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– Moi, désolé, sans capotes je peux pas, dit Wagner, et il jeta la fille sur la moquette comme si elle était un sac rempli de bactéries.

Les autres, vaguement impressionnés par une conduite aussi intransigeante, ralentirent leur besogne. Pour certaines choses, Wagner était une référence. Peut-être que le doute les effleura aussi, la saine peur du microbe, et l'on aurait pu dire que les campagnes du ministère de la Santé n'avaient pas été perdues pour tout le monde.

– Bon Dieu, qu'est-ce que vous fichez là? C'était la voix placide du sergent Ducasse. Il venait d'entrer dans l'appartement avec le reste de la section. Ce fut comme si on avait plongé sept érections dans un jet d'eau glacée. L'atrocité de la guerre devint soudain palpable.

Le sergent vit les deux filles vêtues de lubricité et il comprit aussitôt la teneur des événements.

– Rien de bien méchant, chef, dit Musson en se rajustant.

– C'est elles, sergent, qui nous ont provoqués, dit Wolf.

– Éros et Thanatos sont les deux substances qui régissent le cosmos, plaida Richier.

Le sergent ne fut pas spécialement ému. Il constata qu'il n'y avait pas eu pénétration, et il en fut visiblement soulagé. Slips déchirés et poitrines frictionnées: on n'en ferait pas un cinéma, semblait-il dire.

– Ouste, dit-il calmement. On nous attend sur le toit pour paramétrer l'antenne parabolique.

Les soldats se précipitèrent, un peu fayots, contents d'avoir échappé à l'irréparable.

– Y n'étaient même pas belles, grommelait Wagner comme pour se justifier.

Et pendant que l'on calait l'antenne sur les fréquences de France Télévision, on n'était pas peu fiers d'avoir à ses côtés ce brave sergent Ducasse qui venait de sauver l'honneur d'une section.

Une demande de permission

48 heures sans dormir, terré dans une grange. Les températures sont de cinq à dix degrés au-dessus des moyennes saisonnières:

«Chers parents,

La France avance. Le nord de la Géorgie a été sécurisé avec des pertes de l'ordre de 10 %, ce qui constitue une performance remarquable. Hélas, notre section a payé un lourd tribut. Vasseur n'est plus. Morisot a été sérieusement blessé par un éclat aux jumelles. Il hurle la nuit quand la pastille jaune n'agit plus. Il s'agite tellement qu'on a l'impression d'être touchés nous aussi. On ne peut s'empêcher de contrôler la marchandise. Alors on dort mal et l'on fait des rêves abominables. C'est ridicule et très humiliant.

Autre incident: Li Tuc s'est retrouvé avec des centaines de petits morceaux d'obus, chacun pas plus gros qu'une agrafe, partout dans sa peau jaune. Le médecin dit que ça ne partira jamais, c'est comme un tatouage. Je l'ai pris en photo pour mon album de souvenirs. Il n'arrête pas de se gratter, parfois jusqu'au sang. Il faut lui mettre des moufles. Pas commode par cette chaleur. Il nous insulte en oriental, il nous crache à la figure, il se débat comme un dragon, mais les ordres du médecin sont les ordres: on l'attache au lit. Calmos, lui dit-on, au moins tu es le mieux armé génétiquement pour supporter cette fournaise.

J'ai parfois l'impression qu'ils nous auront à l'usure. On a beau être plus motivés, ça ne suffit pas. On rame dans leurs espaces démesurés. Dans les zones que l'on croit sécurisées, on tombe toujours sur des débris de l'ancienne économie. Les drogués de la société de consommation, les nantis, les parasites de la finance et tous les privilégiés du régime passé souhaitent nous voir mâcher le marais. Les fanatiques se sont organisés en guérilla. On est constamment harcelés sur nos lignes arrière. On dirait que les dollars ont pris des leçons de résistance armée chez tous les peuples qu'ils ont eu sous la botte. Heureusement, la majeure partie de la population n'est pas hostile à notre présence. Ils aiment bien l'idée de recueillir les conseils d'un peuple éclairé. On reçoit de nombreux témoignages d'estime quand on leur parle des grandes idées humanistes qui fédèrent la France: l'abolition de la peine de mort, les restrictions au port des armes, la séparation de l'Église et de l'État, etc. Richier pense que c'est parce que les dollars n'ont pas d'Histoire. Ils bavent devant nos épais manuels et nos cinquante mille ans d'existence.»

La ration de pastilles vertes est doublée. Richier: «Morisot, pauvre Morisot, pauvre Morisot.» Wagner: «J'aurais dû lui mettre, à la rouquine, dans son référendum, à la garce.» On attend les renforts. Toujours très chaud et humide:

«Sympathie ou pas, aucun moyen d'approcher une dollarde. Elles sont très farouches. Je ne comprends pas. Est-ce leur puritanisme indécrottable qui se manifeste ainsi ou leur patriotisme débile ou leur manque de savoir-vivre, bref, il est impossible de vider l'ecchymose. Le sergent Ducasse nous tape dans les bretelles pour nous rappeler que le viol bisou peut être passible de cour martiale. Pourtant – papa, tu me comprendras – certaines ne méritent pas mieux. Elles n'ont fait aucun effort pour apprendre le français. Les plus bornées ne savent même pas où se trouve le pays des droits de l'homme. On leur dit «France», et elles vous regardent avec leurs yeux de poules. Pour les plus informées, notre pays se résume à une recette de lentilles aux lardons. Aucune ne connaît les noms de Nougaro, Brassens, Barbara, sans même parler des moins galvaudés, comme les Chaussettes noires ou Philippe Clay. Serge Lama - il n'y a plus personne, c'est vous dire. Patricia Kaas – ça n'existe pas. Stéphanie en serait folle.

En ce moment, j'ai un air qui me trotte dans la tête, c'est J'aime regarder les filles qui marchent sur la plage. La maman Morisot lui a envoyé le morceau via le serveur sécurisé armees.fr pour lui remonter le moral. On se le passe en boucle. Je l'ai même gravé au format reptile. C'est un hymne pour les grands garçons comme moi. J'ai branché dessus mon baladeur chinetoque pendant l'assaut du bâtiment de la CNN. Méchant top planant. La voix du type, dandy mais en même temps esclave de son désir, presque fière de subir la fesse, gorgée par l'envie de copuler, cette voix, on aurait dit qu'il nous commandait d'en haut. Pas besoin de pastille verte pour avancer à travers les balles quand on a cette musique en tête. Imaginez, j'entends Leurs hanches se balancent par le désir de vivre et mon famas fait pou-pou-poum. Gentilles mais pas trop sages: pou-pou-poum. Résultat: j'ai été cité à l'ordre du bataillon pour mon courage exemplaire. Je suis un «meilleur élément», c'est le colonel Dujardin lui-même qui l'a dit. J'ai eu droit à une demi-journée de repos que j'ai passée à écouter de vieux tubes éternels et à regarder la compil des meilleurs moments de «Des chiffres et des lettres» sur France Télévision.»

Richier craque. Il pleure dans son coin et refuse de manger. Wagner: «La ferme., tu nous rases. » Richier sort de la grange à découvert. Il fait meilleur dehors. On entend une rafale de mitrailleuse. Wagner l'attrape et le tire en arrière. Puis, méthodiquement, il lui casse le nez: «Je t'avais dit de ne pas bouger!» La nuit, le toit de la grange est brûlant de fièvre:

«Ah, si seulement on avait davantage de troupes! Les meilleurs éléments sont fatigués. On a franchi mille deux cents kilomètres en terrain hostile. Crocodiles et marécages, dollars enragés et partisans, guérilla urbaine et attaques kamikazes. Et comme par un fait exprès, le commandement nous a prévenus que les jours qui viennent risquent d'être particulièrement pénibles. Ce n'étaient que chouquettes, les hélicoptères Black Hawk! L'ennemi a concentré le gros de ses troupes sur le Missouri, face à nous. Richier l'explique très bien par des considérations historiques mais ça ne nous facilite pas le moral. On aurait diablement besoin des réservistes, suivez mon regard. Il n'y a pas de raison que l'on soit les seuls à défendre la grande idée de la France.»

Richier: «On va tous crever.» Wagner: «C'est celui qui dit qui y est.» Sentiment d'impuissance. Si j aurais su., j'aurais pas venu. Le matin, à l'aube, un petit courant d'air, comme une délivrance:

«Oui, on peut dire que votre lettre ne m'a pas fait plaisir. Je ne comprends pas pourquoi Jean-Ramsès ne peut rien faire pour nia permission. Pourtant, à l'époque, je ne sais pas si vous vous en souvenez, j'ai pris sa place, en quelque sorte. Il avait cette feuille d'engagement pour la grande aventure, et pas moi, et pas moi, je regardais la feuille qui sortait négligemment de sa serviette, je bavais, je la trouvais magnifique. Du nougat! Il me chauffait le sang en me remettant en mémoire les histoires d'oncle Guillaume. Quand il est sorti à la cuisine, j'ai… Il est revenu, il a rangé la serviette et on a brusquement changé de conversation. Il ne s'est même pas rendu compte! J'ai mis mon nom, comme un gamin. Sur la feuille vierge, à l'endroit où l'on aurait dû coucher Jean-Ramsès Dubosc, j'ai posé mes tripes, mon petit ventre vivant, bien en évidence dans la ligne de mire. J'ai posté. Je me figurais que je lui avais joué un sale tour! Résultat: c'est moi qui supporte la fournaise, l'hystérie de Richier, le zoïde Wagner. Comme un gamin…

On ne se méfie jamais assez du parle-beau. Jean-Ramsès parlait bien. Un peu comme Richier, ici. Sauf que Richier, tout intello qu'il est, à jus et retardé physiquement, il est quand même à nos côtés, face à la mort, il en chie bave dans ses chaussures, c'est pas comme l'autre qui suit nos exploits à la télévision en nous attribuant des bons points.

Forcément, ça explique pourquoi il est si «gentil» avec vous et Stéphanie: il doit se sentir fautif d'avoir envoyé un homme à la boucherie boulangerie. Je crois qu'il y aura une explication entre nous le jour où je rentrerai à la maison. Ses belles phrases de laitue ne le protégeront pas., je vous le promets.»

L'ennemi se retire soudain. On ne tire plus. Les renforts ont dû le prendre à revers. Le soleil n 'est pas très haut, mais il tape. Ce sont des mauvais UV:

«Ne le prenez pas à cœur, chers parents. Sachez que je suis trop trop trop content d'être à ma place. J'ai l'air de me plaindre mais ce que je vis est exceptionnel. Ça vaut tous les voyages organisés. Parfois, Richier nous compare à la Grande Armée de Napoléon. Alors, je ne peux m'empêcher de sentir en moi des envies de batailles. Ici, tout en risquant notre peau, on forge une légende. Jean-Ramsès, lui, ne restera jamais qu'un rouage.