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8

Puis ils prirent Jonas, et le jetèrent dans la mer. Et la fureur de la mer s’apaisa.

Jonas, 1:15

Je me sentais bien et je ne voulais pas me réveiller. Mais un élancement dans la tête me dérangeait et j’ai décidé de me réveiller. J’ai secoué la tête pour chasser la douleur et je me suis retrouvé avec de l’eau dans le gosier. Je l’ai recrachée.

— Alec ?

La voix était toute proche. J’étais étendu sur le dos dans de l’eau tiède et salée, et plongé dans le noir. La situation était aussi proche du retour au ventre maternel qu’il est possible. A moins que je ne fusse mort ?

— Margrethe ?

— Oh, Alec, je suis si contente ! Tu as dormi longtemps. Comment te sens-tu ?

Je me suis livré à une vérification générale, j’ai compté ceci et cela, remué l’ensemble, et je me suis aperçu que je flottais sur le dos entre les jambes de Margrethe qui elle aussi était sur le dos, ma tête entre ses mains, dans l’une des positions de sauvetage recommandées par la Croix-Rouge. Elle nageait en grenouille, non pas tant pour nous faire avancer que pour nous maintenir en surface.

— Je crois que ça va, ai-je dit enfin. Et toi ?

— Ça va, chéri… Surtout maintenant que tu es réveillé !

— Que s’est-il passé ?

— Tu t’es cogné la tête contre le berg.

— Le berg ?

— La montagne de glace. L’iceberg.

(Un iceberg ? J’essayais de me souvenir de ce qui s’était passé.)

— Quel iceberg ?

— Celui qui a coulé le bateau.

Quelques éléments éparpillés me revenaient, mais pas assez pour composer une image compréhensible. Il y avait eu ce craquement énorme, comme si le bateau avait heurté un récif, et nous nous étions retrouvés dans l’eau. Nous nous étions débattus et… Oui, je m’étais cogné le crâne, et comment !

— Margrethe, nous sommes sous les tropiques, au sud d’Hawaï. Comment pourrait-il y avoir des icebergs par là ?

— Je l’ignore, Alec.

— Mais… (J’avais été sur le point de dire que c’était impossible, mais j’ai décidé que, venant de moi, ce mot était dans la circonstance particulièrement stupide.) Ces eaux sont bien trop chaudes pour les icebergs. D’ailleurs, tu peux nager plus doucement, tu sais. Dans l’eau salée, je flotte comme une éponge.

— D’accord. Mais laisse-moi te tenir. J’ai failli te perdre dans le noir et je ne voulais pas que ça se reproduise. Quand nous sommes tombés à la mer, l’eau était froide. Maintenant, elle est tiède. Nous avons dû nous éloigner de l’iceberg.

— Bien sûr, accroche-toi à moi. Moi non plus, je ne veux pas te perdre.

Oui, c’est vrai, l’eau avait été très froide quand nous y étions tombés, je m’en souvenais. Encore plus après la douce chaleur du lit. Et le vent aussi était glacé.

— L’iceberg, qu’est-il devenu ?

— Je l’ignore, Alec. Nous sommes tombés sans nous séparer. Tu me tenais serrée et nous nous sommes éloignés du bateau. Je suis sûre que c’est pour cela que nous sommes saufs. Mais il faisait aussi noir que par une nuit de décembre et le vent soufflait très fort. Dans l’obscurité, tu as heurté la glace. J’ai cru que je t’avais perdu. Tu avais été assommé, chéri, et tu m’as lâchée. J’ai coulé et, quand j’ai réussi à revenir en surface et à respirer, je ne t’ai pas retrouvé tout de suite. Oh, Alec, jamais je n’ai eu aussi peur de ma vie. Tu n’étais nulle part. Je ne te voyais pas. J’ai cherché partout et je t’ai appelé. Mais tu ne m’as pas répondu.

— Je suis désolé.

— Mais je n’aurais pas dû céder à la panique. Je croyais que tu t’étais noyé, ou que tu étais en train de te noyer sans que je puisse rien faire. Mais, en nageant, je t’ai heurté de la main, alors je t’ai attrapé et c’est tout. Seulement tu ne parlais plus. J’ai écouté ton cœur et je l’ai entendu battre très régulièrement. Alors je t’ai pris comme ça, sur le dos, pour que tu gardes le nez hors de l’eau. Il t’a fallu très longtemps pour te réveiller. Mais maintenant, tout va bien.

— Mais non, tu n’as pas paniqué. Sinon je serais mort à l’heure qu’il est. Il n’y a pas beaucoup d’êtres humains qui auraient fait ce que tu as fait.

— Mais si. Pendant deux étés, j’ai été surveillante de plage au nord de Copenhague. Le jeudi, je donnais des leçons. J’avais des tas d’élèves, garçons et filles.

— Mais tu n’as pas suivi des leçons pour savoir garder la tête froide dans une catastrophe et dans le noir absolu. Ne sois pas aussi modeste. Qu’est devenu le bateau ? Et l’iceberg ?

— Alec, une fois encore, je l’ignore. Après que je t’ai retrouvé, quand j’ai été certaine que tu n’étais pas blessé et que j’ai pu te mettre dans cette position pour te remorquer, je veux dire quand j’ai regardé autour de moi à nouveau, c’était comme ça : un trou noir.

— Je me demande s’il a coulé ? C’était un sacré choc. Tu n’as pas entendu d’explosion ?

— Non, rien. Rien que le vent et ce grand bruit de collision que tu as dû entendre aussi. Et ensuite des cris quand nous sommes tombés à la mer. Si le bateau a coulé, je ne l’ai pas vu… Mais, Alec, je nage depuis une heure à peu près et j’ai la tête sur un coussin, un matelas ou un oreiller, je ne sais quoi… Est-ce que ça veut dire que le bateau a coulé, tous ces débris dans l’eau ?

— Pas nécessairement mais, d’un autre côté, ce n’est guère encourageant. Pourquoi gardes-tu la tête là-dessus ?

— Parce que nous en aurons peut-être besoin. S’il s’agit d’un des coussins du pont ou d’un matelas de bain de soleil de la piscine, alors il est rempli de kapok et ça nous sert de bouée de sauvetage.

— C’est ce que je pensais. Mais alors, pourquoi te contenter d’appuyer la tête quand tu aurais pu être dessus, hors de l’eau ?

— Parce que je n’y arriverais pas sans te lâcher.

— Ah, Margrethe… Quand nous serons tirés d’affaire, tu voudras bien me donner un bon coup de pied aux fesses ? Bon, je crois que je suis tout à fait réveillé, maintenant. Essayons de voir ce que nous avons trouvé. En braille.

— Très bien. Mais je ne veux pas te lâcher alors que je ne peux même pas te voir.

— Chérie, moi non plus je ne veux pas te perdre. Ecoute : tu t’accroches à moi d’une main et tu tends l’autre derrière toi. Agrippe ce coussin ou quoi que ce soit. Je vais me retourner et prendre ta main. Ensuite, selon ce que nous aurons sous la main, nous déciderons de la façon de nous en servir. O.K. ?

Ce n’était pas un oreiller ou un coussin de banc de la promenade mais plutôt, au contact, un grand matelas de bain de soleil, large d’au moins deux mètres et vraisemblablement très long, assez en tout cas pour deux passagers, voire même trois si l’on avait affaire à des gens ayant l’habitude de vivre ensemble. C’était presque aussi bien qu’un canot de sauvetage ! Mieux même, puisqu’il y avait Margrethe. Cela me rappela un poème profane qui circulait clandestinement au séminaire : Un coup de vin, un bout d’pain et un p’tit…

Réussir à prendre pied sur un matelas mou comme une limace par une nuit noire comme l’intérieur d’un sac à charbon n’est pas un exercice difficile mais carrément impossible. Et nous avons réussi l’impossible : je me suis accroché des deux mains au matelas pendant que Margrethe se glissait lentement sur moi. Pour finir, elle m’a tendu la main afin que je me hausse un peu pour tenter de monter. C’est alors que mon coude a dérapé et que je suis retombé en arrière. Guidé par la voix de Margrethe, j’ai rencontré à nouveau le matelas et, lentement, avec précaution, je me suis hissé à bord.