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– Au second, dit Balsamo en passant à un second moule.

Et le second moule fut rempli avec la même force et la même dextérité.

La sueur dégouttait du front de l’opérateur: le spectateur se signait dans l’ombre.

En effet, c’était un tableau d’une sauvage et majestueuse horreur. Balsamo, éclairé par les fauves reflets de la flamme métallique, ressemblait aux damnés que Michel-Ange et Dante tordent dans le fond de leurs chaudières.

Puis il y avait l’émotion de l’inconnu.

Balsamo ne respira point entre les deux opérations, le temps pressait.

– Il y aura un peu de déchet, dit-il après avoir rempli le second moule; j’ai laissé bouillir la mixture un centième de minute de trop.

– Un centième de minute! s’écria le cardinal, ne cherchant plus à cacher sa stupéfaction.

– C’est énorme en hermétique, monseigneur, répliqua naïvement Balsamo; mais, en attendant, Éminence, voici deux creusets vides, deux moules remplis, et cent livres d’or fin.

Et, saisissant à l’aide de ses puissantes tenailles le premier moule, il le jeta dans l’eau, qui tourbillonna et fuma longtemps; puis il l’ouvrit et en tira un morceau d’or irréprochable, ayant la forme d’un petit pain de sucre aplati aux deux pôles.

– Nous avons près d’une heure à attendre pour les deux autres creusets, dit Balsamo; en attendant, Votre Éminence veut-elle s’asseoir ou respirer le frais?

– Et c’est de l’or? demanda le cardinal sans répondre à l’interrogation de l’opérateur.

Balsamo sourit. Le cardinal était bien à lui.

– En douteriez-vous, monseigneur?

– Écoutez donc, la science s’est trompée tant de fois…

– Vous ne dites pas votre pensée tout entière, mon prince, dit Balsamo. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous trompe sciemment. Monseigneur, je serais bien peu de chose à mes propres yeux si j’agissais ainsi; car mes ambitions n’iraient pas au delà des murs de mon cabinet, qui vous verrait sortir tout émerveillé pour aller perdre votre admiration chez le premier batteur d’or venu. Allons, allons, faites-moi plus d’honneur, mon prince, et croyez que, si je voulais tromper, ce serait plus adroitement et dans un but plus élevé. Au surplus, Votre Éminence sait comment on éprouve l’or?

– Sans doute, par la pierre à toucher.

– Monseigneur n’a pas manqué de faire l’expérience lui-même, ne fût-ce que sur les onces d’Espagne, qui sont fort courues au jeu, étant de l’or le plus fin que l’on puisse trouver, mais parmi lesquelles il s’en trouve beaucoup de fausses?

– Cela m’est arrivé effectivement.

– Eh bien! monseigneur, voici une pierre et de l’acide.

– Non, je suis convaincu.

– Monseigneur, faites-moi le plaisir de vous assurer que ces lingots sont non seulement de l’or, mais encore de l’or sans alliage.

Le cardinal paraissait répugner à donner cette preuve d’incrédulité; et cependant il était visible qu’il n’était point convaincu.

Balsamo toucha lui-même les lingots et soumit le résultat à l’expérience de son hôte.

– Vingt-huit carats, dit-il; je vais verser les deux autres.

Dix minutes après, les deux cents livres d’or étaient étalées en quatre lingots sur l’étoupe échauffée par le contact.

– Votre Éminence est venue en carrosse, n’est-ce pas? Du moins, c’est en carrosse que je l’ai vue venir.

– Oui.

– Monseigneur fera approcher son carrosse de la porte, et mon laquais portera les lingots dans son carrosse.

– Cent mille écus! murmura le cardinal en ôtant son masque, comme pour voir par ses propres yeux l’or gisant à ses pieds.

– Et celui-là, monseigneur, vous pourrez dire d’où il vient, n’est-ce pas? car vous l’avez vu faire.

– Oh! oui, et j’en témoignerai.

– Non pas, non pas, dit vivement Balsamo, on n’aime pas les savants en France; ne témoignez de rien, monseigneur. Oh! si je faisais des théories au lieu de faire de l’or, je ne dis pas.

– Alors que puis-je faire pour vous? dit le prince en soulevant avec peine un lingot de cinquante livres dans ses mains délicates.

Balsamo le regarda fixement, et, sans aucun respect, se mit à rire.

– Qu’y a-t-il donc de risible dans ce que je vous dis? demanda le cardinal.

– Votre Éminence m’offre ses services, je crois!

– Sans doute.

– En vérité, ne serait-il pas plus à propos que je lui offrisse les miens?

La figure du cardinal s’assombrit.

– Vous m’obligez, monsieur, dit-il, et cela je m’empresse de le reconnaître, mais si cependant la reconnaissance que je vous garde devait être plus lourde que je ne le crois, je n’accepterais point le service. Il y a encore, Dieu merci, dans Paris assez d’usuriers pour que je trouve, moitié sur gage, moitié sur ma signature, cent mille écus d’ici à après-demain, et rien que mon anneau épiscopal vaut quarante mille livres.

Et le prélat étendit sa main blanche comme celle d’une femme, à l’annulaire duquel brillait un diamant gros comme une noisette.

– Mon prince, dit Balsamo en s’inclinant, il est impossible que vous ayez pu croire un instant à mon intention de vous offenser?

Puis, comme s’il se parlait à lui-même:

– Il est étrange, continua-t-il, que la vérité fasse cet effet à quiconque s’appelle prince.

– Comment cela?

– Eh! sans doute! Votre Éminence me propose ses services à moi! Je vous le demande à vous-même, monseigneur, de quelle nature peuvent être les services que Votre Éminence est à même de me rendre?

– Mais mon crédit à la cour d’abord.

– Monseigneur, monseigneur, vous savez vous-même que ce crédit est bien ébranlé, et j’aimerais presque autant celui de M. de Choiseul, qui n’a plus que quinze jours peut-être à rester ministre… Tenez, mon prince, en fait de crédit, tenons-nous en au mien. Voici de bel et bon or. Chaque fois que Votre Éminence en voudra, elle me le fera dire la veille ou le matin même, et je lui en fournirai à son désir; et avec de l’or, on a tout, n’est-ce pas, monseigneur?

– Non, pas tout, murmura le cardinal, tombé au rang de protégé et ne cherchant même plus à reprendre sa position de protecteur.

– Ah! c’est vrai. J’oubliais, dit Balsamo, que monseigneur désire autre chose que de l’or, un bien plus précieux que toutes les richesses du monde; mais ceci ne regarde plus la science, c’est du ressort de la magie. Monseigneur, dites un mot, et l’alchimiste est prêt à faire place au magicien.