Il étendit la main au milieu du groupe de femmes et dit majestueusement:
– Je le jure.
Toutes les femmes répétèrent le serment, à l’exception de Mesdames, qui s’étaient éclipsées.
– Maintenant c’est fini, dit le duc; quand une fois on a fait serment dans les conjurations, on ne fait plus rien.
– Oh! quelle fureur quand elle se trouvera seule au salon! s’écria madame de Grammont.
– Hum! le roi nous exilera bien un peu, dit Richelieu.
– Eh! duc, s’écria madame de Guéménée, que deviendra la cour si l’on nous exile?… N’attend-on pas Sa Majesté Danoise? que lui montrera-t-on? N’attend-on pas Son Altesse la dauphine? à qui la montrera-t-on?
– Et puis on n’exile pas toute une cour; on choisit.
– Je sais bien que l’on choisit, dit Richelieu, et même je suis chanceux, moi, l’on me choisit toujours; on m’a déjà choisi quatre fois; car, de bon compte, j’en suis à ma cinquième conspiration, mesdames.
– Bon! ne croyez pas cela, duc, dit madame de Grammont; c’est moi que l’on sacrifiera.
– Ou M. de Choiseul, ajouta le maréchal; prenez garde, duchesse!
– M. de Choiseul est comme moi: il subira une disgrâce, mais ne souffrira pas un affront.
– Ce ne sera ni vous, duc, ni vous, duchesse, ni M. de Choiseul, qu’on exilera, dit la maréchale de Mirepoix; ce sera moi. Le roi ne pourra me pardonner d’être moins obligeante pour la comtesse que je ne l’étais pour la marquise.
– C’est vrai, dit le duc, vous qu’on a toujours appelée la favorite de la favorite. Pauvre maréchale! on nous exilera ensemble!
– On nous exilera toutes, dit madame de Guéménée en se levant; car j’espère bien que nulle de nous ne reviendra sur la détermination prise.
– Et sur la promesse jurée, dit le duc.
– Oh! et puis, dit madame de Grammont, à tout hasard, je me mettrai en mesure, moi!
– Vous? dit le duc.
– Oui. Pour être demain à Versailles à dix heures, il lui faut trois choses.
– Lesquelles?
– Un coiffeur, une robe, un carrosse.
– Sans doute.
– Eh bien?
– Eh bien! elle ne sera pas à Versailles à dix heures; le roi s’impatientera; le roi congédiera, et la présentation sera remise aux calendes grecques, vu l’arrivée de madame la dauphine.
Un hourra d’applaudissements et de bravos accueillit ce nouvel épisode de la conjuration; mais tout en applaudissant plus haut que les autres, M. de Richelieu et madame de Mirepoix échangèrent un coup d’œil.
Les deux vieux courtisans s’étaient rencontrés dans l’intelligence d’une même pensée.
À onze heures, tous les conjurés s’envolaient sur la route de Versailles et de Saint-Germain, éclairés par une admirable lune.
Seulement, M. de Richelieu avait pris le cheval de son piqueur, et tandis que son carrosse, stores fermés, courait ostensiblement sur la route de Versailles, il gagnait Paris à fond de train par une route de traverse.
Chapitre XXXVII Ni coiffeur, ni robe, ni carrosse
Il eût été de mauvais goût que madame du Barry partît de son appartement de Versailles pour se rendre à la grande salle des présentations.
D’ailleurs, Versailles était bien pauvre de ressources dans un jour aussi solennel.
Enfin, mieux que tout cela, ce n’était point l’habitude. Les élus arrivaient avec un fracas d’ambassadeur, soit de leur hôtel de Versailles, soit de leur maison de Paris.
Madame du Barry choisit ce dernier point de départ.
Dès onze heures du matin, elle était arrivée rue de Valois avec madame de Béarn, qu’elle tenait sous ses verrous quand elle ne la tenait point sous son sourire, et dont on rafraîchissait à chaque instant la blessure avec tout ce que fournissaient de secrets la médecine et la chimie.
Depuis la veille, Jean du Barry, Chon et Dorée étaient à l’œuvre, et qui ne les avait pas vus à cette œuvre se fût fait difficilement une idée de l’influence de l’or et de la puissance du génie humain.
L’une s’assurait du coiffeur, l’autre harcelait les couturières. Jean, qui avait le département des carrosses, se chargeait en outre de surveiller couturières et coiffeurs. La comtesse, occupée de fleurs, de diamants, de dentelles, nageait dans les écrins, et recevait d’heure en heure des courriers de Versailles qui lui disaient que l’ordre avait été donné d’éclairer le salon de la reine, et que rien n’était changé.
Vers quatre heures, Jean du Barry rentra pâle, agité, mais joyeux.
– Eh bien? demanda la comtesse.
– Eh bien! tout sera prêt.
– Le coiffeur?
– J’ai trouvé Dorée chez lui. Nous sommes convenus de nos faits. Je lui ai glissé dans la main un bon de cinquante louis. Il dînera ici à six heures précises, nous pouvons donc être tranquilles de ce côté-là.
– La robe?
– La robe sera merveilleuse. J’ai trouvé Chon qui la surveillait; vingt-six ouvrières y cousent les perles, les rubans et les garnitures. On aura ainsi fait lé par lé ce travail prodigieux, qui eût coûté huit jours à d’autres que nous.
– Comment, lé par lé? fit la comtesse.
– Oui, petite sœur. Il y a treize lés d’étoffe. Deux ouvrières pour chaque lé: l’une prend à gauche, l’autre prend à droite chaque lé qu’elles ornent d’applications et de pierreries, de sorte qu’on n’assemblera qu’au dernier moment. C’est l’affaire de deux heures encore. À six heures du soir, nous aurons la robe.
– Vous en êtes sur, Jean?
– J’ai fait hier le calcul des points avec mon ingénieur. Il y a dix mille points par lé; cinq mille par chaque ouvrière. Dans cette épaisse étoffe, une femme ne peut pas coudre plus d’un point en cinq secondes; c’est douze par minute, sept cent vingt par heure, sept mille deux cents en dix heures. Je laisse les deux mille deux cents pour les repos indispensables et les fausses piqûres, et nous avons encore quatre heures de bon.
– Et le carrosse?
– Oh! quant au carrosse, vous savez que j’en ai répondu; le vernis sèche dans un grand magasin chauffé exprès à cinquante degrés. C’est un charmant vis-à-vis, près duquel, je vous en réponds, les carrosses envoyés au-devant de la dauphine sont bien peu de chose. Outre les armoiries qui forment le fond des quatre panneaux, avec le cri de guerre des du Barry: Boutés en avant! sur les deux panneaux de côté j’ai fait peindre, d’une part, deux colombes qui se caressent, et de l’autre, un cœur percé d’une flèche. Le tout enrichi d’arcs, de carquois et de flambeaux. Il y a queue chez Francian pour le voir; à huit heures précises, il sera ici.
En ce moment Chon et Dorée rentrèrent. Elles venaient confirmer tout ce qu’avait dit Jean.
– Merci, mes braves lieutenants, dit la comtesse.
– Petite sœur, fit Jean, vous avez les yeux battus; dormez une heure, cela vous remettra.
– Dormir? Ah bien, oui! Je dormirai cette nuit, et beaucoup n’en pourront pas dire autant.