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— Il faut retourner au quartier général.

— Encore de la paperasse ?

— On peut appeler ça comme ça. Je crois qu’ils veulent nous questionner de manière plus détaillée pour savoir comment nous sommes arrivés et où on nous a retrouvés. Il faut reconnaître que notre histoire est plutôt bizarre.

— Oui, je le crois sans peine.

Notre première entrevue avec le commandant avait été loin d’être satisfaisante. Si j’avais été seul, je pense qu’il m’aurait carrément traité de menteur… mais il était difficile pour un homme aussi infatué de son ego masculin de s’adresser de la sorte à Margrethe.

L’ennui, c’était avant tout notre bon vieux Konge Knut.

Il n’avait pas coulé, il n’était pas au port : il n’avait jamais existé.

Je n’étais que modérément surpris. S’il s’était transformé en trois-mâts ou en quinquérème, je n’aurais pas été surpris du tout. Mais j’avais plus ou moins espéré un vaisseau qui aurait porté le même nom : j’estimais que les règles l’exigeaient. Mais, à présent, il devenait évident que je ne comprenais pas les règles. S’il y en avait.

Margrethe m’avait fait remarquer un facteur qui confirmait tout ce que je craignais : ce Mazatlan-là n’avait rien à voir avec la ville qu’elle avait déjà visitée. Elle était plus petite et ce n’était pas une ville touristique : en fait, le long quai où le Konge Knut aurait dû s’amarrer n’existait pas dans ce monde-ci. Je crois que ce fait, ajouté à l’existence des machines volantes, lui avait amplement prouvé que ma « paranoïa » était l’hypothèse la moins probable qui fût. Lorsqu’elle était venue à Mazatlan, le quai était long et vaste. Or, il n’existait plus et cela l’avait particulièrement secouée.

Le commandant ne s’était pas montré impressionné. Il avait passé plus de temps à poser des questions au lieutenant Sanz qu’à nous interroger. Il semblait plutôt fâché contre Sanz.

Un autre facteur était apparu que je ne comprenais pas sur le moment et qu’en fait je n’ai jamais vraiment compris. Le supérieur de Sanz était « capitaine » (ou capitan). Le commandant lui aussi avait le grade de capitaine. Mais l’un et l’autre n’étaient pas du même rang.

Les Gardes-Côtes utilisaient les grades de la marine. Pourtant, ceux qui conduisaient les machines volantes avaient des grades de l’armée de terre. Je suppose que cette différence avait une origine historique. Et cela pouvait expliquer la friction : un capitaine de marine n’était nullement disposé à accepter comme parole d’évangile le rapport d’un officier de machine volante.

Le lieutenant Sanz avait ramené deux survivants nus qui racontaient une incroyable histoire. L’officier à quatre galons semblait en vouloir particulièrement à Sanz pour tous les aspects invraisemblables de notre récit.

Mais Sanz n’était pas intimidé. Je me dis qu’il n’avait sans doute aucun respect pour un supérieur qui n’avait jamais volé plus haut qu’un nid de corbeau. (Ayant fait l’expérience de son cercueil volant, je comprenais très bien qu’il ne devait pas être enclin à se prosterner devant un vulgaire marin. Même parmi les pilotes de dirigeables, j’avais rencontré cette tendance à diviser le monde en deux races : ceux qui volent et ceux qui ne volent pas.)

Après un moment, s’apercevant qu’il ne parvenait pas à ébranler Sanz et qu’il ne pouvait communiquer avec moi que par l’entremise de Margrethe, le commandant avait haussé les épaules et donné quelques instructions qui avaient eu pour effet de nous amener devant un déjeuner. J’avais cru sur le moment que nous en resterions là, mais il s’avérait que l’interrogatoire allait reprendre, où que cela dût nous mener.

Notre deuxième entrevue avec le commandant fut brève. Il nous fit savoir que nous rencontrerions le juge à l’immigration à quatre heures, ce même après-midi – ou du moins la cour chargée de cette juridiction, car il n’existait pas de cour indépendante pour les affaires d’immigration. En attendant, nous avions une liste de frais à payer et nous devions voir avec le juge les possibles conditions de règlement.

Margrethe prit la feuille que le commandant lui tendait et eut l’air ébahi. Je lui demandai de me traduire ce qu’il avait dit. Elle traduisit et je regardai la facture.

Il y en avait pour plus de huit mille pesos !

La lecture de cette petite note n’exigeait pas une connaissance approfondie de l’espagnol. Tous les termes employés étaient aisément traduisibles. Tres horas voulait dire à l’évidence trois heures, et on nous avait facturé trois heures d’aeroplano, mot que j’avais déjà entendu dans la bouche de Margrethe et qui signifiait machine volante. On nous facturait aussi le temps du lieutenant Sanz et celui du sergent Dominguez. Plus une taxe qui devait porter, selon moi, sur des opérations en altitude.

Il y avait aussi le carburant consommé par l’aeroplano et la prestation de service.

On lisait aussi pantalones, ce qui se comprenait aisément.

De même qu’une falda était une jupe et une camisa une blouse. Je corrigeai ma première impression : la toilette que portait Margrethe n’avait rien de bon marché.

Ce qui me surprit le plus ce fut le prix des deux repas : douze pesos par personne. Ce n’était pas une question de tarif mais j’avais cru comprendre que nous étions invités à titre de survivants.

Il y avait même une note séparée pour le temps du commandant.

J’étais sur le point de demander combien de dollars représentaient ces huit mille pesos, mais je me suis abstenu en prenant brusquement conscience que je n’avais pas la moindre idée de la valeur d’un dollar dans ce nouveau monde où nous avions été projetés.

Margrethe se mit à discuter du montant de la facture avec le lieutenant Sanz, qui paraissait très embarrassé. Il y eut quelques protestations, des gestes de mains levées en signe d’impuissance. Elle écouta patiemment, puis m’expliqua :

— Alec, Anibal n’y est pour rien et ce n’est même pas la faute du commandant. Les tarifs de ces services : sauvetage en mer, utilisation de l’aeroplano, et tout ça… sont fixés par el Distrito Real, le District Royal, c’est-à-dire le même qu’à Mexico, je suppose. Le lieutenant Sanz me dit que la pression économique s’exerce à partir du plus haut niveau afin d’obliger chaque service public à être financièrement autonome. Il dit aussi que comme un frère et moi comme une sœur.

— Dis-lui que j’éprouve les mêmes sentiments à son égard et débrouille-toi pour le lui exprimer de façon aussi fleurie.

— Promis. Et Roberto se joint à lui.

— Même chose pour le sergent. Mais essaie aussi de savoir comment nous pouvons contacter le consul d’Amérique. Nous sommes vraiment dans l’embarras.

On demanda au lieutenant Anibal Sanz de veiller à ce que nous nous présentions devant la cour à quatre heures et, ensuite, on nous donna quartier libre. Sanz désigna le sergent Roberto pour nous escorter jusqu’au consulat, tout en exprimant le regret que ses devoirs ne lui permissent pas de nous escorter personnellement. Sur ce, il claqua des talons, s’inclina et déposa un baiser sur la main de Margrethe. Ce simple geste lui acquit un avantage considérable auprès d’elle qui était déjà séduite. Mais, à mon grand regret, on n’enseigne pas ce geste au Kansas et c’est dommage.

Mazatlan est situé sur une péninsule. Le port des Gardes-Côtes se trouve sur le littoral sud, non loin du phare (qui est le plus haut du monde : très impressionnant). Le consulat d’Amérique, lui, est situé à deux kilomètres de là, de l’autre côté de la ville, sur le littoral nord, tout en bas de l’Avenida Miguel Aleman. La promenade est plutôt agréable. Une magnifique fontaine se tient à mi-chemin.