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10 h – 14 h – 19 h

Chaque jour, à partir du dimanche 5 juin jusqu’au

JUGEMENT DERNIER !!!!

J’ai dit quelques mots à notre cheval et tiré prudemment sur les rênes pour lui faire comprendre que je souhaitais m’arrêter.

— Chérie, regarde ça !

Margrethe a lu l’inscription sans faire le moindre commentaire.

— J’admire son courage, ai-je repris. Le frère Barnaby joue sa réputation en annonçant le jugement dernier avant même le temps des moissons… qui pourrait bien être précoce cette année, avec cette chaleur.

— Mais tu crois que le jugement est pour bientôt ?

— Oui, mais je ne joue pas ma réputation professionnelle sur mon assurance… rien que mon âme immortelle et l’espérance du Paradis. Marga, tous ceux qui lisent la Bible interprètent les prophéties de façon légèrement différente. Ou très différente, même. La plupart des prémillénaristes n’attendent pas le Jour avant l’an deux mille. Je voudrais entendre les raisons du frère Barnaby. Il se peut qu’il sache quelque chose. Verrais-tu un inconvénient à ce que nous restions ici une heure ?

— Nous resterons plus longtemps si tu le veux. Mais… Alec, tu souhaites que j’entre avec toi ? Il le faut ?

— Euh… (Oui, chérie, oui, bien sûr que je veux que tu entres.) Tu préfères rester dans le cabriolet ?

Son silence fut une réponse éloquente.

— Je vois. Marga, je n’essaie pas de te forcer la main. Une chose seulement : nous n’avons jamais été séparés depuis plusieurs semaines, sauf nécessité absolue. Et tu sais pourquoi. Avec ces changements qui se produisent presque chaque jour, je ne tiens pas à ce qu’il y en ait un qui nous tombe dessus pendant que tu es à l’extérieur et moi à l’intérieur, loin de toi. Ecoute… nous pourrions rester dehors. Je vois qu’ils ont relevé la toile sur les côtés.

Elle se redressa.

— C’est stupide de ma part. Non, entrons, Alec, j’ai besoin de te tenir la main. Tu as raison : les changements vont vite. Et je ne te demanderai pas de rester à l’écart d’une réunion de tes coreligionnaires.

— Merci, Marga.

— Alec… je vais essayer !

— Merci. Mille fois. Amen !

— Ce n’est pas la peine de me remercier. Si tu veux aller au Ciel, je veux y aller moi aussi.

— Entrons, ma chérie.

Je rangeai notre cabriolet à l’extrémité d’une rangée avant de conduire la jument au corral, suivi de Marga. En revenant vers la tente, je pus entendre :

… illumine ton coin !

Quelqu’un venu de loin !

Peut te montrer le chemin !

Alors illumine ton coin !

Alors…

— … illumine ton coin ! chantai-je en entrant.

Cela faisait du bien.

La formation musicale consistait en tout et pour tout en un orgue à pédales et un trombone à coulisse. Ce dernier instrument me surprit tout en me séduisant : il n’a pas son pareil pour sortir Holy City et il est quasi indispensable pour The Son of God Geos Forth To War.

La congrégation était soutenue par un chœur en robes d’ange : les participants avaient été recrutés sur place, supposai-je, car leurs tenues avaient visiblement été confectionnées dans des chemises. Mais leur manque de professionnalisme était largement compensé par leur zèle. La musique d’église n’a nul besoin d’être bonne du moment qu’elle est sincère et forte.

La piste de sciure, large de deux mètres, divisait l’espace en deux. Les bancs avaient été installés de part et d’autre. Elle s’achevait sur un chancel de soixante centimètres de haut, large d’un mètre et demi. Un huissier nous précéda vers le devant. Il y avait foule mais il obligea les gens à se serrer un peu plus et nous nous retrouvâmes sur le côté, au second rang, moi à l’extérieur. Bien sûr, il y avait encore des sièges disponibles dans le fond, mais tous les prédicateurs méprisent ceux – dont le nombre est légion ! – qui choisissent de demeurer dans le fond alors qu’il y a des places libres aux premiers rangs.

Lorsque la musique se tut, frère Barnaby se leva et vint au pupitre. Il posa la main sur la Bible et déclara à voix basse, presque en un murmure :

— Tout est écrit dans le Livre !

Et un silence de mort tomba sur l’assemblée.

Il s’avança alors et regarda autour de lui.

— Qui vous aime ?

— Jésus m’aime !

— Qu’il t’entende !

— JESUS M’AIME !

— Comment le sais-tu ?

— C’EST ECRIT !

Je pris alors conscience d’une odeur que je n’avais pas sentie depuis fort longtemps. Mon professeur d’homilétique nous avait fait remarquer une fois, lors d’une réunion de groupe de travail, qu’une assistance animée par la ferveur religieuse dégage une odeur particulière et puissante. En fait, il avait employé le terme de « puanteur ». Une odeur composée d’un mélange de sueur et d’émanations d’hormones mâles et femelles.

— Mes fils, nous avait-il dit, si votre congrégation ne sent pas assez fort, c’est que vous ne savez pas vous faire entendre. Si vous parvenez à les faire transpirer, s’ils ne dégagent pas leur propre musc comme des rats en rut, il vaut mieux que vous laissiez tomber pour aller vous engager chez les papistes. L’extase religieuse est la plus profonde des émotions humaines. Quand elle se manifeste, vous la sentez !

On pouvait dire que frère Barnaby savait se faire entendre.

(Pour ma part, je dois le confesser ici, je n’y étais jamais vraiment parvenu. C’est la raison pour laquelle j’avais fini comme organisateur et trésorier.)

— Oui, c’est dans le Livre. Car la Bible est la Parole de Dieu, mot pour mot. Ce n’est pas une allégorie mais la vérité littérale. Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira. Je vous lis maintenant ce qui est écrit : Car le Seigneur descendra des cieux dans un cri, avec la voix de l’archange et avec la trompette de Dieu, et les morts selon le Christ revivront en premier. Oui, mes frères et mes sœurs, cette dernière ligne est une grande nouvelle : les morts selon le Christ revivront en premier. Qu’est-il dit ? Non pas que les morts se lèveront en premier, mais que les morts selon le Christ se lèveront en premier. Ceux qui ont été lavés par le sang de l’agneau, baptisés en Jésus, et qui sont morts en état de grâce avant Son deuxième avènement. Ceux-là ne seront pas oubliés, ils seront les premiers. Leurs tombes s’ouvriront, ils seront miraculeusement rendus à la vie, à la santé, à la perfection physique et ils conduiront le cortège vers les cieux pour y vivre à jamais devant le grand trône blanc !

Quelque part dans l’assemblée, une voix lança : Alléluia !

— Bénie sois-tu, ma sœur ! Ah, la bonne nouvelle ! Tous les morts selon le Christ, tous, un à un ! Sœur Ellen, arrachée à sa famille par la main cruelle du cancer, mais morte avec le nom de Jésus aux lèvres, conduira la procession. La femme bien-aimée d’Asa, morte en donnant le jour en état de grâce sera là, elle aussi ! Tous ceux qui vous sont chers et qui sont morts dans le Christ seront rassemblés et vous les verrez aux cieux. Frère Ben, qui vécut dans le péché, mais qui retrouva Dieu dans un terrier de renard avant d’être atteint par une balle ennemie, sera là lui aussi… et c’est là tout particulièrement une bonne nouvelle qui nous assure que Dieu peut être présent n’importe où. Car Jésus n’est pas seulement présent dans les églises, et il existe en fait des églises fausses où Son Nom est rarement entendu.

— Oh, oui ! Redites-le !