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— Ah, mais voilà : vous avez signé !

— Comment ?

— Mon Frère Yahvé, avec Son visage de Jésus, a dit : priez-Le. Allez… Priez…

— Notre Père, qui êtes aux cieux, que Votre Nom soit sanctifié, que Votre règne arrive. Que Votre volonté soit faite…

— Stop ! C’est ça ! « Que Votre volonté soit faite ». Même les musulmans qui se considèrent comme les « esclaves de Dieu » ne sont pas plus consentants. Par cette prière, vous L’invitez à commettre le pire. C’est du masochisme parfait. C’est ça, l’épreuve de Job, Mon garçon. Jour après jour, année après année, et de toutes les manières possibles, Job a été injustement traité. Je le sais : J’y étais. J’y ai participé. Et Mon cher Frère est resté là à Me laisser faire. Que dis-je ? Il M’a encouragé. Il était Mon complice. Et à présent c’est votre tour. C’est votre Dieu qui vous a fait tout ça. Est-ce que vous allez Le renier ? Ou bien ramper comme un chien auquel on vient de donner le fouet ?

28

Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira.

L’Evangile selon Saint Matthieu, 7:7

Une interruption m’évita d’avoir à répondre à cette question impossible – et j’en fus soulagé. Je suppose que tout homme doute de la justice de Dieu de temps à autre. Je reconnais que j’avais été particulièrement secoué récemment et que j’avais été obligé de me répéter plusieurs fois que les voies de Dieu ne sont pas celles des hommes et que je ne pouvais pas espérer comprendre toujours Ses desseins.

Mais je ne pouvais parler de mes doutes, en tout cas pas à l’ancien adversaire du Seigneur. Il était particulièrement pénible que Satan ait choisi d’avoir en ce moment l’apparence et la voix de mon seul ami en ce monde.

Discuter avec Satan, c’est un jeu de… jobard, tout au plus.

L’interruption était tout à fait banale : le téléphone sonnait. Une interruption accidentelle ? Je ne pense pas que Satan puisse tolérer les « accidents ». En tout cas, je n’avais pas à répondre à cette question à laquelle je n’aurais su répondre.

— Je réponds, chéri ? demanda Katie.

— S’il te plaît.

Un combiné apparut dans la main de Katie.

— Le bureau de Lucifer. Rahab à l’appareil. Répétez, je vous prie. Bon, je vais voir.

Elle se tourna vers Jerry.

— Je prends. (Jerry, apparemment, n’avait pas besoin d’un téléphone visible.) J’écoute. Non. J’ai dit non. Bon sang, passez ça à M. Asmodée. L’autre appel, à présent. (Il marmonna quelques paroles vagues sur l’impossibilité qu’il y avait à trouver des collaborateurs compétents, puis dit :) J’écoute. Oui, Monsieur ! (Il ne dit rien pendant un certain temps.) Tout de suite, Monsieur ! Merci. (Il se leva.) Alec, je vous prie de M’excuser. J’ai du travail. J’ignore quand Je serai de retour. Considérez cette attente comme des vacances, voulez-vous ? Et Ma demeure est à vous. Katie, Je te le confie. Sybil, essaie de le distraire.

Et Il disparut.

— Pour le distraire, ça, je vais le distraire ! s’exclama Sybil.

Elle se leva et se campa devant moi en se frottant les mains. Sa tenue externe disparut et elle resta à l’état de nature, avec un grand sourire.

— Sybil, dit Katie d’une voix très douce, arrête, veux-tu ? Crée-toi des vêtements ou je te renvoie à la maison.

— Ouh, le chien de garde ! (Sybil se para d’un bikini minimal.) J’ai l’intention de faire oublier sa petite garce danoise à saint Alec.

— On parie ? J’ai eu une conversation avec Pat.

— Vraiment ? Et qu’est-ce qu’elle t’a raconté ?

— Que Margrethe sait faire la cuisine.

Sybil afficha un air dégoûté.

— Une fille passe cinquante années dans toutes les positions, à étudier dur comme fer. Et voilà qu’arrive une petite salope qui sait cuire le poulet et faire des tartes. Ce n’est pas juste.

Je décidai de changer de sujet :

— Sybil, ces trucs que tu fais avec les vêtements sont fascinants. Est-ce que tu as ton diplôme de sorcière ?

Au lieu de me répondre aussitôt, Sybil jeta un coup d’œil à Katie qui lui dit :

— Explique-lui. Parle franchement.

— O.K., saint Alec, je ne suis pas une sorcière. La sorcellerie, c’est de la foutaise. Vous savez qu’on dit dans la Bible qu’il ne faut pas laisser vivre les sorcières ?

— Oui. C’est dans l’Exode, chapitre 22, verset 17. Tu ne laisseras pas en vie la magicienne.

— C’est ça. En fait, le mot d’ancien hébreu que l’on a traduit par « magicienne » signifiait « empoisonneuse ». Ne pas laisser vivre une empoisonneuse, ça m’a paru plutôt une bonne idée. Mais je me demande combien de pauvres vieilles femmes sans amis ont été brûlées ou pendues à cause d’une petite erreur de traduction.

(Etait-il possible que ce fût vrai ? Que penser du concept de la « parole vraie de Dieu » dans lequel j’avais été éduqué ? Certes, le mot « sorcière », ou même « magicienne » est moderne, ce n’est pas le terme hébreu d’origine… Mais les traducteurs de la Bible de saint James étaient inspirés par Dieu et c’est pour cela que seule cette version de la Bible est acceptable. Mais… Non ! Sybil doit se tromper. Le Seigneur ne laisserait pas torturer des centaines, des milliers d’innocents à cause d’une mauvaise traduction. Il aurait rectifié cela de Lui-même.)

— Alors tu n’as pas participé à un sabbat cette nuit ? Qu’as-tu fait ?

— Oh ! pas ce que vous croyez. Israfel et moi, nous ne sommes pas aussi intimes. Des copains, oui, mais ça s’arrête là.

— Israfel ? Je le croyais au paradis.

— C’est son parrain. Le trompettiste. Mon Israfel à moi est incapable de jouer une note. Mais il m’a demandé de vous dire, si jamais j’en avais l’occasion, qu’il n’est pas du tout le petit con qu’il affectait d’être sous l’identité de « Roderick Lyman Culverson III ».

— Heureux de l’entendre. Mais comme sale morveux, c’était très bien joué. Je ne comprenais pas comment il était possible que la fille de Katie et de Jerry – ou bien est-ce de Katie seule ? – pouvait manquer de goût au point d’avoir un pareil rustre comme copain. Je ne parle pas d’Israfel, bien entendu, mais du personnage qu’il jouait.

— Oh, il vaut mieux éclaircir ça tout de suite. Katie, quels liens avons-nous au juste ?

— Oh, je pense que le Dr Darwin lui-même ne trouverait aucun lien génétique entre nous deux, ma chérie. Mais je suis fière de toi, autant que si tu étais ma propre fille.

— Merci, m’man !

— Mais nous avons tous des liens, remarquai-je. Depuis notre mère Eve. Puisque Katie est née alors que les fils d’Israël erraient dans le désert, il n’y a que quatre-vingts enfantements qui la séparent d’Eve. Rien qu’avec ta date de naissance et par la simple arithmétique, nous pourrions déterminer avec assez de précision quels sont vos liens de sang.

— Oh, oh ! Nous y revoilà. Saint Alec, maman Kate descend d’Eve, pas moi. Je suis d’une espèce différente. Une démone. Une afrite, pour être techniquement précise[36].

Elle fit à nouveau disparaître ses vêtements et son corps subit quelques transformations.

— Vous voyez ?

— Hé ! Mais est-ce que ce n’est pas toi qui étais à la réception du Sheraton « Sans Souci », quand je suis arrivé en enfer ?

— Sûrement. Et je suis très flattée que vous vous souveniez de ma forme véritable. (Elle reprit son apparence humaine, plus le minibikini.) Je me trouvais là parce que je vous connaissais. Papa ne voulait pas que quoi que ce soit cloche.

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36

Un démon femelle dans la mythologie arabe. (N.d.T.)