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Quand la machine se trouva à notre hauteur, il nous lança le cordage. Je m’en emparai et si je ne fus pas arraché au radeau et jeté à la mer, c’est grâce à Margrethe qui se cramponnait à moi. Je lui tendis l’extrémité du cordage.

— Laisse-le te tirer. Je te suivrai en nageant.

— Non !

— Qu’est-ce que ça veut dire, non ? Ce n’est pas le moment de discuter. Vas-y !

— Alec, tais-toi ! Il essaie de nous dire quelque chose.

Je me tus, quelque peu vexé. Margrethe prêtait l’oreille. (Il était inutile que j’écoute : mon espagnol se limitait à gracias et por favor. J’en profitai pour déchiffrer l’inscription au flanc de la machine : El Guarda-costas Real de Mexico.)

— Alec, il nous dit de faire très attention. Les requins.

— Aïe !

— Oui. Il ne faut pas que nous bougions. Il va tirer tout doucement sur cette corde. Je crois qu’il a l’intention de nous faire monter dans cette machine sans entrer dans l’eau.

— Voilà un homme selon mon cœur !

Nous avons essayé : ça ne marchait pas. La brise s’était levée. Elle avait plus d’effet sur la machine volante que sur nous : notre radeau-matelas imbibé d’eau était pratiquement cloué sur place et n’offrait pas la moindre surface portante au vent. Au lieu de nous tirer jusqu’à la machine, l’homme fut obligé de laisser filer un peu plus de cordage pour éviter de nous précipiter à la mer.

Il cria quelque chose et Margrethe lui répondit. Ils se mirent à dialoguer à grands cris. Puis elle se tourna vers moi :

— Il dit de lâcher le cordage. Ils vont revenir et, cette fois, plus lentement. Quand ils seront tout près, il faudra que nous essayions de nous hisser dans l’aeroplano. La machine.

— D’accord.

La machine s’éloigna, décrivit une courbe au large, puis se rapprocha de nouveau. En l’attendant, nous ne risquions pas de nous ennuyer : il y avait de la distraction. L’aileron dorsal d’un énorme requin s’approchait. Il n’attaqua pas. Apparemment, il pensait (pensait ?) que nous n’étions pas comestibles. Je suppose qu’il tirait ses déductions de la vision du dessous de notre matelas de kapok.

La machine volante venait droit sur nous, pareille à quelque monstrueuse libellule. Je dis :

— Chérie, quand elle sera tout près, tu essaieras de t’accrocher à l’étançon et je te hisserai. Je te suivrai ensuite.

— Non, Alec.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

J’étais irrité. Margrethe, qui avait toujours été une compagne de commerce facile, se montrait soudain entêtée, et au plus mauvais moment.

— Tu ne peux pas me pousser. Tu n’as pas de point d’appui. Et tu ne peux pas te lever non plus. Tu ne peux même pas t’asseoir. Ecoute, tu vas grimper à droite et moi à gauche. Si nous n’y arrivons pas, nous nous laisserons retomber sur le matelas très vite. Et l’aeroplano fera un autre tour.

— Mais…

— C’est ce qu’il a dit de faire.

Il ne nous restait guère de temps. La machine était déjà pratiquement sur nous. Les « jambes » des étançons qui reliaient les deux structures inférieures au corps principal de la machine encadrèrent le matelas, nous frôlant l’un et l’autre.

— Allons-y ! cria Margrethe.

Je me redressai et ma main se referma sur l’étançon.

Je crus avoir le bras droit arraché mais je ne ralentis pas le mouvement. A la façon d’un singe, je m’agrippai des deux mains au châssis de la machine. Je réussis à poser un pied sur la structure de kayak et tournai la tête.

Une main se tendait vers Margrethe. Elle réussit à se hisser et fut soulevée jusqu’à l’aile de cerf-volant. Puis elle disparut. Je me retournai pour escalader – et je lévitai soudain jusqu’à l’aile. D’ordinaire, je ne lévite pas, mais cette fois j’avais été vigoureusement stimulé par un aileron blanc sale vraiment trop grand pour appartenir à un poisson honnête et qui fendait l’eau en direction de mon pied droit, très précisément.

Je me retrouvai près de la petite cabine où les deux hommes étaient installés pour diriger leur étrange appareil. Le deuxième homme (celui qui n’était pas sorti jusqu’alors pour nous aider) passa sa tête hors de la vitre et me sourit, tendit la main derrière lui et ouvrit une petite porte. Je rampai à l’intérieur. Margrethe était déjà là.

Dans l’espace habitable il y avait quatre sièges, deux sur le devant, là où les conducteurs étaient assis, et deux à l’arrière, où nous nous trouvions.

Le conducteur qui se trouvait de mon côté regarda autour de nous, dit quelque chose puis continua – cela ne m’échappa nullement ! – à regarder Margrethe. Bien sûr, elle était nue, mais ce n’était pas sa faute, et ce n’était pas digne d’un gentleman de la regarder avec une telle insistance.

Il dit, m’expliqua Margrethe, que nous devons attacher nos ceintures. Oui, je crois bien que c’est ça.

Elle saisit une boucle. L’autre extrémité de la ceinture était fixée au châssis de l’habitacle.

Je m’aperçus que j’étais assis sur une ceinture tout à fait semblable dont la boucle était en train de creuser un trou dans mon dos brûlé par le soleil. Je n’en avais pas eu conscience jusqu’à présent, trop de choses requérant mon attention. (Pourquoi ne regardait-il pas ailleurs ? Je n’allais pas tarder à lui dire ce que je pensais. A cette minute, il m’importait peu qu’il eût sauvé nos deux vies : j’étais tout simplement furieux qu’il profite de la situation au détriment d’une jeune femme sans défense.)

Je me suis concentré sur cette satanée ceinture. L’homme s’était mis à parler à son camarade qui lui répondait avec volubilité. Margrethe interrompit leur discussion.

— Qu’est-ce qu’ils disent ? demandai-je.

— Ce pauvre homme voudrait me donner sa chemise. Je refuse… mais pas assez pour que ce soit pris comme un vrai refus. C’est très galant de leur part, chéri. Je n’en fais pas une affaire, bien sûr, mais je me sens mieux en présence d’étrangers si j’ai quelque chose sur le dos. (Elle écouta la discussion et ajouta :) Ils se disputent pour savoir qui aura ce privilège.

Je ne fis pas de commentaire. Mais je m’excusai auprès d’eux en silence. Même le pape à Rome, je pense, a bien dû se permettre comme ça un petit coup d’œil, de temps en temps.

Apparemment, l’homme de droite avait gagné. Il pivota dans son siège – il ne pouvait pas se lever –, ôta sa chemise et la tendit à Margrethe.

— Señorita, por favor.

Il ajouta quelques autres remarques, mais cela dépassait largement ma compréhension.

Margrethe, quant à elle, répliqua avec grâce et dignité et continua de bavarder avec lui tout en enfilant la chemise. Elle lui allait largement et la dissimulait en tout cas. Elle se tourna à nouveau vers moi.

— Chéri, le commandant est le teniente Anibal Sanz Garcia et son adjoint est le sargento Roberto Dominguez Jones. Ils appartiennent tous deux au Corps des Gardes-Côtes du Royaume du Mexique. Le lieutenant et le sergent voulaient chacun m’offrir leur chemise, mais c’est le sergent qui a gagné au jeu du doigt-devinette.

— C’est très généreux de sa part. Demande-leur s’il y a à bord un quelconque vêtement que je pourrais porter.

— Je vais essayer. (Elle prononça quelques phrases et je perçus mon nom. Puis elle revint à l’anglais :) Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter mon époux, le Señor Alexandre Graham Hergensheimer.