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— Euh… je crois que j’ai besoin d’un bon bain.

— Parfait ! Je n’ai jamais encore donné un bain à un saint. Chouette !

— Mais je n’ai pas besoin d’aide. Je peux me baigner tout seul.

Mais ce fut elle qui me donna un bain.

Ensuite, elle joua les manucures, puis les pédicures, après avoir émis diverses opinions sur l’état de mes ongles d’orteils dont « disgracieux » était la plus clémente. Elle me coiffa aussi. Quand je m’ouvris à elle de mon problème de lames de rasoir, elle me désigna un placard, dans la salle de bains, où je découvris huit ou dix instruments différents destinés à tailler les poils du visage.

— Je vous recommande ce rasoir électrique à trois têtes rotatives, mais, si vous me faites confiance, vous découvrirez que je sais très bien m’y prendre avec un bon vieux rasoir classique du type « coupe-choux ».

— Tout ce qu’il me faut, ce sont des lames Gillette.

— Je ne connais pas cette marque, mais il existe de nouveaux rasoirs qui acceptent tous les types de lames.

— Non, c’est le mien que je veux. A lame double. Acier inox.

— Ah, des Wilkinson. A double lame ?…

— Peut-être… Ah ! Nous y voilà ! Gillette : trois paquets pour le prix de deux !

— Très bien. Alors je vais vous raser.

— Non, je peux le faire tout seul.

Une demi-heure plus tard, j’étais adossé contre des oreillers, dans un lit digne d’une lune de miel pour un roi. Un verre de Dagwood irradiait une douce chaleur dans mon estomac, j’avais un zombie danois dans la main, et je portais un pyjama de soie brun et or. Pat ôta le peignoir translucide de fumée bleue qu’elle avait porté pour me donner mon bain et s’installa à côté de moi, avec un verre de Glenlivet on the rocks à portée de la main.

(Ecoute, Marga, dis-je en moi-même, je n’ai pas vraiment voulu ça. Il n’y a qu’un lit ici. Mais il est grand et elle ne va pas prendre toute la place. Tu voudrais que je la chasse à coups de pied ? C’est ça que tu voudrais ? C’est une gentille gosse après tout. Je ne tiens pas à la blesser. Et puis, je suis fatigué. Je vais boire un dernier verre et hop ! au lit.)

Oui, ce fut hop ! au lit. Mais pas pour dormir. Pat ne se montra pas le moins du monde entreprenante. Mais très coopérative. Une partie de mon esprit se consacrait intensément et activement à tout ce que Pat pouvait m’offrir tandis que l’autre expliquait à Marga que tout ça n’avait rien de bien sérieux. (Tu comprends, ce n’est pas elle que j’aime, c’est toi, et c’est toi que j’aimerai toujours… Mais je n’arrivais pas à trouver le sommeil et…)

Le sommeil, nous l’avons quand même trouvé. Ensuite, nous avons regardé un « haut logramme » que Pat m’avait annoncé comme étant « X ». J’appris à cette occasion des choses dont je n’avais jamais entendu parler, mais il s’avéra que Pat et moi pouvions très bien les faire ensemble, qu’elle pouvait même m’en apprendre d’autres, et cette fois je ne m’adressai que brièvement à Marga pour lui donner la bonne nouvelle : j’apprenais pour notre commun bénéfice.

Ensuite, nous avons dormi encore une fois.

Quelque temps après, Pat me toucha l’épaule.

— Tourne-toi vers moi, chéri. Montre-moi ton visage. Oui c’est ce que je pensais. Alec, je sais que ton cœur brûle pour ton amour. C’est bien pour ça que je suis ici : pour te faciliter la tâche. Mais je ne pourrai pas y arriver si tu n’essaies pas. Qu’a-t-elle donc fait pour toi que je n’ai pas fait moi ? Ou que je ne sais pas faire ? Dis-le-moi, décris-moi. Ou bien je saurai faire ce qu’elle fait, ou je ferai semblant, ou je me ferai aider. Je t’en prie. Tu commences à froisser mon orgueil professionnel.

— Mais non. Ça se passe très bien, dis-je en lui prenant la main.

— Je me le demande. Peut-être que tu aimerais changer de parfum ? Tu veux les goûter sur mes tétons ? Chocolat, vanille, fraise, tutti-frutti… Hum… Tutti-frutti… Tu aimerais peut-être un sandwich San Francisco ? Ou bien une petite variation sur Sodome et Gomorrhe ? J’ai un copain, un garçon de Berkeley, qui n’est pas complètement garçon d’ailleurs… Il a une imagination très chouette, complètement délirante. On a souvent été partenaires. Et il connaît des tas d’autres types comme lui. Il est membre de la Aleiseter Crowley et des Héros-Zéros de Néron. Si tu as besoin d’une scène de foule, Donny et moi, nous pouvons nous en charger à ton goût. Et le « Sans Souci » mettra tout ça au point pour que tu sois satisfait. Jardin persan, harem turc, tam-tams, rites obscènes, le couvent… A propos de couvent, est-ce que je t’ai dit ce que je faisais avant ma mort ?

— Je n’étais même pas certain que tu sois morte.

— Oh, mais si ! absolument. Je ne suis pas une démone déguisée en humaine. Je suis vraiment humaine. Tu ne penses tout de même pas qu’on peut trouver un poste comme ça sans une solide expérience humaine, n’est-ce pas ? Pour plaire à un compagnon humain, il faut être humain jusqu’au bout des ongles. Tout ce qu’ils racontent à propos des exploits érotiques des succubes, ce n’est que de la publicité. Oui, Alec, j’ai été nonne, de mon adolescence à ma mort. J’ai surtout passé mon temps à enseigner la grammaire et l’arithmétique à des enfants qui n’avaient pas envie d’apprendre. Et j’ai vite compris que ma vocation était fausse. Ce que j’ignorais, c’était comment en sortir. Alors, je suis restée. A trente ans environ, j’ai découvert quelle affreuse erreur j’avais commise. Ma sexualité était arrivée à maturité. J’avais envie de baiser, saint Alec, très fort. Et je suis restée comme ça, et ça n’a fait qu’augmenter d’année en année.

J’étais dans une situation pénible, mais le pire était que je ne pouvais même pas succomber à la tentation. Car je me serais jetée sur la première occasion. Quel manque de chance ! Mon confesseur aurait peut-être louché sur moi si j’avais été un enfant de chœur mais, étant donné ce que j’avais à lui raconter, il s’est mis à ronfler. Même pour moi, les péchés que j’étais censée avoir commis étaient bien minables.

— Quel genre de péchés, Pat ?

— Des pensées charnelles. Je n’en ai même pas confessé la moitié. Et comme je n’ai pas été pardonnée, tout s’est retrouvé dans les ordinateurs de saint Pierre. Fornication adultère et blasphème.

— Hein ? Pat, tu as de l’imagination.

— Pas vraiment, mais j’ai simplement toujours envie de m’envoyer en l’air. Tu ne sais probablement pas à quel point les nonnes sont tenues en bride. Une nonne est la compagne du Christ. C’est le contrat. Donc, le simple fait de penser aux joies du sexe fait d’elle une femme adultère.

— Que Dieu me damne ! Pat, j’ai récemment rencontré deux nonnes au Paradis. Elles m’ont paru bien gaillardes, l’une d’elles surtout. Pourtant, elles étaient au Paradis.

— Ce n’est pas inconciliable. La plupart des nonnes se confessent régulièrement et sont lavées de leurs péchés. Elles meurent généralement dans leur famille, avec leur confesseur ou leur aumônier. Et elles ont droit aux derniers rites avant d’être expédiées tout droit vers le Paradis, blanches comme neige. Mais ça n’a pas été mon cas ! (Elle sourit.) Je subis le châtiment de tous mes péchés et je jouis de chacune de ces satanées minutes. Je suis morte vierge en 1918, pendant la grande épidémie de grippe, si vite, comme beaucoup, qu’aucun prêtre n’a pu arriver à temps pour me donner mon passeport pour le Paradis. Et c’est comme ça que j’ai atterri ici. A la fin de ma millième année d’apprentissage…