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Finalement, nous nous sommes engagés sur une route étroite, un chemin privé, selon moi, car j’avais eu le temps d’entrevoir une arche d’entrée avec l’inscription LA FOLIE FARNSWORTH. Une pente rapide et, au sommet, caché entre les arbres, une haute porte s’est ouverte à notre approche.

C’est là que nous avons rencontré Katie Farnsworth.

Si vous avez lu jusque-là ce récit, vous savez que je suis très amoureux de ma femme. C’est une constante, comme la vitesse de la lumière ou l’amour de Dieu le Père. Eh bien, apprenez maintenant que j’ai compris à cet instant que je pouvais aimer une autre personne, une femme, sans que cela altère mon amour pour Margrethe, sans que je souhaite ravir cette femme à son compagnon légitime, sans éprouver le désir de la posséder charnellement. Enfin, pas trop.

Dès que je la vis, je sus que un mètre soixante-dix-sept est la hauteur parfaite pour une femme, de même que quarante ans est l’âge parfait, que cinquante kilos est le poids idéal et que le registre le plus harmonieux d’une voix est le contralto. Le fait que rien de tout cela ne s’applique à ma bien-aimée n’a aucun rapport : chez Katie Farnsworth c’était la perfection parce qu’elle était elle.

Mais ce qui me frappa le plus, à l’instant de notre rencontre, ce fut une marque d’hospitalité absolue, un geste d’élégance tel que je n’en avais jamais vu.

Elle avait appris par son mari que nous n’avions aucun vêtement sur nous, et aussi que cette situation nous embarrassait à l’extrême. Elle avait donc apporté des vêtements pour chacun de nous.

Et elle-même était absolument nue.

Non, ce n’est pas exactement ça : moi, j’étais nu, elle, elle était dévêtue. Ça ne vous convient pas non plus ? Dénudée ? Déshabillée ? Non, elle n’était vêtue que de sa seule beauté, telle Eve avant la Chute. Et cela lui convenait si bien, c’était tellement approprié à la situation que je me demandai comment j’avais pu entretenir l’illusion que l’absence de vêtements équivaut, ou est une obscénité.

Les deux coquilles de la porte se refermèrent. Je sortis de la voiture et aidai Margrethe. Mme Farnsworth posa ce qu’elle tenait, mit ses bras autour des épaules de Marga et l’embrassa.

— Margrethe ! Bienvenue, ma chère.

Ma douce et tendre répondit à son étreinte.

Puis Katie Farnsworth me tendit la main.

— Bienvenue à vous aussi, monsieur Graham. Alec.

Je pris sa main mais sans la serrer. Je la tins comme quelque précieuse porcelaine de Chine et m’inclinai. Je me dis que j’aurais dû la baiser, mais je ne savais pas comment m’y prendre.

Elle avait apporté pour Margrethe une robe d’été qui avait exactement la couleur des yeux de mon amour. Son style faisait songer au mythe d’Arcadie et l’on aurait très bien imaginé une nymphe des bois ainsi vêtue. Elle était fermée sur l’épaule gauche, complètement ouverte sur le côté droit mais croisait largement sur le devant. Elle était de coupe très simple et se terminait, de part et d’autre, par un long ruban-ceinture qui permettait de la nouer à la taille.

A mes yeux, c’était la robe idéale pour n’importe quelle femme, car elle pouvait être portée ajustée ou vague.

Katie avait choisi pour Margrethe des sandales bleues assorties. Pour moi, c’étaient des sandales mexicaines, des zapatos en cuir tressé qui étaient aussi simples de conception, dans leur solidité, que la robe de Marga. Quant au pantalon et à la chemise qu’elle me tendit, ils ressemblaient plus ou moins à ceux que j’avais achetés à Winslow, mais ils étaient d’une coupe plus élégante et en lainage très léger, pas en cotonnade bon marché. Les chaussettes étaient exactement à ma pointure, et le short en maille m’allait à merveille.

Quand nous avons été habillés, les seuls vêtements qui restaient encore dans l’herbe étaient les siens, et je compris alors qu’elle était venue habillée à notre rencontre et qu’elle s’était dévêtue à la porte afin de nous accueillir dans une « tenue » similaire à la nôtre.

Exquise politesse.

Nous sommes tous remontés en voiture. Mais, avant de redémarrer, M. Farnsworth a dit :

— Katie, nos invités sont chrétiens.

Mme Farnsworth a paru ravie.

— Oh, c’est très intéressant !

— C’est ce que je me suis dit. Alec, il n’y a pas beaucoup de chrétiens dans les environs. Vous pouvez parler librement devant moi ou Katie… mais devant des tiers, mieux vaudrait que vous n’évoquiez pas votre croyance. Vous me comprenez ?

— Euh… je crains que non.

Je sentais ma tête tourner et un sifflement désagréable avait envahi mes oreilles.

— Eh bien… le fait d’être chrétien n’est pas illégal chez nous : le Texas autorise les religions. Néanmoins, les chrétiens ne sont guère populaires et leur religion est plus ou moins clandestine. Si vous souhaitez entrer en contact avec vos semblables, je pense que nous arriverons à vous arranger un rendez-vous dans les catacombes. Kate ?

— Oh, oui ! je suis certaine que nous trouverons quelqu’un qui puisse servir de relais. Je vais essayer d’avoir des tuyaux.

— Ce sera comme Alec le désirera. Alec, vous ne risquez pas d’être lapidés, en tout cas. Ici, vous n’êtes pas chez des ploucs ignorants sortis de leurs forêts. Il n’y a pas réellement de danger, mais je ne tiens pas à ce que vous soyez brimés ou insultés.

— Sybil ! dit tout à coup Katie Farnsworth.

— Oh, non ! Alec, notre fille est très gentille et aussi civilisée qu’on puisse l’espérer de la part d’une teenager. Mais elle est apprentie sorcière. Elle s’est récemment convertie à l’Ancienne Religion et, à cause de cette récente conversion et de son âge, elle prend ça très au sérieux. Bien sûr, elle ne se montrera pas grossière avec nos invités, parce que Katie l’a correctement élevée. Et puis, elle sait que j’en ferais de la pâtée si elle s’avisait d’être impertinente. Mais vous me rendriez service en évitant de la contrarier. Comme vous le savez sans doute, ces jeunes sont des bombes à retardement qui n’attendent qu’une occasion pour exploser.

Ce fut Margrethe qui répondit pour moi.

— Nous serons très prudents. Cette « Ancienne Religion », est-ce le culte d’Odin ?

J’étais déjà suffisamment bousculé, et en entendant ça j’ai senti un frisson me courir sur l’échine. Mais notre hôte répondit très vite :

— Non. Du moins je ne le pense pas. Il faudrait demander à Sybil. Si vous ne craignez pas qu’elle vous gonfle la tête. Parce qu’elle va essayer de vous convertir. Et elle ne fera pas semblant, croyez-moi.

Katie Farnsworth ajouta :

— En tout cas, je n’ai jamais entendu Sybil mentionner Odin. Elle parle surtout de « La Déesse ». Est-ce que c’étaient les druides qui adoraient Odin ? Je ne sais pas. Je crains que Sybil ne nous considère comme trop vieux pour perdre son temps à discuter de théologie avec nous.

— Et n’en discutons pas non plus, ajouta Jerry en lançant la voiture vers le haut de l’allée.

La villa des Farnsworth était longue et basse, pleine de coins et de recoins, avec une apparence à la fois paisible et cossue. Jerry s’est arrêté sous une porte cochère et nous sommes tous descendus. Il a donné une tape sur le toit de sa voiture comme il l’aurait fait pour un cheval et, tandis que nous rentrions, il a contourné l’angle de la villa.

Je ne vais pas faire une description trop étendue de cette maison car elle ne paraîtrait pas nécessairement justifiée, malgré la beauté et le luxe tout texan de l’intérieur. La plupart des choses que nous voyions autour de nous nous étaient décrites par Jerry comme étant des « hauts logrammes ».