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Comme elle semblait avoir à sa disposition toute une provision de dictons aussi réjouissants, Mlle de Combert lui fit remarquer un peu sèchement qu’il s’agissait seulement de fiançailles et que les « noces » étaient pour la fin du mois de juin. Mais Godivelle tenait à son idée. Elle prétendait que c’était la même chose puisque l’anneau de fiançailles devait être béni par un prêtre et qu’il n’était plus guère possible de renier par la suite l’accord que l’on avait ainsi scellé.

Hortense savait cela et se désespérait. Quinze jours seulement s’étaient écoulés depuis son affrontement avec le marquis et l’état de son pied ne lui avait pas permis de quitter la maison. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était clopiner jusqu’au jardin, étayée d’un côté par Dauphine et de l’autre par Clémence. Au jardin où, pourtant, François ne cessait de s’activer : pinçant les arbres fruitiers, plantant les choux, les salades, les poireaux et les pommes de terre, semant les légumes à repiquer. Mais, en dépit de l’ardent désir qu’elle en avait, Hortense ne parvenait jamais à échanger avec lui d’autres paroles que des considérations banales sur le temps qu’il faisait ou les espoirs de récolte que donnait le jardin. Que dire d’autre entre deux gardiennes ? Restait le langage des yeux et ceux de la jeune fille imploraient, suppliaient le fermier de lui donner des nouvelles de Jean quand elle était certaine qu’on ne la regardait pas. Mais à ce langage-là François ne pouvait répondre non plus.

Où était Jean, que faisait Jean ? Pourquoi ne donnait-il pas signe de vie ? En recevant son court billet, Hortense avait bien cru pourtant tenir l’arme qui obligerait le marquis à retarder le mariage, peut-être sine die. Mais il s’était résigné apparemment à faire rouvrir la chapelle Saint-Christophe, où l’on effectuait des travaux selon Pierrounet, venu deux fois apporter une lettre de son maître pour Mlle de Combert. Avait-il aussi fait la paix avec l’abbé Queyrol ? Lors de son second passage, le neveu de Godivelle avait appris à Hortense que M. Garland, investi apparemment de la dignité d’ambassadeur extraordinaire, se disposait à partir pour Chaudes-Aigues afin d’y rencontrer le vieux prêtre au nom de son maître. Ce qui avait déclenché une immédiate remarque chez la jeune fille :

— Pourquoi mon oncle n’y va-t-il pas lui-même ?

Question à laquelle le pauvre Pierrounet était bien incapable de répondre. Aussi Mlle de Combert s’était-elle chargée de la réponse :

— Mon cousin se défie de son caractère emporté, ainsi d’ailleurs que de celui de l’abbé… qui n’est pas commode lui non plus. En outre, au temps où il habitait Lauzargues, l’abbé, homme de science et de savoir, entretenait d’excellentes relations avec le précepteur d’Étienne dont il appréciait la culture. Ils ont le même amour de l’histoire locale et des vieilles pierres. Encore que leurs buts eussent été différents. L’abbé s’intéressait surtout aux vestiges chrétiens des anciens âges…

— Et Monsieur Garland aux anciens Lauzargues ?

— Pas seulement. Il n’en parle pas, bien sûr, mais je le soupçonne depuis longtemps de chercher le légendaire trésor de son homonyme, le chef de bandes Bernard de Garlan…

— S’il y avait un trésor à Lauzargues, je suis certaine que mon oncle aurait su le trouver !

— C’est aussi mon avis. D’autant que Bernard de Garlan a occupé d’autres places fortes, mais je parierais mon plus beau jupon contre une poignée de noisettes que notre Garland y croit, lui, et dur comme fer ! Quoi qu’il en soit, mon cousin Foulques ne se montre pas si maladroit en expédiant son savant. Celui-ci va tâter le terrain, le préparer et, s’il semble favorable, le marquis en personne se rendra à Chaudes-Aigues…

— Je vois. Mais vous qui savez tant de choses, ma cousine, me direz-vous enfin ce qui s’est passé entre mon oncle et son chapelain au moment de la mort de ma tante ? Quel a été le sujet de leur querelle et pourquoi cette grande colère du marquis ?

Mais Dauphine avait secoué ses rubans et ses dentelles :

— Non, car je ne l’ai jamais su. En dépit des liens… affectueux qui m’attachent à votre oncle, je n’ai jamais été véritablement sa confidente. Sans doute parce qu’il n’a jamais été homme à se confier à qui que ce soit…,

On n’avait pas eu d’autres nouvelles. D’ailleurs, l’anneau de fiançailles devait être béni par le chanoine de Combert, l’un des rares parents qui restât à Dauphine, et qui avait annoncé sa visite. Hortense n’avait pu refuser cette satisfaction à Dauphine et à la cathédrale de Saint-Flour, au chapitre de laquelle appartenait le chanoine. Mais l’angoisse habitait son cœur car une fois la bague au doigt, elle devrait se considérer comme à demi mariée. Or, elle s’était aperçue de ce qu’une fuite était encore plus difficile de Combert que de Lauzargues. Car elle y était pratiquement gardée à vue.

Même si son pied foulé avait eu sa souplesse habituelle – et si Jean l’avait appelée elle aurait bien su l’obliger à fonctionner quelle que fût la douleur – on ne lui laissait aucune possibilité de prendre la clef des champs car elle n’était jamais seule dans la journée. Et la nuit n’était guère plus commode car la chambre d’Hortense ouvrait directement sur celle de Mlle de Combert en traversant un cabinet de toilette.

— Ma mère estimait qu’une fille devait être étroitement surveillée, expliqua celle-ci. C’est pourquoi elle avait condamné la porte du couloir. Je vous avoue que je n’ai plus songé à la faire ouvrir.

Il y avait bien une porte extérieure, en effet, mais côté couloir elle disparaissait derrière une énorme armoire à linge. Il ne fallait donc pas songer à s’enfuir de nuit, car la fenêtre n’était pas plus praticable. Elle se situait sur un angle de la maison dominant un ravin et aucune paire de draps ne serait assez longue pour en atteindre le fond…

La veille du grand jour : miracle ! Hortense en se levant constata que son pied ne la faisait plus du tout souffrir et qu’elle pouvait s’y appuyer sans la moindre gêne. Elle en éprouva une telle joie qu’emportée par son premier mouvement, elle s’élançait déjà pour faire connaître la bonne nouvelle à Mlle de Combert. Mais la pensée lui vint qu’il n’était pas indispensable qu’on la sût guérie, et même qu’il pourrait lui être d’une certaine utilité qu’on la crût encore impotente.

La maison, en effet, commençait à frémir du haut en bas de cette excitation particulière aux grandes réceptions. On avait entrepris de sortir le linge des armoires pour les chambres du chanoine et de la marraine de Dauphine, la vieille comtesse de Sainte-Croix qui allait arriver le soir même de Laguiole. Les autres invités : le baron et la baronne d’Entremont et le vidame d’Aydit habitaient des manoirs peu éloignés et rentreraient chez eux en fin de journée tout comme le fiancé et son père. Les bahuts livraient, pour une dernière vaisselle de contrôle, un service de table en faïence de Marseille à grands bouquets de roses, des verres de vieux cristal et une argenterie jaunie qu’un bon passage au blanc d’Espagne et à l’huile de coude allait rendre resplendissante. Enfin, tout à l’heure Godivelle arriverait avec Pierrounet, conduite par Chapioux dans son « barot ». Son arrivée et le branle-bas de combat dont bruissait la maison allaient immanquablement détendre la surveillance dont Hortense était l’objet car, dans la cuisine, le ballet des casseroles avait commencé et Clémence avait autre chose à faire qu’escorter au jardin une lente promenade…

Après le thé, une bagarre éclata à la cuisine entre Clémence et Godivelle au sujet de la quantité de miel et d’amandes à incorporer à certain gâteau. Le bruit en pénétra les murs du salon et arracha instantanément Mlle de Combert à sa tapisserie… Pleine d’espoir, Hortense laissa passer quelques minutes puis, comme le bruit des voix allait croissant, elle se décida, prit pour la forme la canne qu’on lui avait donnée pour circuler dans la maison et, franchissant la porte-fenêtre entrouverte, descendit au jardin. Elle connaissait suffisamment Godivelle pour savoir qu’il y en avait pour un moment, surtout si Clémence avait commis l’imprudence de mettre en doute sa suprématie culinaire…