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— Nous allons sauter, dit-il. Puis, sans attendre la réponse d’Hortense, il glissa son bras autour de sa taille et voulut l’entraîner quand surgit le marquis :

— Vous ne prétendez pas sauter maintenant, j’espère ?

— Pourquoi pas ?

— Ce serait de la folie. Les flammes sont encore trop hautes et la dentelle s’enflamme facilement !

Le visage d’Étienne se convulsa sous une poussée de haine dont il ne fut pas maître :

— Vous voilà bien averti, il me semble, de la facilité qu’ont les dentelles à prendre feu ? C’est à ma mère que vous devez cette connaissance ?

Épouvantée, Hortense regarda tour à tour les deux hommes si différents dans leur aspect physique mais si semblables à cette minute dans leur hostilité réciproque. Ils se haïssaient si fort qu’ils en venaient à se ressembler… Un instant, elle crut que le marquis allait frapper son fils. Mais Foulques de Lauzargues avait trop de maîtrise de lui-même pour se laisser aller à un geste public sous lequel se fussent écroulées la fête et cette popularité toute nouvelle qu’il en tirait.

— Ce n’est, dit-il froidement, ni l’heure ni l’endroit de régler nos différends familiaux ! Vous êtes fou et je le sais depuis longtemps mais tâchez, au moins ce soir, de vous comporter comme un être normal. Nous reparlerons de cela plus tard…

Le temps d’un éclair, Hortense imagina ce que seraient les jours qui allaient venir et pensa que le moment était venu de mettre son projet à exécution.

— Mon oncle, commença-t-elle.

Mais, tout de suite, il la reprit :

— Il vous faudra désormais m’appeler père. N’oubliez pas que vous êtes à présent ma fille…

Elle ne s’y attendait pas et le mot, sur le coup, lui parut impossible à prononcer mais, peu désireuse de le blesser, elle s’en tira avec une échappatoire et un sourire d’excuse :

— C’est vrai mais il faut me laisser le temps de m’habituer. Je voulais seulement vous dire que je souhaitais partir pour Paris le plus tôt possible. Avec Étienne, bien entendu. Puisqu’il est à présent mon époux, il est temps, je crois, de le présenter au conseil de la banque. Je suis fort étonnée d’ailleurs de n’avoir pas vu ici le fondé de pouvoirs de mon père, M. Vernet…

— M. Vernet n’appartient plus à la banque Granier. J’aurais dû vous faire savoir qu’un nouvel administrateur avait été nommé par le Roi. Rassurez-vous, ajouta-t-il en voyant le geste de protestation qu’elle esquissait, il s’agit d’un ancien ami de feu votre père : le prince de San Severo, un ancien bonapartiste, très lié d’ailleurs à la famille d’Orléans.

— On aurait pu, en effet, m’en avertir. J’ai beaucoup d’estime pour M. Vernet et il n’en devient que plus urgent pour moi d’aller, avec mon époux, m’occuper de mes affaires.

Le rire du marquis sonna désagréablement.

— Avec votre époux ? Ma chère, il est bien incapable de vous être de quelque utilité dans une affaire de cette importance. Quant à vous rendre à Paris… rien ne presse. Par contre, il est temps, je crois, de vous faire connaître la raison profonde pour laquelle je vous ai obligée à ce mariage qui ne vous plaît guère. Je veux un héritier pour Lauzargues et vous y resterez tous les deux jusqu’à ce qu’il soit né. Après, je vous laisserai entièrement libres de vous rendre où bon vous semblera.

Et comme Hortense, le souffle coupé, partagée entre la déception et la colère, le regardait sans rien dire, il se mit à rire de nouveau :

— Allons ! Je ne vous demande somme toute que quelques mois ! Vous voulez des enfants, j’imagine ? Eh bien, plus tôt vous me donnerez un petit-fils, plus tôt vous reverrez Paris. Je ne saurais trop, mon cher Étienne, vous conseiller de le mettre en chantier cette nuit même. Les enfants conçus dans la joie sont toujours fort réussis ! J’espère seulement que vous savez les faire !

Étienne était devenu blême, si pâle même que Hortense alarmée le crut sur le point de s’abattre à ses pieds. Il vacillait, en effet, comme un jeune arbre dans la tempête et elle tendit instinctivement la main pour le retenir. Mais brusquement, il se détourna et partit en courant en direction du château.

— Comment pouvez-vous le traiter ainsi ? s’écria Hortense indignée. Votre propre fils !

— Il y a des jours où je doute qu’il le soit réellement, ce benêt ! Quant à vous, je vous trouve bien bonne de prendre sa défense. Sans mon intervention, il se serait jeté dans le feu avec vous…

— Vous n’imaginez pas une chose pareille ? Il faudrait qu’il soit fou.

— Mais je vous ai dit qu’il l’était ; croyez-moi, il était tout à fait capable de vous entraîner dans une mort horrible… rien que pour me contrarier. Allons, oubliez tout cela et venez planter votre genévrier. Tout est déjà préparé et je vois notre cousine qui approche avec nos amis… Mais il va falloir vous exécuter seule.

Armée d’une petite pelle, Mlle de Combert venait en effet chercher la mariée. Un arbrisseau attendait à quelques pas de l’entrée du château auprès d’un trou préparé pour lui par Pierrounet qui se tenait prêt à offrir son concours à l’inexpérience. Mais Hortense avait hâte, à présent, d’en avoir fini avec les cérémonies. D’une main décidée, elle prit la plante, l’installa dans le trou et rabattit la terre autour comme si elle n’avait fait que cela toute sa vie tandis que l’assistance éclatait en applaudissements. Ceci fait, elle jeta sur la terre le contenu d’un pot d’eau puis, saisissant le verre de vin que lui tendait le marquis en lui proposant de boire à la santé des Lauzargues à venir, elle le vida d’un trait sous des acclamations redoublées.

Elle a planté le genévrier seule et elle a bu comme un homme, traduisit Godivelle qui, en cette circonstance jouait le rôle de la prophétesse locale. Les fils qui sortiront d’elle seront des gaillards qui feront honneur au pays !

— Tu as raison, Godivelle, renchérit le marquis dont le visage rayonnait d’orgueil dans la lumière dansante des torches et des brasiers. Buvons à la nouvelle comtesse de Lauzargues et à tous les Lauzargues à venir !

Ce fut le vrai signal de la fête. Des tables et des buffets avaient été disposés entre le château et la chapelle avec une série de tonneaux. Des jambons entiers, des pâtés de porc, des beignets au fromage, des brioches aux grattons, des rissoles et des quiches voisinaient avec le « pounti » et les saucissons de montagne, les tartes à tous les fruits de saison avec les pâtes de fruits, les confitures, les « pompes » et les clafoutis. Entre deux danses et deux sauts par-dessus les feux dont les flammes avaient baissé suffisamment pour n’être plus dangereuses, jeunes et vieux venaient s’y restaurer et boire à la santé des nouveaux mariés, de saint Jean et de saint Christophe…

La tête d’Hortense lui tournait un peu parce que, le premier verre de vin lui ayant paru réconfortant, elle l’avait fait suivre de deux autres. Il fallait au moins ça pour oublier la nouvelle déception qu’elle venait de subir : rester au château jusqu’à la naissance d’un enfant. Y aurait-il un jour une limite quelconque aux exigences du marquis ? Celle-là, en tout cas, lui semblait insurmontable. Un enfant, selon l’idée qu’elle s’en faisait, ne pouvait naître que d’un geste d’amour. Or, elle n’aimait pas Étienne et, depuis tout à l’heure, l’idée lui était venue qu’Étienne la haïssait peut-être autant qu’il détestait son père. Le geste qu’il avait eu pour l’entraîner dans le feu avait-il été irréfléchi ou réellement homicide ? Le marquis semblait penser que, peut-être, il avait voulu mourir avec sa jeune femme mais il est plus facile d’enflammer une robe légère qu’un habit de drap… Hortense était-elle seule condamnée ?…