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Dans la deuxième semaine de mars, un entrefilet fut publié dans le York Chronicle, à l’intention des anciens membres de la Société savante des magiciens d’York ainsi qu’à celle de tous ceux qui pourraient désirer devenir membres de ladite société, pour les inviter à se rendre à l’ Old Starre Inn le mercredi suivant (traditionnel jour de réunion de la société).

Cet avis singulier choqua au moins autant d’anciens membres de la Société d’York qu’elle en ravit. Publié tel quel dans une gazette, il était à la portée de tous ceux qui avaient un penny en poche. Au surplus, l’auteur (qui n’était pas nommé) avait pris sur lui de convier le public à adhérer à la Société d’York, une initiative qui ne lui revenait manifestement pas, quel que fût son statut.

Lorsque vint la soirée en question, les anciens membres, à leur arrivée à l’ Old Starre, trouvèrent une cinquantaine de magiciens ou d’apprentis magiciens assemblés dans la salle d’honneur. Les sièges les plus confortables étaient déjà tous occupés, et les anciens, qui incluaient Mr Segundus, Mr Honeyfoot et le Dr Foxcastle, furent contraints de se serrer sur une petite estrade assez loin des cheminées. Leur place avait cependant l’avantage de leur réserver une excellente vue sur les nouveaux magiciens.

Ce n’était pas une vision destinée à mettre la joie au cœur des anciens membres. L’assistance était des plus mélangées. (« Sans presque aucun gentleman parmi eux », observa le Dr Foxcastle.) Il y avait deux fermiers et trois boutiquiers, un jeune homme pâle aux cheveux clairs et au comportement nerveux qui expliquait à ses voisins qu’il était tout à fait certain que l’avis avait été publié dans le journal par Jonathan Strange en personne et que ce dernier allait sûrement se présenter d’un moment à l’autre pour leur enseigner à tous la magie ! Circonstance plutôt de bon augure, était présent également un ecclésiastique – un personnage gourmé de cinquante ou soixante ans, glabre et vêtu de noir. Il était accompagné d’un chien aussi respectable et aussi grisonnant que lui, et d’une jeune femme saisissante, parée d’une longue robe de velours rouge, quoique ce détail semblât moins respectable. Elle avait des cheveux sombres et un air farouche.

— Monsieur Taylor, murmura le Dr Foxcastle à un de ses acolytes, pourriez-vous avoir l’amabilité d’aller faire comprendre à ce gentleman que nous n’amenons pas de membres de notre famille à ces réunions ?

Mr Taylor se sauva.

De là où ils étaient assis, les anciens membres de la Société d’York remarquèrent que l’ecclésiastique glabre était plus coriace que son visage serein ne le laissait supposer et qu’il avait répondu assez sèchement à Mr Taylor.

Ce dernier revint avec le message suivant :

— Mr Redruth s’en excuse auprès de notre société, mais il n’est nullement magicien. S’il porte beaucoup d’intérêt à la magie, il ne montre aucun don. C’est sa fille qui est magicienne. Il a un fils et trois filles, et prétend qu’ils sont tous magiciens. Les autres n’ont pas souhaité assister à la réunion. Il dit qu’ils ne souhaitent pas fréquenter les autres praticiens, préférant suivre leurs études en petit comité chez eux, sans risque de distraction.

Il y eut un silence pendant que les anciens membres s’efforçaient en vain d’assimiler ces informations.

— Son chien aussi est peut-être magicien, lança le Dr Foxcastle.

Et les anciens membres de la société de pouffer de rire. Il devint vite manifeste que les nouveaux arrivants se répartissaient en deux catégories bien distinctes. Miss Redruth, la demoiselle en robe de velours rouge, fut une des premières à prendre la parole. Sa voix était grave, son débit plutôt rapide. Elle n’était pas habituée à s’exprimer publiquement et les magiciens ne saisissaient pas tous ses mots, mais son discours était passionné. En substance, elle expliquait que Jonathan Strange avait tout fait, et Gilbert Norrell rien ! Strange ne tarderait pas à être défendu et Norrell universellement vilipendé ! La magie serait libérée des chaînes dont Gilbert Norrell l’avait accablée ! Ces remarques, émaillées de diverses références au chef-d’œuvre perdu de Strange, L’Histoire et la Pratique de la magie anglaise, appelèrent des réponses furibardes de plusieurs autres magiciens, assurant que l’ouvrage de Strange était rempli de maléfices et que Strange était un assassin. Il avait assassiné certainement son épouse[231] et, selon toute probabilité, Norrell aussi.

La discussion s’échauffait toujours plus, quand elle fut interrompue par l’arrivée de deux hommes. Ni l’un ni l’autre n’avaient rien de respectable. Tous deux avaient les cheveux longs et hirsutes et portaient des redingotes démodées. Cependant, tandis que l’un avait tout l’air d’un vagabond, l’autre était considérablement plus soigné dans sa mise et affichait un air d’efficacité – presque d’autorité.

Le vagabond ne daigna pas jeter un regard à la Société d’York ; il se borna à s’asseoir par terre et à réclamer un gin et de l’eau chaude. L’autre gagna le centre de la salle à grands pas et les considéra avec un sourire désabusé. Il s’inclina en direction de Miss Redruth et adressa aux magiciens le message suivant :

— Messieurs, Madame ! D’aucuns d’entre vous se souviennent peut-être de moi. J’étais en votre compagnie il y a dix ans, quand Mr Norrell a réalisé sa magie en la cathédrale d’York. Mon nom est John Childermass. Jusqu’au mois dernier, j’étais le domestique de Gilbert Norrell, et voici – il désigna l’homme assis par terre – Vinculus, un sorcier ambulant londonien d’antan.

Childermass n’alla pas plus loin. Tout le monde se mit à parler à la fois. Les anciens membres de la Société d’York étaient consternés d’apprendre qu’ils avaient laissé leurs confortables coins de cheminée pour venir se laisser sermonner par un domestique. Toutefois, pendant que ces messieurs épanchaient leur indignation, les trois quarts des nouveaux étaient la proie de sentiments très différents. Ils étaient tous des strangistes ou des norrellistes, mais aucun d’eux n’avait jamais posé les yeux sur son héros, et le fait d’être assis si près d’une personne qui l’avait réellement connu et avait parlé avec lui les porta à un degré d’excitation sans précédent.

Childermass ne se laissa nullement démonter par le tumulte ambiant. Il se contenta d’attendre que le silence fut revenu pour pouvoir parler, puis il reprit :

— Je suis venu vous dire que l’accord avec Gilbert Norrell est non avenu. Nul et non avenu, messieurs. Vous voilà redevenus magiciens, si vous le désirez.

Un des nouveaux magiciens cria pour demander si Strange était attendu. Un autre souhaitait savoir si Norrell l’était.

— Non, messieurs, répondit Childermass. Ils ne sont pas attendus ce soir. Vous devrez vous contenter de ma personne. Je ne pense pas qu’on revoie de sitôt Strange et Norrell en Angleterre. Du moins, pas avant la prochaine génération.

— Pourquoi ? s’enquit Mr Segundus. Où sont-ils allés ?

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231

Strange ne fut complètement lavé de cette calomnie qu’au retour d’Arabella Strange en Angleterre, au début de juin 1817.