– D’armes?
– Oui, d’armes, les plus rudes dangers ne sont pas toujours à la guerre, comtesse.
– Et vous ne me demandez rien pour le duc d’Aiguillon?
– Ma foi, non; le drôle saura bien le demander lui-même.
– D’ailleurs, vous serez là. Maintenant, à mon tour.
– À votre tour de quoi faire?
– À mon tour de demander.
– C’est juste.
– Que me donnerez-vous?
– Ce que vous voudrez.
– Je veux tout.
– C’est raisonnable.
– Et je l’aurai?
– Belle question! Mais serez-vous satisfaite, au moins, et ne me demanderez-vous que cela?
– Que cela, et quelque chose encore avec.
– Dites.
– Vous connaissez M. de Taverney?
– C’est un ami de quarante ans.
– Il a un fils?
– Et une fille.
– Précisément.
– Après?
– C’est tout.
– Comment, c’est tout?
– Oui, ce quelque chose qui me reste à vous demander, je vous le demanderai en temps et lieu.
– À merveille!
– Nous nous sommes entendus, duc.
– Oui, comtesse.
– C’est signé?
– Bien mieux, c’est juré.
– Renversez-moi mon arbre, alors.
– J’ai des moyens.
– Lesquels?
– Mon neveu.
– Après?
– Les jésuites.
– Ah! ah!
– Tout un petit plan fort agréable, que j’avais formé à tout hasard.
– Peut-on le savoir?
– Hélas! comtesse…
– Oui, oui, vous avez raison.
– Vous savez, le secret…
– C’est la moitié de la réussite, j’achève votre pensée.
– Vous êtes adorable!
– Mais, moi, je veux aussi secouer l’arbre de mon côté.
– Très bien! secouez, secouez, comtesse; cela ne peut pas faire de mal.
– J’ai mon moyen.
– Et vous le croyez bon?
– Je suis payée pour cela.
– Lequel?
– Ah! vous le verrez, duc, ou plutôt…
– Quoi?
– Non, vous ne le verrez pas.
Et, sur ces mots, prononcés avec une finesse que cette charmante bouche seule pouvait avoir, la folle comtesse, comme si elle revenait à elle, abaissa rapidement les flots de satin de sa jupe, qui, dans l’accès diplomatique, avait opéré un mouvement de flux équivalent à celui de la mer.
Le duc, qui était quelque peu marin, et qui, par conséquent, était familiarisé avec les caprices de l’Océan, rit aux éclats, baisa les mains de la comtesse, et devina, lui qui devinait si bien, que son audience était finie.
– Quand commencerez-vous à renverser, duc? demanda la comtesse.
– Demain. Et vous, quand commencerez-vous à secouer?
On entendit un grand bruit de carrosses dans la cour, et presque aussitôt les cris de Vive le roi!
– Moi, dit la comtesse en regardant par la fenêtre, moi, je vais commencer tout de suite.
– Bravo!
– Passez par le petit escalier, duc, et attendez-moi dans la cour. Vous aurez ma réponse dans une heure.
Chapitre LXXVIII Le pis-aller de Sa Majesté Louis XV
Le roi Louis XV n’était pas tellement débonnaire, que l’on pût causer tous les jours politique avec lui.
En effet, la politique l’ennuyait fort, et, dans ses mauvais jours, il s’en tirait avec cet argument, auquel il n’y avait rien à répondre:
– Bah! la machine durera bien toujours autant que moi!
Lorsque la circonstance était favorable, on en profitait; mais il était rare que le monarque ne reprît pas son avantage qu’un moment de bonne humeur lui avait fait perdre.
Madame du Barry connaissait si bien son roi, que, comme les pécheurs qui savent leur mer, elle ne s’embarquait jamais par le mauvais temps.
Or, ce moment où le roi la venait voir à Luciennes était un des meilleurs instants possible. Le roi avait eu tort la veille, il savait d’avance qu’on l’allait gronder. Il devait être de bonne prise ce jour-là.
Toutefois, si confiant que soit le gibier qu’on attend à l’affût, il y a toujours chez lui un certain instinct dont il faut savoir se défier. Mais cet instinct est mis en défaut quand le chasseur sait s’y prendre.
Voici comment s’y prit la comtesse à l’endroit du gibier royal qu’elle voulait amener dans ses panneaux.
Elle était, comme nous croyons l’avoir déjà dit, dans un déshabillé fort galant, comme Boucher en met à ses bergères.
Seulement, elle n’avait pas de rouge; le rouge était l’antipathie du roi Louis XV.
Aussitôt qu’on eût annoncé Sa Majesté, la comtesse sauta sur son pot de rouge et commença de se frotter les joues avec acharnement.
Le roi vit, de l’antichambre, à quelle occupation se livrait la comtesse.
– Fi! dit-il en entrant; la méchante, elle se farde!
– Ah! bonjour, sire, dit la comtesse sans se déranger de devant sa glace, et sans s’interrompre dans son opération, même lorsque le roi l’embrassa sur le cou.
– Vous ne m’attendiez donc pas, comtesse? demanda le roi.
– Pourquoi donc cela, sire?
– Que vous salissiez ainsi votre figure?
– Au contraire, sire, j’étais sûre que la journée ne se passerait point sans que j’eusse l’honneur de voir Votre Majesté.
– Ah! comme vous me dites cela, comtesse.
– Vous trouvez?
– Oui. Vous êtes sérieuse comme M. Rousseau quand il écoute sa musique.
– C’est qu’en effet, sire, j’ai quelque chose de sérieux à dire à Votre Majesté.
– Ah! bon! je vous vois venir, comtesse.
– Vraiment?
– Oui, des reproches!
– Moi? Allons donc, sire… Et pourquoi, je vous prie?
– Mais parce que je ne suis pas venu hier.
– Oh! sire, vous me rendrez cette justice que je n’ai pas la prétention de confisquer Votre Majesté.
– Jeannette, tu te fâches.
– Oh! non pas, sire, je suis toute fâchée.
– Écoutez, comtesse, je vous assure que je n’ai pas cessé de songer à vous.
– Bah!
– Et que cette soirée m’a semblé éternelle.
– Mais, encore un coup, sire, je ne vous parle point de cela, ce me semble. Votre Majesté passe ses soirées où il lui plaît, cela ne regarde personne.
– En famille, madame, en famille.
– Sire, je ne m’en suis pas même informée.
– Pourquoi cela?
– Dame! vous conviendrez, sire, que ce serait malséant de ma part.