Et nous nous sommes envolés vers le trône de Dieu.
Mais, tout d’abord, un ange s’est installé dans les airs à cinquante mètres environ sur notre flanc gauche et sa voix, lorsqu’il se mit à parler, portait loin.
— Ecoutez-moi ! Vous allez conserver cette formation pour passer en revue. A aucun moment ne quittez votre position. Repérez-vous sur la créature qui se trouve à votre gauche, celle qui se trouve en dessous de vous, et celle qui vous précède. Laissez dix coudées entre chaque rang et chaque niveau, et cinq coudées dans les rangs. Ne vous pressez pas, ne rompez pas les rangs et ne ralentissez pas en passant devant le trône. Quiconque s’avisera de rompre la formation de vol sera renvoyé à l’autre extrémité de la queue… et je vous préviens : il est possible que le Fils soit reparti quand vous arriverez, et il n’y aura plus que Pierre ou Paul ou n’importe quel autre saint pour accueillir la parade. Des questions ?
— Une coudée, c’est combien ?
— Deux coudées font un mètre. Y a-t-il des créatures dans cette cohorte qui ignorent ce qu’est un mètre ?
Aucune voix ne s’éleva. L’ange ajouta alors :
— D’autres questions ?
Sur ma gauche, au-dessus de moi, une femme lança :
— Oui ! Ma fille n’avait pas ses pastilles pour la toux. Je les ai ici. Est-ce qu’il est possible de les lui remettre ?
— Créature, veuillez, je vous prie, accepter mon avis si je vous certifie que la toux qui pourrait frapper votre fille au paradis ne saurait être que purement psychosomatique.
— Mais son docteur a dit…
— Entre-temps, taisez-vous et laissez avancer ce défilé. Les demandes spéciales seront déposées après l’arrivée au paradis.
Il y eut d’autres questions, pour la plupart idiotes, qui ne firent que confirmer une opinion que j’avais gardée pour moi tout au long de ces années : la piété n’implique pas forcément le bon sens.
La trompette résonna à nouveau et notre chef de cohorte lança : En avant ! Quelques secondes après, il y eut un autre appel de trompette. Volez ! Toute la colonne s’élança.
(Ici, une note s’impose : Je parle de l’ange au masculin car il avait une apparence mâle. Pour ceux qui avaient un aspect féminin, je dirai « elles ». Je n’ai cependant jamais eu la moindre certitude quant à leur sexe. S’il en est question. Je pense qu’ils sont androgynes mais jamais je n’ai eu l’occasion de le vérifier. Pas plus que le courage de leur poser la question.)
(Autre problème qui me chiffonne : Jésus avait des frères et des sœurs. Comment la Vierge Marie pouvait-elle donc être encore vierge ? A ce propos non plus, je n’ai jamais eu le courage de poser la question.)
Nous pouvions apercevoir Son trône à des kilomètres de distance. Ce n’était pas le grand trône blanc de Dieu le Père au sein du paradis, mais juste un siège de circonstance pour Jésus. Néanmoins, il était magnifique, taillé dans un unique diamant, avec des myriades de facettes qui renvoyaient la lumière de Jésus en une véritable douche de feu et de glace, et ce dans toutes les directions. Et c’était bien ce que je distinguais le plus facilement, car le visage de Jésus brillait avec une intensité telle que, sans lunettes de soleil, il était impossible de vraiment discerner Son visage.
Peu importait : nous savions Qui Il était. Nous n’avions rien à apprendre de plus. Nous étions encore à quarante kilomètres de distance au moins et je fus alors subjugué par un sentiment que je compris pour la première fois de mon existence (malgré tout ce que m’avaient enseigné mes professeurs de théologie), sentiment qui était fait à la fois d’amour et de crainte. J’aimais et redoutais cette entité qui était là-bas, sur Son trône, et je comprenais pourquoi Pierre et Jacques avaient laissé leurs filets de pêcheurs pour Le suivre.
Et, bien sûr, je ne Lui adressai pas ma requête à l’instant où nous passâmes à quelques centaines de mètres de Lui. Durant ma vie sur terre, je m’étais adressé à Jésus (je L’avais prié) par Son Nom des milliers de fois. Quand je Le vis dans Sa chair, je me souvins simplement que l’ange qui nous conduisait nous avait promis que nous aurions l’occasion de remplir des demandes personnelles dès que nous serions au Paradis. Très bientôt. Il me plaisait, en attendant, de songer que Margrethe se trouvait quelque part dans ce défilé et qu’elle aussi contemplait le Seigneur Jésus sur Son trône… et sans mon intervention, jamais elle n’en aurait eu la chance. Je me sentais heureux et bon, au comble de l’extase, tandis que mes yeux se portaient vers Son aveuglante clarté.
A quelques kilomètres au-delà du trône, la colonne bifurquait sur la droite et montait, quittant le voisinage de la terre et même le système solaire pour piquer droit sur le paradis en prenant de la vitesse.
Saviez-vous que la terre, lorsqu’on se retourne, ressemble à un croissant de lune ? Je me demandai s’il s’était trouvé ou non des partisans de la théorie de la terre plate pour accéder à l’Extase ? Cela me paraissait peu probable, mais de telles superstitions ne sont pas totalement incompatibles avec la croyance en le Christ. Il en est, bien sûr, qui sont absolument interdites : l’astrologie, par exemple, et le darwinisme. Mais, à ma connaissance, l’idée de la terre plate n’est nullement proscrite. S’il se trouvait parmi nous certains de ses partisans, je me demandais ce qu’ils éprouvaient en se retournant et en découvrant que la terre était aussi ronde qu’une balle de tennis ?
(Ou bien le Seigneur, dans Son infinie bonté, faisait-Il en sorte qu’ils la voient plate ? Le simple mortel peut-il percer à jour le point de vue de Dieu ?)
Il me sembla que deux heures s’étaient écoulées quand nous atteignîmes les parages du Paradis. Je dis qu’il me sembla car je n’avais nul moyen de mesurer le temps, ne disposant plus d’aucune échelle humaine. Et, selon le même principe, l’Extase me parut durer environ deux jours… mais j’eus plus tard toute raison de croire qu’il s’était agi de sept ans. Lorsqu’on manque de jalons, de règles et d’horloges, le temps et l’espace deviennent bien incertains.
Tandis que nous nous approchions de la Cité sainte, nos guides nous avaient fait ralentir et nous en avions fait le tour avant de franchir l’une des portes.
Ça n’avait rien d’une petite balade. La nouvelle Jérusalem (le paradis, la Cité sainte, la capitale de Jéhovah) est édifiée sur quatre côtés, tout comme le district de Columbia, mais en plus vaste. Chaque côté mesure 2 125 kilomètres et la périphérie est de 8 500 kilomètres, ce qui donne une superficie de 69 000 kilomètres carrés.
A côté, des villes comme New York ou Los Angeles semblent plutôt étriquées.
En toute vérité, solennellement, la Cité sainte est six fois plus vaste que le Texas ! Et elle est archipeuplée. Mais, apparemment, on n’y attend plus grand monde après nous.
Bien entendu, elle est enclose de murs, des murs hauts de soixante-cinq mètres et épais d’autant. Le chemin de ronde comporte douze couloirs de circulation, et il n’existe pas de garde-fous. Très effrayant. Les portes sont au nombre de douze, trois sur chaque côté. Ce sont les célèbres portes nacrées (elles le sont vraiment), qui restent constamment ouvertes et qui ne se fermeront, à ce que l’on nous dit, que pour la bataille finale.
Les murs sont faits de jaspe iridescent dans lequel on découvre une douzaine de couches différentes, plus superbes encore : du saphir, de la calcédoine, de l’émeraude, de l’onyx, de la Chrysolithe, du béryl, de la topaze, de l’améthyste… je ne me souviens pas des autres. La nouvelle Jérusalem est tellement éblouissante que l’esprit humain a du mal à en prendre la mesure, du moins dans son ensemble.