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Et du Barry, las de s’arracher les cheveux, se mit à sangloter.

– Si tu retournais chez elle, Chon? dit la comtesse.

– À quoi bon, dit Chon, puisqu’elle était partie pour venir ici?

– Hélas! murmura la comtesse en se renversant sur son fauteuil, hélas! À quoi me sert un coiffeur, si je n’ai pas de robe?

En ce moment, la cloche de la porte retentit. Le suisse, de peur qu’on ne s’introduisît encore, comme on venait de le faire, avait fermé tous les battants, et derrière tous les battants, poussé tous les verrous.

– On sonne, dit madame du Barry.

Chon s’élança aux fenêtres.

– Un carton! s’écria-t-elle.

– Un carton! répéta la comtesse. Entre-t-il?

– Oui… Non… Si… On le remet au suisse.

– Courez, Jean, courez, au nom du ciel.

Jean se précipita par les montées, devança tous les laquais, arracha le carton des mains du suisse.

Chon le regardait à travers les vitres.

Il ouvrit le couvercle du carton, plongea la main dans ses profondeurs et poussa un hurlement de joie.

Il renfermait une admirable robe de satin de Chine avec des fleurs découpées et toute une garniture de dentelles d’un prix immense.

– Une robe! une robe! cria Chon en battant des mains.

– Une robe! répéta madame du Barry, près de succomber à la joie, comme elle avait failli succomber à la douleur.

– Qui t’a remis cela, maroufle? demanda Jean au suisse.

– Une femme, monsieur.

– Mais quelle femme?

– Je ne la connais pas.

– Où est-elle?

– Monsieur, elle a passé ce carton en travers de ma porte, m’a crié: «Pour madame la comtesse!» est remontée dans le cabriolet qui l’avait amenée, et est repartie de toute la vitesse du cheval.

– Allons! dit Jean, voilà une robe, c’est le principal!

– Mais montez donc, Jean! cria Chon; ma sœur pâme d’impatience.

– Tenez, dit Jean, regardez, voyez, admirez, voilà ce que le ciel nous envoie.

– Mais elle ne m’ira point, elle ne pourra m’aller, elle n’a pas été faite pour moi. Mon Dieu! mon Dieu! quel malheur! car enfin elle est jolie.

Chon prit rapidement une mesure.

– Même longueur, dit-elle, même largeur de taille.

– L’admirable étoffe! dit du Barry.

– C’est fabuleux! dit Chon.

– C’est effrayant! dit la comtesse.

– Mais au contraire, dit Jean, cela prouve que, si vous avez de grands ennemis, vous avez en même temps des amis bien dévoués.

– Ce ne peut être un ami, dit Chon, car comment eût-il été prévenu de ce qui se tramait contre nous? Il faut que ce soit quelque sylphe, quelque lutin.

– Que ce soit le diable, s’écria madame du Barry peu m’importe, pourvu qu’il m’aide à combattre les Grammont! il ne sera jamais aussi diable que ces gens-là!

– Et maintenant, dit Jean, j’y pense…

– Que pensez-vous?

– Que vous pouvez livrer en toute confiance votre tête à monsieur.

– Qui vous donne cette assurance?

– Pardieu! il a été prévenu par le même ami qui nous a envoyé la robe.

– Moi? fit Léonard avec une surprise naïve.

– Allons! allons! dit Jean, comédie que cette histoire de gazette, n’est-ce pas, mon cher monsieur?

– C’est la vérité pure, monsieur le vicomte.

– Allons, avouez, dit la comtesse.

– Madame, voici la feuille dans ma poche; je l’ai conservée pour faire des papillotes.

Le jeune homme tira en effet de la poche de sa veste une gazette dans laquelle était annoncée la présentation.

– Allons, allons, à l’œuvre, dit Chon; voilà huit heures qui sonnent.

– Oh! nous avons tout le temps, dit le coiffeur; il faut une heure à madame pour aller.

– Oui, si nous avions une voiture, dit la comtesse.

– Oh! mordieu! c’est vrai, dit Jean, et cette canaille de Francian qui n’arrive pas!

– N’avons-nous pas été prévenus, dit la comtesse; ni coiffeur, ni robe, ni carrosse!

– Oh! dit Chon épouvantée, nous manquerait-il aussi de parole?

– Non, dit Jean, non, le voilà.

– Et le carrosse? le carrosse? dit la comtesse.

– Il sera resté à la porte, dit Jean. Le suisse va ouvrir, il va ouvrir. Mais qu’a donc le carrossier?

En effet, presque au même instant, maître Francian s’élança tout effaré dans le salon.

– Ah! monsieur le vicomte, s’écria-t-il, le carrosse de madame était en route pour l’hôtel, quand, au détour de la rue Traversière, il a été arrêté par quatre hommes qui ont terrassé mon premier garçon qui vous l’amenait, et qui, mettant les chevaux au galop, ont disparu par la rue Saint-Nicaise.

– Quand je vous le disais, fit du Barry radieux, sans se lever du fauteuil où il était assis en voyant entrer le carrossier, quand je vous le disais!…

– Mais c’est un attentat, cela! cria Chon. Mais remuez-vous donc, mon frère!

– Me remuer, moi! et pourquoi faire?

– Mais pour nous trouver une voiture; il n’y a ici que des chevaux éreintés et des carrosses sales. Jeanne ne peut pas aller à Versailles dans de pareilles brouettes.

– Bah! dit du Barry, celui qui met un frein à la fureur des flots, qui donne la pâture aux oisillons, qui envoie un coiffeur comme monsieur, une robe comme celle-là, ne nous laissera pas en chemin faute d’un carrosse.

– Eh! tenez, dit Chon, en voilà un qui roule.

– Et qui s’arrête même, reprit du Barry.

– Oui, mais il n’entre pas, dit la comtesse.

– Il n’entre pas, c’est cela! dit Jean.

Puis, sautant à la fenêtre, qu’il ouvrit:

– Courez, mordieu! cria-t-il, courez, ou vous arriverez trop tard. Alerte! alerte! que nous connaissions au moins notre bienfaiteur.

Les valets, les piqueurs, les grisons, se précipitèrent, mais il était déjà trop tard. Un carrosse doublé de satin blanc, et attelé de deux magnifiques chevaux bais, était devant la porte.

Mais de cocher, mais de laquais, pas de traces; un simple commissionnaire maintenait les chevaux par le mors.

Le commissionnaire avait reçu six livres de celui qui les avait amenés et qui s’était enfui du côté de la cour des Fontaines.

On interrogea les panneaux; mais une main rapide avait remplacé les armoiries par une rose.

Toute cette contrepartie de la mésaventure n’avait pas duré une heure.

Jean fit entrer le carrosse dans la cour, ferma la porte sur lui et prit la clef de la porte. Puis il remonta dans le cabinet de toilette où le coiffeur s’apprêtait à donner à la comtesse les premières preuves de sa science.

– Monsieur! s’écria-t-il en saisissant le bras de Léonard, si vous ne nous nommez pas notre génie protecteur, si vous ne le signalez pas à notre reconnaissance éternelle, je jure…