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— Disparaître comme voilà, ça ne lui ressemble pas ! Et puis il vous aime trop pour vous abandonner à votre sort sans mot dire…

— Vous craignez quelque chose, François ?

— Oui, je l’avoue ! Les choses s’arrangent de si étrange façon depuis quelque temps… Voyez plutôt : sur le conseil de Jean, vous demandez que l’abbé Queyrol bénisse votre mariage mais l’abbé Queyrol meurt subitement, alors qu’entre nous il était taillé pour vivre encore un bout de temps. Avant de mourir, il appelle Jean à son chevet et Jean disparaît…

— Vous voulez dire… qu’il pourrait lui être arrivé quelque chose ? Ne pourriez-vous aller à Chaudes-Algues ?

— J’y suis allé, la semaine passée. On l’y a vu, en effet. On l’a même vu repartir. Depuis, plus personne ne peut dire ce qu’il est devenu…

— Et Luern, son loup ? Était-il avec lui ?

— Non, bien sûr. Quand revient le printemps, Jean le laisse toujours rejoindre les siens pour un moment. Il est leur roi… Il se doit à son peuple…

— Vous en parlez comme s’il s’agissait d’animaux habituels ! Les paysans d’ici n’ont-ils pas peur des loups ?

Tant que Luern les mènera et que Jean mènera Luern, ils n’ont rien à craindre sur le canton… Le jour où un accident arrivera… cela signifiera que Jean a disparu… pour toujours ! Jusqu’à présent, rien n’est arrivé et j’espère que cela durera !… Mais, voyez-vous, je n’aime pas que Jean et son loup se séparent. La bête est son meilleur gardien.

— Mais enfin quel genre… d’accident craignez-vous ? Qui pourrait s’attaquer à Jean ?

François ne répondit pas tout de suite. Il semblait hésiter à formuler sa pensée mais comme Hortense insistait il se décida :

— Les tours de Lauzargues portent des ombres funestes, demoiselle. Surtout pour ceux qui osent se mettre à la traverse des volontés du maître…

Hortense haussa les épaules :

— Le marquis ne peut pas tout savoir. Et quelle raison aurait-il de s’en prendre à votre ami aujourd’hui plus qu’hier ? Peut-être vaut-il mieux ne pas le faire plus noir qu’il n’est ? Il ignorait certainement l’appel de l’abbé Queyrol. Et vous feriez mieux de me dire le fond de votre pensée, François…

— Mais je viens de vous le dire !

— Non. Vous avez de l’amitié pour Jean et, à cause de ma mère, vous en avez pour moi. Alors vous ne voulez pas me faire de peine et vous refusez sciemment de voir les choses en face !… Je vais vous dire ce que vous pensez : Jean s’est éloigné volontairement. Jean se cache pour ne pas avoir à tenir la promesse qu’il m’a faite. Le risque est trop grand…

— Vous ne pensez pas ça !

— Oh si je le pense ! Et vous aussi ! Il m’aime, oui, mais j’ai apporté dans sa vie trop de bouleversement ! Et il ne sait pas quoi faire de moi ! C’est ça la vérité !

Elle avait élevé la voix sans s’en rendre compte et des larmes montaient à ses yeux. Inquiet de ce bouleversement soudain, de cette colère désespérée qu’il sentait monter, François voulut l’apaiser :

— Prenez garde, demoiselle ! On va vous entendre… vous voir peut-être…

— Sûrement ! Comme si vous ne saviez pas qu’à l’une des fenêtres de cette maison, il y a quelqu’un qui nous observe, quelqu’un qui me rappellerait sous un prétexte ou sous un autre si je faisais seulement mine d’échapper à sa vue. Voulez-vous que j’essaie ?

— Non, je vous crois mais, pour l’amour de Dieu, reprenez-vous ! Je vous jure que je crois Jean incapable de renoncer quand il a promis quelque chose. Mais il a bien peu de pouvoir ici-bas et…

Hortense n’écoutait plus. Tournant brusquement le dos au fermier. elle repartait en courant vers la maison s’efforçant de ravaler ses larmes, persuadée qu’elle n’avait plus de secours à attendre de quiconque. Tous ces gens, après tout, n’étaient que des paysans et aucun, même pas l’homme au loup, n’avait assez de courage pour se faire son champion. Aucun n’avait envie de s’engager dans le dangereux chemin qu’elle représentait parce qu’en dépit des révolutions et des guerres, elle était toujours la demoiselle du château et eux les vassaux de ce même château…

Au-dessus d’elle le ciel s’étendait immense et bleu. La brise de la montagne, portant les odeurs d’herbe fraîche et de sapin vif, faisait voltiger ses cheveux blonds et autour d’elle c’était l’immensité sereine d’un paysage sans limites… pourtant Hortense se sentait prisonnière et mieux gardée que par des grilles et des verrous. Ses geôliers ne portaient point de clef mais détenaient la puissance car ils étaient la crainte, les préjugés, l’égoïsme et l’indifférence. L’amour de Jean n’était qu’un feu de paille, sans doute vite éteint, et ne laissant que cendres impalpables aisément dispersées au vent des jours qui passent…

Rentrée dans sa chambre, Hortense refusa ce soir-là d’en sortir sous le prétexte d’une migraine. La seule idée d’entretenir une conversation lui faisait horreur et elle voulait être seule avec elle-même. Peut-être pour essayer de voir clair dans un cœur auquel il lui était impossible de comprendre quelque chose. Les cris de passion qu’il poussait se laissaient parfois étouffer sous le poids de la raison. Elle aimait un homme qui l’aimait aussi – du moins, elle le croyait encore – mais qui ne voulait pas d’elle et n’entendait pas lui sacrifier une existence, sans grandeur peut-être, mais à quoi il tenait. D’ailleurs, si elle regardait de plus près le tissu dont était fait son propre amour, elle s’étonnait de n’y point voir les fils solides de la confiance…

Assise dans un fauteuil devant la fenêtre ouverte sur le ciel superbement étoilé, Hortense resta éveillée toute la nuit, écoutant les bruits de la campagne endormie, guettant peut-être au loin l’appel d’un loup qu’elle eût traduit comme une réponse. Elle n’entendit que les cris d’un matou venu prier d’amour Madame Soyeuse et, du coup, referma sa fenêtre avec colère. Puis, sans transition, se remit à pleurer…

L’amour courait la montagne en cette fin de printemps si douce. C’était le temps des promesses tenues, des premiers épanouissements du cœur. Dans quelques jours, garçons et filles se prendraient par la main pour franchir ensemble, par couples accordés, les branchages enflammés de la Saint-Jean. Dans la légèreté du bond accompli ensemble ils verraient le présage d’un accord pour les années à venir, et durant longtemps ils garderaient le souvenir de cette nuit d’été où leurs cœurs se seraient envolés ensemble pour la première fois. Mais Hortense se savait, dès à présent, exclue de la fête du renouveau et de l’amour car ce jour de la Saint-Jean verrait forger la chaîne qui l’attacherait pour toujours à Lauzargues.

Pelotonnée dans son fauteuil comme un chat malade, elle écouta, durant des heures, les pulsations de ses rêves à l’agonie. Mais l’espérance a la vie dure et cela s’éternisait… Ce fut seulement quand la montagne devint mauve et le ciel rose que la jeune fille, épuisée, s’endormit sur une dernière pensée navrante : tout à l’heure, Marie Mercier, la couturière à la journée que se repassaient les châteaux, viendrait procéder au premier essayage de sa robe de mariée. Une robe dont elle savait déjà qu’elle lui déplairait parce que le marquis l’avait commandée et parce que c’était Étienne qui la lui enlèverait…