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Satin blanc et dentelles mousseuses, la robe pourtant était très belle et parait d’irréalité la beauté d’Hortense quand, au bras du marquis, elle pénétra dans la chapelle Saint-Christophe au soir de la Saint-Jean. Mais tant de blancheur s’accordait trop bien avec un petit visage pâli où les nuits sans sommeil avaient laissé leur trace. Et quand, descendant du château où le contrat venait d’être signé, elle avait traversé la foule accourue pour l’événement, plus d’une main avait esquissé un rapide et discret signe de croix tant la jeune fille ressemblait à ces fiancées de contes fantastiques réveillées de l’éternel sommeil par la magie d’un démon pour la damnation d’un vivant. Elle-même, d’ailleurs, ne savait plus très bien si elle vivait réellement l’instant redouté ou si ce n’était qu’un cauchemar de plus…

Suivant les traditions de l’ancienne Cour, le mariage avait lieu la nuit, à la lumière des torches que portaient les villageois et des dizaines de cierges qui brasillaient dans la chapelle contre un véritable mur de fleurs. On avait dépouillé de leurs parures blanches tous les jardins d’alentour, autant pour fêter la réouverture d’un sanctuaire très aimé qu’en l’honneur d’une mariée à qui l’on savait gré de l’avoir demandée. Et une véritable vague de roses neigeuses, de phlox blancs et de pivoines à peine rosées montait à l’assaut de la vieille voûte, de l’autel de pierre et de la statue du saint patron des voyageurs que l’on avait nettoyée et repeinte pour la circonstance.

De tout cela Hortense ne voyait rien, sinon la mince silhouette noire d’Étienne qui l’attendait, debout au fond de cette grotte embaumée. D’Étienne qu’elle n’aimait pas, qui ne l’aimait pas et à qui cependant elle allait dans un instant jurer amour, obéissance et fidélité pour la vie… Et elle n’éprouvait même pas de joie en pénétrant dans cette chapelle qui l’avait tant intriguée…

A présent, elle était seule auprès d’Étienne. Le marquis avait lâché sa main, reculé dans la masse indistincte des invités. Le chanoine de Combert, vêtu d’une chasuble blanche fleurie comme une prairie de mai, descendait gravement vers le couple, flanqué de deux enfants de chœur. C’était l’instant crucial, celui qui décidait d’une vie…

L’espèce d’engourdissement qui tenait Hortense prisonnière depuis que, ce matin, elle était arrivée à Lauzargues, se dissipa brusquement, laissant place à la panique. Vivement, elle tourna la tête, fouillant l’assistance de son regard éperdu, cherchant une silhouette dont elle savait bien, cependant, qu’elle ne la verrait pas. Jean n’était pas là. Jean l’avait oubliée, abandonnée… Oh, s’il avait pu paraître, à cet instant, avec quel bonheur elle eût tourné le dos à cet autel fleuri, à ce fiancé indifférent et hostile pour courir vers lui sans le moindre souci du scandale ou de ses conséquences… Mais, derrière elle, tous ces visages étaient inconnus, tous semblables à ses yeux que brouillaient les larmes. Des taches blanches sans signification, sans relief… des étrangers, des gens venus là comme au spectacle, sans imaginer un seul instant ce qu’elle endurait à cette minute suprême. L’eussent-ils imaginé d’ailleurs que cela n’aurait rien changé. lis n’étaient pas là pour l’aider mais pour voir…

La voix du chanoine lui parvint comme du fond d’un puits… Elle posait à Étienne la question rituelle et un vague espoir souleva Hortense. S’il allait dire « non » ? S’il allait oser être un homme et rejeter pour eux deux toute cette comédie ? Elle attendit, le cœur arrêté dans le silence qui venait de tomber. Un silence qui se prolongeait, qui peut-être…

— Oui, dit Étienne.

Et le ciel se referma.

— Et vous, Hortense, reprenait le chanoine, acceptez-vous de prendre pour époux Étienne ici présent pour l’aimer…

Le ronron de la formule sacramentelle à nouveau. Et à nouveau la tentation du scandale. Les mots tombaient l’un après l’autre. Encore un… et puis un autre mot… Et soudain Hortense sut qu’enfin une réponse lui était donnée, une réponse qu’elle aurait dû entendre dès le matin quand on lui avait remis, à son arrivée, une lettre de Mère Madeleine-Sophie, la première qu’elle eût reçue depuis longtemps, en réponse à ses appels au secours. « Il faut faire la volonté de Dieu. C’est seulement en faisant cette volonté que l’on peut trouver la paix de l’âme, surtout si cela paraît difficile ou même cruel. De divines consolations attendent ceux qui se réfugient dans l’Obéissance… »

Cette lettre, contrairement au but recherché, l’avait exaspérée. L’obéissance ! La volonté de Dieu ! La volonté du Roi ! La volonté du marquis ! N’était-ce pas trop demander à un être que de se soumettre à tant de volontés ? Mais à présent, au pied de cet autel où, une fois encore, on lui demandait l’obéissance, elle découvrait sa propre volonté, celle à qui elle entendait plier toutes les autres en se servant des seules armes qu’on lui laissât : la soumission apparente, l’hypocrisie même pour atteindre enfin un but digne d’elle : le droit de diriger sa vie comme elle l’entendrait. Et puisque l’amour lui était refusé, au moins elle aurait la liberté ! A quelque prix que ce fût !

Elle eut conscience, soudain, du silence qui l’enveloppait. Un silence plein d’attente, avec cette qualité particulière que donnent les respirations retenues. Le chanoine avait fini de poser sa question fatidique. A présent, il lui fallait une réponse… Alors, redressant fièrement la tête, Hortense lui sourit avec une grande gentillesse :

— Oui, dit-elle seulement.

Le soupir de soulagement du prêtre aurait pu éteindre les cierges, et ce fut d’une voix triomphante qu’il déclara le jeune couple uni par les liens du mariage avant de les courber sous sa bénédiction.

Il eût été bien surpris s’il avait pu lire les pensées qui occupaient l’esprit de la blonde mariée tandis qu’il remontait à l’autel pour célébrer la messe. Agenouillée sur le coussin de velours rouge qui tenait lieu de prie-Dieu, Hortense, les yeux baissés sur le bouquet de roses entouré de dentelle qui occupait ses mains, commençait à échafauder des plans dont le plus immédiat était son départ de Lauzargues en compagnie d’Étienne, désormais son époux. Si tout ce qu’on lui avait dit était exact et, surtout, s’il demeurait quelques vestiges du pouvoir qu’elle avait eu un moment sur son cousin, elle devait le convaincre sans trop de peine de partir pour Paris avec elle. Le plus vite possible, bien sûr ! Et pourquoi pas demain ?…

La messe achevée, ce fut une main calme qu’elle posa sur le bras d’Étienne pour sortir de la chapelle. Leur apparition sous le petit porche déchaîna une longue acclamation. Tout le village voisin, tous ceux des environs étaient là, prêts à fêter l’événement qui mettait fin à la longue solitude de Lauzargues. Ce fut aussi le signal de l’embrasement des feux. On en avait préparé quatre entre le château et la chapelle et ils s’enflammèrent à la même seconde tandis que les joueurs de vielle et de cabrette entamaient la première ronde…

Pour la première fois, Étienne regarda sa femme.

— Les réjouissances ne commenceront que lorsque nous aurons ouvert le bal. Venez-vous ?

Pour toute réponse, elle releva sur son bras la traîne qui la suivait comme une vague d’écume et lui tendit l’autre main. Tous deux alors s’élancèrent et prirent la tête d’une farandole qui, sur un rythme entraînant, se mit à serpenter entre les feux en attendant que les flammes fussent moins hautes. Puis, soudain, Étienne s’arrêta :