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Quittant la fenêtre, elle alla s’asseoir dans un petit fauteuil, essayant de comprendre quelque chose à cette espèce de malédiction qui s’était abattue sur elle au jour de la mort de ses parents. La vie était si simple, si ordonnée, si facile au couvent de la rue de Varenne ! Les fureurs du monde venaient en battre les murs sans jamais les entamer. A présent, tous les démons de la terre semblaient s’être donné rendez-vous sur le chemin d’Hortense pour la tourmenter. Et, après tant d’heures pénibles, tant de craintes, tant d’angoisses, allait-elle devoir s’habituer à l’idée de devenir la belle-fille d’un assassin ?

Mais le marquis était-il réellement aussi noir que le prétendait un fils qui le haïssait ? Après tout, Godivelle avait toujours dit qu’Étienne n’avait pas la tête bien solide. L’imagination jointe aux coïncidences pouvait causer bien des troubles…

Le grincement léger de sa porte lui fit lever la tête. Elle attendait Clémence. Ce fut Godivelle qui parut, surmontée d’une coiffe de dentelle qui lui donnait un air médiéval. Elle portait une tasse sur un plateau.

— Est-ce que d’aventure vous n’aimez plus ma cuisine, qu’elle vous rend malade ? Fit-elle d’un air soupçonneux. En voilà-t-il pas une belle ? Une fiancée qui rentre dans sa chambre en plein milieu du repas ?

— Ce n’est pas votre cuisine qui est cause de mon malaise, Godivelle. C’est mon mariage… Ce n’est pas possible… pas possible que j’épouse Étienne !

— Depuis la porte de la salle, j’ai bien vu qu’il vous disait des choses… qui n’avaient pas l’air de vous plaire…

— Il m’a reproché d’être cause de la mort de l’abbé Queyrol. Il m’a dit…

Elle hésita un instant devant l’énormité des mots à prononcer mais finit tout de même par les lâcher. Aussi bien, ils étaient beaucoup trop lourds à porter. Quand elle s’arrêta, elle fut effrayée par la densité du silence et par l’aspect de vieil ivoire creusé qu’avait pris le visage de Godivelle.

— Demoiselle… fit-elle au bout d’un moment. Je ne vous dirai pas si c’est vrai ou si c’est pas vrai ces horreurs que vous venez de répéter parce que… je n’en sais rien. Mais si vous voulez bien accepter le conseil d’une vieille femme qui a vu beaucoup de choses, d’une vieille femme qui a connu votre mère et l’a aimée, alors…

— Alors ?

Au lieu de chercher tous les moyens de retarder votre mariage, pressez-le au contraire. Dépêchez-vous de vous marier, même avec Étienne ! C’est encore lui qui sera le mari le plus commode. Et puis allez-vous-en ! Rentrez chez vous ! Une fois mariée, rien ni personne, Roi ni Diable ne pourront vous empêcher de partir avec votre mari et d’aller…

— … où bon me semblera ? J’ai déjà entendu cela. Jean aussi veut que je m’en aille…

— Jean ?

— Vous savez bien de qui je veux parler, Godivelle ! Jean qui n’a pas de nom… et qui pourtant est le seul Lauzargues que j’aimerais épouser. Lui aussi souhaite m’éloigner.

— Parce qu’il vous aime, n’est-il pas vrai ? Mais moi aussi je vous aime bien, demoiselle Hortense. Alors écoutez-moi : si vous vouliez rester ici sans en passer par les volontés de Monsieur Foulques vous ne seriez jamais heureuse… et peut-être même qu’il vous arriverait malheur. A présent buvez ça, vous vous sentirez plus en paix avec les autres et avec vous-même.

— Grâce à une tisane ? fit Hortense avec un rien de dédain.

— Faut pas dire du mal des tisanes. Elles ont des vertus mystérieuses. Ça, c’est de la valériane et ça peut calmer même un fou furieux. Allez, buvez !

Une heure plus tard, Hortense, protégée par le léger nuage dans lequel elle se sentait flotter, reprenait sa place au salon. On en était au café et son retour fut salué avec chaleur par des gens qui avaient visiblement fait grand honneur au déjeuner. Seul Étienne se contenta de demander à sa fiancée si elle se sentait mieux puis se replongea dans des pensées qui semblaient plus lugubres que jamais. Agacée, Hortense cessa de s’occuper de lui.

Ce fut au moment de se séparer que le marquis prit sa nièce à part et lui dit :

— Je ne sais si l’on vous a appris la mort toute récente du vieil abbé Queyrol dont vous aviez souhaité la bénédiction au jour de votre mariage. C’est un fait navrant mais qui n’est pas étonnant si l’on tient compte de son âge. Cependant, comme vous en aviez fait l’une des conditions mises à votre consentement, je crois de mon devoir de vous demander si vous souhaitez en formuler une autre ?…

Le ton – celui d’un grand seigneur – était d’une parfaite courtoisie. Hortense n’y pouvait rien reprendre bien que les paroles terribles d’Étienne résonnassent encore à ses oreilles. L’accusation de meurtre était formelle mais, avancée sans l’ombre d’une preuve, il était impossible d’en faire état. D’autant qu’il pouvait s’agir d’une coïncidence vite exploitée par la haine d’Étienne. N’avait-il pas été jusqu’à reprocher à Hortense d’avoir demandé le vieux prêtre et d’avoir ainsi causé sa mort ?… Sans répondre, la jeune fille se détourna, chercha son fiancé des yeux et le vit à quelques pas, causant avec la douairière de Sainte-Croix.

— Étienne, dit-elle, votre père m’apprend la mort de l’ancien chapelain de Lauzargues dont j’aurais aimé qu’il vînt bénir notre mariage. A son défaut, j’aimerais que Monsieur le Chanoine de Combert, ici présent, le remplace. Y verriez-vous un inconvénient ?

Le jeune homme lui dédia un regard glacé, indéchiffrable, qui signait pour la première fois aux yeux d’Hortense sa ressemblance avec le marquis, puis s’inclina avec quelque raideur :

— C’est à lui, ma chère, qu’il faut demander s’il accepte ce redoutable honneur. Personnellement, j’en serais heureux si c’est là votre souhait.

Hortense revint au marquis :

— Vous avez entendu, mon oncle ? Je crois que nous sommes du même avis…

— En ce cas, je vais parler au chanoine…

Quelques minutes plus tard, debout sur le perron entre Dauphine et Mme de Sainte-Croix, Hortense assistait au départ de ceux des invités qui ne restaient pas à Combert : les Entremont, le vidame d’Aydit et, les gens de Lauzargues. Avant de monter en voiture, Étienne avait gratifié sa fiancée d’un baiser si froid qu’il lui avait attiré une remarque acerbe de la douairière :

— Voilà qui augure bien mal de la nuit de noces ! Déclara-t-elle du haut de son face-à-main. Vit-on jamais fiancé aussi guindé ? Cette chère enfant possède pourtant assez, de grâce pour mériter plus d’enthousiasme !

— Étienne a toujours été un garçon timide et renfermé, plaida le chanoine. Mais c’est un Lauzargues ! Soyez certaine qu’il saura s’en souvenir en temps utile !

En regardant s’éloigner la voiture que conduisait Jérôme dans son meilleur habit, Hortense pensait qu’un fiancé enthousiaste l’aurait gênée plus que réjouie. Étienne avait d’ailleurs disparu de son esprit plus vite encore que la voiture et c’était à Jean que retournaient irrésistiblement ses pensées et ses vœux. Jean qui, très certainement, rentrerait bientôt, puisque son vieil ami avait cessé de vivre…

Mais les jours passèrent. Jean de la Nuit ne revenait pas…

A mesure qu’ils coulaient vers la date fatidique du mariage, inexorables comme l’eau des montagnes à la fonte des neiges, un pli se creusait au front d’Hortense. Et le même pli se creusait, plus profondément encore, à celui de François qui, presque chaque jour, à présent, traversait la rivière pour grimper jusqu’à un rocher d’où l’on pouvait apercevoir le toit de la maison du meneur de loups. Un toit dont la cheminée ne fumait pas… La porte elle non plus ne s’ouvrit pas lorsque, par trois fois, le fermier fit le trajet pour tenter de rapporter quelque nouvelle à Hortense. Pas de traces non plus de Luern, le grand loup dont Jean ne se séparait jamais. L’homme et la bête semblaient avoir disparu et François ne cachait pas son inquiétude, ce matin où Hortense vint le rejoindre dans le potager où il était occupé à butter les pommes de terre…