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— Vous perdez l’esprit !

— Appelez le procureur fédéral. Qu’il soit le témoin.

Il était tellement furieux qu’il ne pouvait plus formuler un mot. Ses mains tremblaient. On court toujours un risque à trop fâcher un petit homme, et je faisais quinze bons centimètres de plus que lui. Même rapport pour le poids.

Il ne m’attaquerait pas lui-même – c’était un homme de loi après tout – mais je devrais me méfier en franchissant les portes.

L’instant était venu d’essayer de le calmer.

— Sam, Sam… ne prenez pas ça comme un drame. Vous vous êtes longtemps et largement appuyé sur moi… alors que j’ai besoin de vous. Dieu seul sait pourquoi les procureurs font certaines choses. Cette fripouille a sûrement pris l’argent à l’heure qu’il est, pensant que je suis bel et bien mort et que je ne risque plus de porter plainte. Donc, je vais aller à Portland et faire appel à ses bons sentiments. De manière très, très pressante.

— Il y a une poursuite en cours contre vous.

— Vraiment ? Pour quel motif ?

— Séduction avec promesse de mariage. La plainte émane d’une fille membre de l’équipage. (Il a eu le tact d’adresser un regard d’excuse à Margrethe.) Je suis désolé, madame Graham, mais c’est votre mari qui m’a posé la question.

— Il n’y a pas de mal, a-t-elle répondu d’un ton crispé.

— J’y suis presque, hein ? A quoi ressemble-t-elle ? Elle est jolie ? Comment s’appelle-t-elle ?

— Je ne l’ai pas vue : elle n’était pas là. Son nom ? Un nom suédois, je crois bien. Attendez… Gunderson. Oui, c’est ça ! Margaret S. Gunderson.

Margrethe, Dieu soit loué, ne tiqua pas une seconde, même lorsqu’elle s’entendit qualifier de Suédoise. Abasourdi, j’ai déclaré :

— Je suis accusé si je comprends bien d’avoir séduit cette femme… à bord d’un bâtiment battant pavillon étranger, quelque part dans les mers du Sud. Il y a donc un mandat qui a été lancé contre moi à Portland, dans l’Oregon. Sam, quel genre d’avocaillon êtes-vous ? Vous n’avez même pas été capable d’empêcher qu’on colle ce genre de poursuite contre un client ?

— Je suis du genre malin, figurez-vous. Comme vous le dites si bien, on ne peut jamais savoir ce que va faire un procureur fédéral. Quand on les nomme, on doit les opérer du cerveau. Et puis, nous avons tous pensé que ce n’était pas un sujet très important, vu que vous étiez mort. C’est du moins ce que nous croyions. Je pense seulement à vos intérêts, et c’est pour ça que je vous ai parlé de ce mandat avant que vous ne vous lanciez là-dedans. Si vous me donnez un peu de temps, je le ferai annuler, et ensuite seulement vous pourrez vous rendre à Portland.

— Ça me semble raisonnable. Et ici, il n’y a pas d’autres charges contre moi, non ?

— Eh bien… Oui et non. Vous connaissez les termes du marché. Nous leur avions assuré que vous ne réapparaîtriez pas, ils ont donc fermé les yeux. Mais vous revoilà, Alec. Et il n’est pas possible qu’on vous trouve ici. Pas plus que nulle part au Texas. Ni même sur toute l’étendue du territoire des Etats-Unis, en fait. Si la nouvelle se répand, ils vont ressortir ces vieilles accusations.

— J’étais innocent !

Il a haussé les épaules.

— Alec, tous mes clients sont innocents. Je vous parle comme un père, dans votre strict intérêt. Fichez le camp de Dallas. Si vous allez jusqu’au Paraguay, ça n’en sera que mieux.

— Mais comment ? Je suis fauché, Sam. Je n’ai pas assez de fric pour ça.

— Est-ce que je vous ai jamais laissé tomber, Alec ?

Il a sorti son portefeuille, compté cinq coupures de cent dollars et les a posées devant moi.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? Un pourboire ? (J’ai empoché les billets.) Avec ça, on ne dépassera pas la banlieue. Non, je parle d’argent. Envoyez.

— Revoyons-nous demain.

— Sam, ne jouez pas au plus fin avec moi. Ouvrez ce coffre et donnez-moi de l’argent, pas une aumône. Sinon, ce n’est pas ici que je viendrai demain : j’irai voir le procureur et je lui raconterai mon petit couplet. Vous savez que les fédés adorent les témoins : il n’y a que comme ça qu’ils arrivent à gagner un procès. Après, je filerai en Oregon et je ramasserai ces cent mille dollars.

— Alec, vous me menacez ?

— Mais non, Sam. Seulement, vous voulez jouer, alors je joue aussi. Ecoutez : il me faut une voiture. Une voiture, pas une vieille Ford en ruine. Une Cadillac. Pas besoin qu’elle soit neuve, mais en bon état, propre, avec un bon moteur. Une Cadillac plus quelques centaines de dollars de mieux et nous serons à Laredo à minuit, et à Monterey le lendemain matin. Je vous appellerai de Mexico et je vous donnerai mon adresse. Si vous voulez vraiment que j’aille au Paraguay et que j’y reste, vous n’aurez qu’à envoyer l’argent.

Ça ne s’est pas passé tout à fait comme ça. Nous nous sommes mis d’accord sur une Pontiac d’occasion. Je suis reparti avec six mille dollars en liquide pour un marchand de voitures d’occasion avec lequel Sam avait conclu le marché. Il a également téléphoné au Hyatt pour qu’on nous réserve la suite nuptiale. Je devais revenir le voir à dix heures le lendemain matin.

J’ai refusé : je n’avais pas l’intention de me lever à l’aube.

— Disons plutôt onze heures. C’est encore notre lune de miel.

Sam a ri, m’a donné une claque dans le dos et a dit :

— Bon, oui, c’est d’accord.

Dans le couloir, nous nous sommes dirigés vers les ascenseurs mais nous ne nous y sommes pas arrêtés. Quatre mètres plus loin s’ouvrait la porte d’accès à l’escalier d’incendie. Margrethe n’a fait aucun commentaire en m’emboîtant le pas mais, dès que nous avons été dans l’escalier, loin des oreilles indiscrètes, elle a dit :

— Alec, cet homme n’est pas un ami.

— Non, certainement pas.

— J’ai peur pour toi.

— Moi aussi.

— J’ai très peur. Pour ta vie.

— Moi aussi, mon amour, j’ai peur pour ma vie. Et pour la tienne. Tu es en danger aussi longtemps que tu es avec moi.

— Je ne te quitterai pas !

— Je le sais. Quoi qu’il se passe, nous y sommes mêlés tous les deux.

— Oui. Que comptes-tu faire à présent ?

— Il faut aller au Kansas.

— Oh, très bien ! Mais alors, nous ne fuyons pas au Mexique en voiture ?

— Chérie, je ne sais même pas conduire.

Nous sommes arrivés dans un garage en sous-sol puis, en remontant une pente d’accès, nous nous sommes retrouvés dans une rue latérale. Nous avons marché pendant plusieurs blocs pour nous éloigner du Smith Building, ensuite un taxi nous a conduits jusqu’à la gare de la Texas & Pacific. Là, nous avons repris un autre taxi jusqu’à Fort Worth, à plus de cinquante kilomètres à l’ouest. Pendant tout le trajet, Margrethe est restée calme et silencieuse. Je ne lui ai posé aucune question. Je savais ce qu’elle pensait : ce n’est jamais avec plaisir qu’on découvre que quelqu’un que l’on aime est mêlé à une sorte de fumisterie en même temps que des gangsters et des escrocs. Je me fis la promesse solennelle de ne jamais aborder ce sujet devant elle.