRE IX

LA NUIT DES ÉPOUSAILLES

Le premier dimanche de mai, on célébrait à Combert les fiançailles d’Hortense Granier de Berny et d’Étienne de Lauzargues par un temps gris et froid, ce genre de temps que les jardiniers appelaient l’hiver de l’aubépine car il n’était pas rare que la floraison de cet arbuste coïncidât avec un retour de la froidure. Cela permit à Godivelle, qui avait reçu du marquis l’ordre de venir prêter à Clémence le secours de ses talents culinaires, de ronchonner que c’était bien fait parce que le joli mois de mai, voué tout entier à la virginité de Marie, mère de Dieu, n’était pas un bon mois pour les accordailles :

« Noces de mai, noces mortelles ! » prédisait-elle d’une voix de pythie. Ou encore : « Gardez-vous bien d’allumer au mois de mai les flambeaux de l’hyménée, ils se changeraient en torches funèbres… »