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Par une nuit semblable d’avril, ils déambulaient dans les parages de la cathédrale ; Arabella et le Dr Greysteel discutaient de leur prochain départ pour l’Angleterre, fixé au mois suivant. Arabella trouvait intimidante la perspective de retrouver toutes ses amies anglaises, et le bon docteur tentait de la rassurer. Tout à coup Frank poussa une exclamation de surprise, le doigt tendu vers le ciel.

Les étoiles se déplaçaient et se transformaient ; dans le carré de ciel au-dessus de leurs têtes apparurent de nouvelles constellations. Un peu plus loin se dressait un arc de triomphe en pierre antique. Celui-ci ne présentait rien de proprement inhabituel ; Padoue est une cité qui regorge de porches, d’arcs et d’arcades. Mais cet arc était différent des autres. Padoue a été bâtie en briques médiévales, et par conséquent nombre de ses rues sont d’un beau rose doré. Cet arc-ci était construit avec des pierres sombres et austères du Nord, et flanqué de chaque côté par une statue de John Uskglass, le visage à demi dissimulé sous un casque orné d’ailes de corbeau. Sous l’arc exactement se profilait une haute silhouette.

Arabella hésitait.

— Vous ne vous éloignerez pas ? dit-elle au Dr Greysteel.

— Frank et moi serons là, l’assura le bon docteur. Nous ne bougerons pas de cet endroit. Vous n’aurez qu’à nous appeler.

Elle continua seule son chemin. Le personnage sous la voûte lisait. À son approche, il leva les yeux avec la bonne vieille expression de celui qui ne se rappelait plus où il était ni ce qu’il avait à voir avec le monde extérieur.

— Vous n’avez pas déclenché de tempête cette fois, déclara-t-elle.

— Ah ! vous en avez entendu parler, n’est-ce pas ? – Strange émit un petit rire un tantinet gêné. – C’était un peu excessif, peut-être. En tout cas, pas du meilleur goût. J’ai passé trop de temps dans la société de Byron quand j’étais à Venise, je crois. Son style a déteint sur moi.

Ils firent quelques pas ensemble ; à chaque instant, de nouveaux groupes d’étoiles apparaissaient au-dessus d’eux.

— Vous avez bonne mine, Arabella, reprit-il. J’ai craint… Qu’ai-je craint ? Oh ! mille choses différentes. J’ai craint que vous ne vouliez plus me parler. Mais vous êtes là. Je suis très heureux de vous revoir.

— Et maintenant vos mille craintes peuvent être enterrées, repartit-elle. Du moins, en ce qui me concerne. Avez-vous trouvé un moyen de dissiper les Ténèbres ?

— Non, pas encore. Bien que, à ne point mentir, nous ayons été si occupés ces derniers temps – quelques nouvelles conjectures sur les naïades… – que nous n’avons guère eu le temps de nous atteler sérieusement au problème. Il y a une ou deux choses prometteuses dans Le Portier d’Apollon. Nous sommes optimistes.

— Vous m’en voyez contente. Je suis malheureuse quand je pense que vous souffrez.

— Ne soyez pas malheureuse, de grâce. Toute autre considération mise à part, je ne souffre point. Un peu au début, peut-être, mais plus maintenant. Et puis Norrell et moi sommes presque les premiers magiciens anglais à travailler sous enchantement. Robert Dymoke, qui s’est querellé avec une fée au XIIe siècle, a perdu par la suite l’usage de la parole et n’a plus pu que chanter, ce qui, j’en suis certain, n’est pas aussi agréable qu’il y paraît. Un magicien du XIVe siècle avait un pied d’argent, ce qui devait être très désagréable. D’ailleurs, qui peut dire si les Ténèbres ne nous arrangent pas ? Nous nous disposons à quitter l’Angleterre pour augmenter nos chances de rencontrer toutes sortes de personnages retors. Un magicien anglais est une créature impressionnante. Deux magiciens anglais sont, je suppose, deux fois plus impressionnants… Et quand ces deux magiciens anglais sont ensevelis dans des Ténèbres impénétrables… Ah, ma foi ! Cela suffit à porter la terreur au cœur de celui qui n’a rien d’un demi-dieu !

— Où irez-vous ?

— Oh ! les lieux ne manquent pas. Ce monde-ci n’en est qu’un parmi tant d’autres, et il ne sied pas à un magicien de devenir – comment dirais-je ? – trop paroissial.

— Cela plaira-t-il à Mr Norrell ? s’inquiéta-t-elle d’un ton dubitatif. Il n’a jamais aimé voyager… Pas même jusqu’à Portsmouth.

— Ah ! C’est là un des avantages de notre façon particulière de voyager. Il n’a aucun besoin de sortir de sa maison s’il ne le souhaite pas. Le monde – tous les mondes – viennent à nous. – Il observa un silence et promena ses regards à la ronde. – Je ferais mieux de ne pas m’écarter. Norrell est un peu plus loin. Pour diverses raisons liées à l’enchantement, nous ne nous éloignons jamais l’un de l’autre. Arabella, continua-t-il avec un sérieux qui ne lui était pas habituel, cela m’était une souffrance insupportable de vous savoir sous terre. J’eusse tenté n’importe quoi, absolument n’importe quoi, pour vous sauver de là.

Elle lui prit les mains, les yeux brillants.

— Et vous avez réussi, chuchota-t-elle.

L’un et l’autre se dévorèrent des yeux. L’espace de cet instant, tout fut comme avant. Comme s’ils n’avaient jamais été séparés. Mais elle ne proposa pas de l’accompagner dans les Ténèbres, et il ne le lui demanda pas.

— Un jour, dit-il, je trouverai le bon sort pour chasser les Ténèbres. Et ce jour-là je vous reviendrai.

— Oui, ce jour-là. J’attendrai le temps qu’il faudra.

Il inclina la tête, prêt à s’en aller, quand il eut une hésitation.

— Bella, ne vous mettez pas en noir, ne jouez pas la veuve. Soyez heureuse. Voilà comment je veux penser à vous.

— Je vous le promets. Et moi, comment penserai-je à vous ?

Il réfléchit un instant avant d’éclater de rire.

— Le nez fourré dans un livre !

Ils échangèrent un baiser. Puis il tourna les talons et redisparut dans les Ténèbres.

Fin

Remerciements

Toute ma reconnaissance va d’abord à l’admirable Giles Gordon, regretté de tous. J’étais fière de dire qu’il était mon agent, et je le suis toujours.

Je remercie particulièrement Jonny Geller pour tout ce qui a suivi la disparition de Giles.

Pour leurs encouragements quand j’ai commencé ce livre, que soient remerciés Geoff Ryman et Alison Paice (elle aussi regrettée de tous), ainsi que Tinch Minter et son atelier d’écriture, en particulier Julian Hall.

Pour leurs encouragements du début à la fin, merci à mes parents Janet et Stuart, à Patrick et Teresa Nielsen Hayden, Ellen Datlow, Terri Winding et Neil Haiman, dont la générosité envers les autres auteurs ne laisse pas de m’épater.

Pour leur assistance linguistique, merci à Stuart Clarke, Samantha Evans, Patrick Marcel et Giorgia Grilli. Pour son aide dans les problèmes épineux de l’histoire militaire et navale napoléonienne, merci à Nicholas Blake (il va sans dire que les erreurs subsistantes sont entièrement ma responsabilité). Pour ses suggestions et ses commentaires extrêmement pénétrants, merci à Antonia Till. Pour avoir écrit des ouvrages qui se sont révélés continuellement d’un grand secours, merci à Elizabeth Longford (Wellington), Christopher Hibbert et Ben Weinreb (London Enciclopedia).

Merci à Jonathan Whiteland, qui dispense généreusement son temps et ses compétences afin que les Mac puissent tourner et les livres être écrits.

Et surtout merci à Colin, qui s’est chargé de tout le reste sans une plainte pour que je puisse écrire, et sans qui ce livre n’eût probablement jamais vu le jour.