– Mais lisez, comtesse, lisez, plutôt que de questionner, s’écria Jean.
– Vous avez raison, vicomte.
– Pourvu que cette lettre ne contienne rien de fâcheux, murmura le vicomte.
– Eh! non, dit la comtesse, quelque placet pour Sa Majesté.
– Le billet n’est pas plié en forme de placet.
– En vérité, vicomte, vous ne mourrez que de peur, dit la comtesse en souriant.
Et elle brisa le cachet.
Aux premières lignes, elle poussa un horrible cri, et tomba sur son fauteuil à demi expirante.
– Ni coiffeur, ni robe, ni carrosse! dit-elle.
Chon s’élança vers la comtesse, Jean se précipita sur la lettre.
Elle était d’une écriture droite et menue: c’était évidemment une écriture de femme.
«Madame, disait la lettre, méfiez-vous: ce soir, vous n’aurez ni coiffeur, ni robe, ni carrosse.
«J’espère que cet avis vous parviendra en temps utile.
«Pour ne point forcer votre reconnaissance, je ne me nomme point. Devinez-moi si vous voulez connaître une sincère amie.»
– Ah! voilà le dernier coup! s’écria du Barry au désespoir. Sang bleu! il faut que je tue quelqu’un. Pas de coiffeur! Par la mort! j’éventrerai ce bélître de Lubin. Mais c’est qu’en effet voilà sept heures et demie qui sonnent, et il n’arrive pas. Ah! damnation! malédiction!
Et du Barry, qui n’était pas présenté ce soir-là, s’en prit à ses cheveux, qu’il fourragea indignement.
– C’est la robe! mon Dieu! c’est la robe! s’écria Chon. Un coiffeur, on en trouverait encore.
– Oh! je vous en défie! Quels coiffeurs trouverez-vous? Des massacres! Ah! tonnerre! ah! carnage! ah! mille légions du diable!
La comtesse ne disait rien, mais elle poussait des soupirs qui eussent attendri les Choiseul eux-mêmes, s’ils eussent pu les entendre.
– Voyons, voyons, un peu de calme, dit Chon. Cherchons un coiffeur, retournons chez la faiseuse, pour savoir ce qu’est devenue la robe.
– Pas de coiffeur! murmurait la comtesse mourante, pas de robe! pas de carrosse!
– C’est vrai, pas de carrosse! s’écria Jean; il ne vient pas non plus, le carrosse, et cependant, il devrait être ici. Oh! c’est un complot, comtesse. Est-ce que Sartine n’en fera pas arrêter les auteurs? est-ce que Maupeou ne les fera pas pendre? est-ce qu’on ne brûlera pas les complices en Grève? Je veux faire rouer le coiffeur, tenailler la couturière, écorcher le carrossier.
Pendant ce temps, la comtesse était revenue à elle, mais c’était pour mieux sentir l’horreur de sa position.
– Oh! pour cette fois, je suis perdue, murmurait-elle; les gens qui ont gagné Lubin sont assez riches pour avoir éloigné tous les bons coiffeurs de Paris. Il ne se trouvera plus que des ânes qui me hacheront les cheveux… Et ma robe! pauvre robe!… Et mon carrosse tout neuf qui devait les faire toutes crever de jalousie!…
Du Barry ne répondait rien, il roulait des yeux terribles et s’allait heurter à tous les angles de la chambre, et à chaque fois qu’il rencontrait un meuble, il le brisait en morceaux, puis, si les morceaux lui paraissaient encore trop gros, il les brisait en plus petits.
Au milieu de cette scène de désolation, qui du boudoir s’était répandue dans les antichambres et des antichambres dans la cour, tandis que les laquais, ahuris par vingt ordres différents et contradictoires, allaient, venaient, couraient, se heurtaient, un jeune homme en habit vert-pomme et veste de satin, en culotte lilas et en bas de soie blancs, descendait d’un cabriolet, franchissait le seuil abandonné de la porte de la rue, traversait la cour, bondissant de pavé en pavé sur les orteils, montait l’escalier et venait frapper à la porte du cabinet de toilette.
Jean était en train de trépigner sur un cabaret de porcelaine de Sèvres que la basque de son habit avait accroché, tandis qu’il évitait la chute d’une grosse potiche japonaise qu’il avait apostrophée d’un coup de poing.
On entendit doucement, discrètement, modestement frapper trois coups à la porte.
Il se fit un grand silence. Chacun était dans une telle attente, que personne n’osait demander qui était là.
– Pardon, dit une voix inconnue, mais je désirerais parler à madame la comtesse du Barry.
– Mais, monsieur, on n’entre point comme cela, cria le suisse, qui avait couru après l’étranger pour l’empêcher de pénétrer plus avant.
– Un instant, un instant, dit du Barry, il ne peut pas nous arriver pis que ce qui nous arrive. Que lui voulez-vous, à la comtesse?
Et Jean ouvrit la porte d’une main qui eût enfoncé les portes de Gaza.
L’étranger esquiva le choc par un bond en arrière, et, retombant à la troisième position:
– Monsieur, dit-il, je voulais offrir mes services à madame la comtesse du Barry, qui est, je crois, de cérémonie.
– Et quels services, monsieur?
– Ceux de ma profession.
– Quelle est votre profession?
– Je suis coiffeur.
Et l’étranger fit une seconde révérence.
– Ah! s’écria Jean en sautant au cou du jeune homme. Ah! vous êtes coiffeur. Entrez, mon ami, entrez!
– Venez, mon cher monsieur, venez, dit Chon saisissant à bras-le-corps le jeune homme éperdu.
– Un coiffeur! s’écria madame du Barry en levant les mains au ciel. Un coiffeur! Mais c’est un ange. Êtes-vous envoyé par Lubin, monsieur?
– Je ne suis envoyé par personne. J’ai lu dans une gazette que madame la comtesse était présentée ce soir, et je me suis dit: «Tiens, si par hasard madame la comtesse n’avait pas de coiffeur, ce n’est pas probable, mais c’est possible», et je suis venu.
– Comment vous nommez-vous? dit la comtesse un peu refroidie.
– Léonard, madame.
– Léonard! vous n’êtes pas connu.
– Pas encore. Mais si madame accepte mes services, je le serai demain.
– Hum! hum! fit Jean, c’est qu’il y a coiffer et coiffer.
– Si madame se défie trop de moi, dit-il, je me retirerai.
– C’est que nous n’avons pas le temps d’essayer, dit Chon.
– Et pourquoi essayer? s’écria le jeune homme dans un moment d’enthousiasme et après avoir fait le tour de madame du Barry. Je sais bien qu’il faut que madame attire tous les yeux par sa coiffure. Aussi, depuis que je contemple madame, ai-je inventé un tour qui fera, j’en suis certain, le plus merveilleux effet.
Et le jeune homme fit de la main un geste plein de confiance en lui-même, qui commença à ébranler la comtesse et à faire rentrer l’espoir dans le cœur de Chon et de Jean.
– Ah! vraiment! dit la comtesse émerveillée de l’aisance du jeune homme, qui prenait des poses de hanches comme aurait pu le faire le grand Lubin lui-même.
– Mais, avant tout, il faudrait que je visse la robe de madame pour harmonier les ornements.
– Oh! ma robe! s’écria madame du Barry, rappelée à la terrible réalité, ma pauvre robe!
Jean se frappa le front.
– Ah! c’est vrai! dit-il. Monsieur, imaginez-vous un guet-apens odieux!… On l’a volée! robe, couturière, tout!… Chon! ma bonne Chon!