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— Un instant ! Tu dis que tu es morte en 1918 ?

— Oui. Lors de la grande épidémie de grippe espagnole. Je suis née en 1878 et je suis morte pour mon quarantième anniversaire. Tu préférerais que j’aie l’apparence de ma quarantaine ? Je peux le faire, si tu le désires.

— Non, non, tu es très bien comme ça. Très jolie.

— Je n’étais pas sûre. Certains hommes… Tu sais, il y en a pas mal qui auraient aimé faire ça avec leur mère du temps de leur vivant. C’est un de mes tours les plus faciles. Je provoque l’hypnose et tu fournis les renseignements. Et alors, je peux ressembler exactement à ta mère. Je peux avoir son parfum également. Tout… La différence, c’est que je peux faire des choses que ta mère aurait probablement refusé de faire. Je…

— Patty ! Je n’ai même pas aimé ma mère !

— Oh ! Est-ce que ça ne t’a pas valu des ennuis pendant le jugement dernier ?

— Non. Ça ne figure pas dans les règles. Il est simplement dit dans la Bible qu’on doit honorer son père et sa mère. Mais il n’est pas question d’amour. Je les ai honorés l’un et l’autre, selon le protocole. J’avais une photo de ma mère sur mon bureau. Et je lui écrivais toutes les semaines. Et je lui téléphonais pour son anniversaire. Je l’invitais aussi parfois quand c’était possible. Et j’écoutais ses éternels commérages, ses méchants ragots à propos de ses amies. Sans jamais la contredire. Je lui ai payé ses factures d’hôpital et je l’ai accompagnée jusqu’à sa tombe. Mais je n’ai pas pleuré. Elle ne m’aimait pas et je ne l’aimais pas non plus. Mais oublions ma mère ! Pat, je t’ai posé une question et tu as changé de sujet.

— Désolée, chéri. Hé ! regarde ce que j’ai trouvé !

— Ne change pas encore une fois de sujet. Garde-le bien au chaud dans ta main pendant que tu réponds à ma question. Tu as parlé de ta « millième année d’apprentissage » ?

— Oui.

— Mais tu as dit aussi que tu étais morte en 1918. La dernière trompette a sonné en 1994. Je le sais : j’y étais. Donc, soixante-seize ans seulement se sont écoulés depuis ta mort. Pour moi, la dernière trompette ne date que d’il y a quelques jours, peut-être un mois, pas plus. Et puis, un détail m’a donné le chiffre de sept années. Mais ce n’est pas encore neuf cents ans ! Et je ne suis pas un esprit, Pat, je suis vivant. Et je ne suis pas Mathusalem non plus. (Seigneur ! Est-il possible que Margrethe soit séparée de moi par dix siècles ? C’est totalement injuste !)

— Oh, Alec… Dans l’éternité, mille ans, ce n’est pas une durée précise, c’est simplement un très long laps de temps. Assez long dans ce cas pour savoir si, oui ou non, je dispose des talents requis et d’une disposition naturelle pour exercer ma profession. Et cela m’a pris du temps parce que, si j’étais assez excitée à mon arrivée – et je le suis restée, parce que n’importe quel partenaire peut me faire grimper aux rideaux, comme tu l’auras remarqué – j’ignorais tout du sexe. Tout ! Mais j’ai appris, et Marie Madeleine m’a finalement très bien notée et m’a recommandée pour un poste permanent.

— Parce qu’elle est ici ?

— Oh, non. Elle est professeur consultant. En fait, elle a été détachée de la faculté du Paradis.

— Mais qu’enseigne-t-elle au Paradis ?

— Je n’en ai pas la moindre idée mais certainement pas ce qu’elle enseigne ici. Du moins, je ne le pense pas. Hum… Alec, elle crée ses propres règles. Elle est parmi les meilleures dans toute l’éternité. Mais, cette fois, c’est toi qui a changé de sujet. J’essayais de te dire que je ne savais pas vraiment combien de temps mon apprentissage durerait parce que le temps varie selon la volonté, ici. Depuis combien de temps sommes-nous au lit, selon toi ?

— Eh bien… depuis pas mal de temps. Mais pas assez longtemps. Je crois qu’il ne doit pas être loin de minuit.

— C’est minuit si tu veux qu’il soit minuit. Tu veux que je vienne sur toi ?

Le lendemain matin, à supposer que ce fût le lendemain matin, Pat et moi nous avons pris notre breakfast sur le balcon de la suite, juste au-dessus du lac. Elle portait la tenue favorite de Margrethe : un short très court et ajusté, et un simple caraco d’où ses seins débordaient. J’ignorais quand elle réussissait à se changer ainsi, mais en tout cas mon pantalon et ma chemise avaient été nettoyés, repassés et même recousus pendant la nuit, de même que mes sous-vêtements et mes chaussettes. En enfer, il semblait y avoir de petits lutins industrieux un peu partout. De toute manière, on aurait pu lâcher un troupeau d’oies dans notre chambre durant la nuit sans que j’ouvre un œil.

Je contemplais longuement Pat, appréciant sa beauté saine et épanouie, ses petites taches de rousseur sur son nez, en songeant qu’il était bien étrange que j’aie pu confondre le sexe avec le péché. Bien sûr, il peut y avoir du péché dans l’acte sexuel, de la cruauté, de l’injustice. Mais le sexe peut exister seul sans trace de péché. J’étais arrivé ici fatigué, troublé, malheureux, et Pat avait réussi à me rendre d’abord heureux, puis reposé, et j’étais de nouveau heureux par cette adorable matinée.

(Mais pas moins impatient de te retrouver, Marga ma chérie – simplement un peu plus en forme.)

Marga verrait-elle les choses sous ce jour ?

Après tout, elle ne m’avait jamais paru particulièrement jalouse.

Qu’éprouverais-je, moi, si elle prenait des vacances sexuelles, comme je venais d’en prendre ? Ça, c’était une bonne question. Il vaudrait mieux y réfléchir, mon garçon, parce que ce n’est pas le moment de prendre des vessies pour des lanternes.

Mon regard se posa sur le lac. Je regardai monter la fumée, les étincelles que crachaient les flammes… Tandis qu’à droite comme à gauche, une douce lumière verte d’été baignait la campagne. Des montagnes aux pics enneigés se dressaient au loin.

— Pat…

— Oui, chéri ?

— Le lac n’est pas à plus de deux cents mètres d’ici, mais je ne sens même pas l’odeur du soufre.

— As-tu remarqué ces bannières ? Le vent souffle constamment en direction du puits, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Là, au-dessus du puits, il souffle vers le haut – ralentissant d’ailleurs toutes les âmes qui arrivent par des moyens balistiques – et retombe de l’autre côté du globe où se trouve un puits froid dans lequel le sulfure d’hydrogène réagit avec l’oxygène pour former du soufre et de l’eau. Le soufre se dépose, l’eau se change en vapeur et revient. Ces deux puits et cette circulation contrôlent le temps tout comme la lune exerce son influence sur les climats et le temps de la terre. Mais plus discrètement.

— Je n’ai jamais été très brillant en physique. Mais ça ne me rappelle en rien les lois naturelles que j’ai apprises à l’école.

— Bien sûr que non. Le patron n’est pas le même ici. Il dirige la planète comme il lui convient.

Ma réponse, quelle qu’elle ait été, fut couverte par un gong dont la note mélodieuse résonna dans tout l’appartement.

— Dois-je répondre, monsieur ? me demanda Pat.

— Bien sûr, mais comment oses-tu m’appeler « monsieur » ? C’est probablement le service d’étage, non ?

— Non, Alec chéri, le service d’étage ne viendra faire son travail que lorsque nous serons partis. (Elle se leva et revint bientôt avec une enveloppe.) Une lettre du courrier impérial. Pour toi, chéri.

— Moi ?

Je la pris en hésitant et l’ouvris. Il y avait un sceau en relief en en-tête représentant le diable conventionnel, rouge, avec des cornes, des sabots, une queue fourchue et une fourche, campé dans les flammes.

Et je lus en dessous :